Petites histoires de vie dans l'EURE - Haute Normandie - 27
Dans l’Eure, des étudiantes d’une classe de BTS, sollicitées par deux assistantes sociales de la MSA Haute-Normandie, se sont portées volontaires pour rendre visite à des personnes âgées en milieu rural. Deux mois de rendez-vous hebdomadaires qui ont permis de rassembler deux générations et de faire naître de belles complicités.
« On discutait et puis on mangeait du gâteau. C’était le petit rituel du lundi ! » Louise, 88 ans, a le regard qui pétille quand elle y pense.
En novembre et décembre, huit étudiantes en BTS économie sociale et familiale ont rendu visite à cinq personnes âgées de plus de 80 ans, dans l’ouest de l’Eure. L’action, à l’initiative de deux assistantes sociales de la MSA Haute-Normandie (voir ci-après), en partenariat avec le lycée Saint-Anselme de Bernay, a permis la réalisation de cinq recueils. Ils retracent les « petites histoires de vies » de ces aînés. Un travail d’écriture et de mémoire, mais surtout un prétexte pour créer du lien entre deux générations que tout semble opposer.
« Ce projet touche à la fois à la lutte contre l’isolement des personnes en milieu rural et au rapprochement entre générations. Il traduit également la capacité d’initiative et d’innovation des travailleurs sociaux », souligne Carole Robert, sous directrice chargée de l’action sanitaire et sociale à la MSA Haute-Normandie, saluant par la même occasion cette initiative originale, soutenue par les élus locaux lors du comité plénier d’action sanitaire et sociale.
Le projet permet aussi aux étudiantes de mieux appréhender le public âgé, qu’elles côtoient habituellement dans un contexte moins propice à la discussion : « En structure nous n’avons pas le temps d’échanger. Là nous voyons la personne à domicile, dans son environnement. Le contact est différent », explique une étudiante.
Quand Marcelle Leconte rencontre Julie et Samia, le courant passe tout de suite bien. L’octogénaire apprécie la compagnie des jeunes filles, avec qui elle partage le goûter mais surtout sa plus grande passion : bavarder.
Elle les embarque en 1943, en pleine guerre mondiale : « J’avais neuf ans. Mon père a été tué sous mes yeux dans notre cour par des bombardements. Ma mère, grièvement blessée, a été emmenée à l’hôpital. J’ai été recueillie avec mes frères et sœurs par ma tante. » À 14 ans, certificat d’études en poche, Marcelle commence à travailler dans un café-épicerie pour 45 francs par mois.
Trois ans plus tard, elle se fait embaucher comme cadreuse dans une tannerie. « Ça sentait très mauvais. Il y avait des asticots partout, on respirait les effluves de vernis toute la journée… C’était vraiment dur. » Comme de nombreuses femmes de sa génération, elle se marie avec un agriculteur. Elle se forme à ce nouveau métier, qu’elle occupera jusqu’à la retraite.
« Mon père a été tué sous mes yeux dans notre cour »
Marcelle décrit le quotidien d’une époque révolue : la vie sans WC, sans eau courante, les lessives dans l’eau de mer, les longues marches pour rejoindre l’école… Julie et Samia n’en reviennent pas. « Elles étaient surprises quand je leur disais que malgré tout j’étais heureuse. Je leur expliquais que lorsqu’on a l’assiette pleine et l’amour de sa mère on n’a besoin de rien de plus. »
Elle leur ouvre les yeux sur les évolutions historiques et sociales de son temps. L’émancipation des femmes, par exemple : « Tout le monde la regardait de travers parce qu’elle avait son permis de conduire et parce qu’elle portait des pantalons pour aller travailler à l’usine », rapporte Samia, stupéfaite. « Les femmes n’avaient pas le droit de parler à un garçon avant le mariage », complète Julie, qui découvre par ailleurs l’existence du « trousseau » traditionnel.
Élodie, Louise et Maurice Lebrun se sont eux aussi vite apprivoisés. Passée l’appréhension de la rencontre, « ça a flambé tout de suite ! », s’amuse le vieil homme. Blagues privées et regards complices en disent long sur la tonalité de leurs échanges pendant les deux mois.
Élodie et Louise n’ont cependant jamais perdu de vue leur objectif. Elles ont même travaillé avec méthode : « Au début nous avons repris l’histoire de vie de monsieur Lebrun, de son enfance jusqu’à aujourd’hui. Ensuite nous sommes revenues sur des passages un peu plus précis : la vie et le travail à la ferme, l’école, l’occupation, la libération… et plus tard les voyages. » Les jeunes femmes apprennent beaucoup avec Maurice. Les rendez-vous éveillent leur curiosité et les incitent à faire des recherches en dehors des rencontres pour en savoir plus.
Le fil conducteur des conversations reste la danse, une passion qui accompagne Maurice tout au long de sa vie. Valse, rumba, samba, marche… l’octogénaire connaît ses pas sur le bout des orteils. Plus jeune, il enfourche son vélo pour aller danser, parfois à 20 km de chez lui. « Il y avait des bals dans tous les petits villages du coin. À l’époque il n’y avait pas de piste, on dansait dans l’herbe. On avait vite le bas des culottes sales, mais ça ne nous arrêtait pas ! »
« Pour les jeunes, une personne âgée était forcément une personne triste »
Aujourd’hui Maurice brandit avec émotion le recueil réalisé par les jeunes femmes. « Il faudra qu’on revienne vous voir : vous nous apprendrez quelques pas », rebondit Louise.
Pour Françoise Lemblé, professeur qui encadre les BTS au lycée Saint-Anselme, le pari est gagné : les a priori sont tombés. « Pour les jeunes, une personne âgée était forcément une personne triste, fermée… Elles ont réalisé que ce n’est pas le cas. Je n’avais pas mesuré qu’autant de liens se tisseraient entre eux. C’était un vrai bonheur de les voir partir en visite. »
Dans la classe, les visiteuses font même quelques envieuses parmi les élèves qui n’ont pas osé franchir le cap…
RENCONTRE AVEC…
Florence Swertvaegher et Brigitte Wyseur, assistantes sociales à l’origine du projet.
Comment est venue l’idée de ces rencontres ?
BW : L’an dernier, une stagiaire en BTS économie sociale et familiale nous a accompagnées lors de nos déplacements auprès des personnes âgées. Nous avons remarqué qu’en présence de la jeune femme, les visites avaient un petit quelque chose en plus. Les yeux des séniors brillaient et on sentait l’envie de raconter. C’était vraiment net.
FS : Au moment des commémorations du débarquement, les personnes âgées racontaient ce qu’elles avaient vécu pendant la guerre. La stagiaire avait l’âge qu’ils avaient à cette époque et on aurait dit que cela les aidait à revivre les choses. Ils s’adressaient pratiquement plus à elle qu’à nous ! Alors nous nous sommes dit qu’il y avait quelque chose à faire.
Quelle a été la plus-value de ces rencontres ?
BW : Des deux côtés elles ont fait tomber les préjugés. Les jeunes ont découvert la joie de vivre chez les personnes âgées, ce qu’elles n’imaginaient pas. Et certaines personnes âgées ont dit qu’elles avaient à apprendre des jeunes aussi.
FS : On a senti très rapidement de l’attachement entre les séniors et les jeunes. Elles ont parlé de l’arrivée de la machine à laver, du frigidaire, de comment la vie des femmes a été révolutionnée au 20e siècle… mais aussi des nouvelles technologies. Des deux côtés il y a eu de vraies découvertes.
Cette action répond aux préoccupations de la MSA ?
BW : Complètement. La population agricole âgée est concentrée sur nos deux secteurs. La conservation des liens sociaux participe au bien vivre à domicile des personnes âgées. C’est une de nos priorités.
FS : Nous sommes dans des secteurs ruraux où les personnes sont relativement isolées. Parce que les gens de leur âge sont décédées, parce que les relations de voisinage ont évolué, etc. Avec ces rencontres on est en plein dans l’intergénérationnel et la lutte contre l’isolement.
Eve Dusaussoy ; http://www.lebimsa.fr/petites-histoires-de-vie/