Les jeunes retraités, une mine d'or à exploiter... mais avec doigté
C'est la rentrée pour tout le monde. Courant septembre, Action contre la faim (ACF) a organisé sa traditionnelle réunion d'accueil parisienne. Une opération séduction, avec comme cible de choix des candidats au bénévolat. "Cette année, nous avons eu la chance de recevoir quarante personnes, dont une quinzaine de jeunes retraités", constate Sophie Ganeau, elle-même bénévole à la cellule... bénévole d'ACF.
Certains souhaitent apprendre - toujours ; d'autres possèdent des compétences juridiques, comptables, managériales ou logistiques très précieuses pour l'association ; d'autres encore sont prêts à fairen'importe quoi. Coller des timbres, vider les poubelles, ouvrir les enveloppes. Une aide bienvenue. "Sans eux, on ne pourrait simplement pas faire tourner la boutique", concède-t-on chez ACF.
Même discours chez Handicap International. Depuis des années, l'association tente de sensibiliser le public au problème des mines antipersonnel en construisant des pyramides de chaussures. A Paris, fin septembre, il n'y avait que trois salariés de l'association au pied de l'oeuvre d'art... pour 120 bénévoles.
Poussés vers la sortie par le monde du travail, accueillis à bras ouverts par le monde associatif ? C'est tout comme. Les néoretraités sont une mine d'or pour les associations. "Quand une association a de l'argent, elle embauche des salariés. Sinon, elle se tourne vers des bénévoles", souligne Dominique Thierry, vice-président de France Bénévolat. Secret de Polichinelle, le contexte n'est pas rose...
Et qui dit bénévoles dit quasiment retraités. Entre 600 000 et 700 000 personnes prennent leur retraite chaque année. "Les jeunes retraités sont actuellement en bonne santé, très actifs et prêts à s'in. Ils sont à la recherche d'une nouvelle sociabilité pour compenser la fin de la vie professionnelle", explique Claudine Attias-Donfut, directrice de recherche à la Caisse nationale d'assurance vieillesse.
De fait, 45 % des 50-64 ans et 51 % des plus de 65 ans ont une activité bénévole, indique un sondage IFOP de 2010. Et la moitié des responsables associatifs sont des retraités. "Compte tenu de la charge de travail demandée, un poste de responsable associatif est peu compatible avec une carrière", estime Dominique Thierry. La présence des jeunes retraités est telle dans les associations que ce dernier n'hésite pas à parler de gérontocratie.
Car en réalité, si les "têtes blanches" sont très demandées, elles ne s'intègrent pas toujours sans heurts. Les prises de bec avec les salariés ou les plus jeunes sont fréquentes et mettent parfois un bémol à l'enthousiasme de certaines associations pour les retraités.
Il existerait, selon France Bénévolat, trois catégories de retraités faisant don de leur temps aux associations, plus ou moins "problématiques". La première est celle des retraités qui ont l'habitude de la vie associative, et qui intensifient logiquement leurs engagements une fois la retraite venue. Pour eux, tout se passe bien. La deuxième est composée de ceux qui espèrent reproduire à l'identique, voire en mieux, leur vie professionnelle. Les choses tournent vite mal : la vie associative ne ressemble que de très loin à la vie en entreprise.
La troisième, enfin, concerne les néoretraités ayant peur de tourner en rond et qui cherchent à se rendre utiles. C'est la majorité. Pour eux, le mieux est de réfléchir avant de s'engager. Combien de temps consacrer ? Quelle cause défendre ? Quels gens aider ? Inutile d'aider les enfants malades si on ne supporte pas les hôpitaux.
Ces questions, Bernard Cottrant, ancien ingénieur, les a creusées il y a quelques années. Pas envie de "distribuer des repas chauds ou des petits paquets", comme il le dit, mais plutôt de faire en sorte que le public apprécie davantage l'entreprise. "Je suis tombé sur Ecti, une association de bénévolat de compétence. J'ai essayé une ou deux missions, cela m'a plu", explique celui qui est depuis devenu vice-président chargé des opérations de l'association. Celle-ci compte plus de 2 500 bénévoles - on dit adhérents chez eux -, qui aident gratuitement les diplômés et les chômeurs à trouver un emploi, ou les PME et les PMI à se développer. "C'est adapté à des personnes qui désirent utiliser leur vécu dans un univers familier. Mais on explique aux nouveaux venus qu'être bénévole, c'est se placer au service des autres, pas de soi-même", prévient Bernard Cottrant. Ce dernier n'hésite pas à rembarrer ceux qui lui demandent une secrétaire, des notes de frais... comme au bon vieux temps.
C'est que le monde associatif est parfois obscur aux yeux de quelques aspirants bénévoles. "Le grand problème, c'est le manque d'information. Les futurs retraités n'ont pas tous une bonne vision de la vie associative... Certains considèrent qu'il n'existe que des grosses associations impersonnelles et des petites associations où les querelles de personnes sont légion", souligne Philippe Chabasse. Ancien directeur d'Handicap International, il a créé Jubilacion, une entreprise de conseil aux futurs et jeunes retraités. Son premier tuyau ? Aller sentir l'ambiance sur place. Chez ACF, Sophie Ganeau explique ainsi systématiquement aux candidats la culture maison, à savoir l'urgence, et des sollicitations de dernière minute. Une manie qui en rebute plus d'un, et qui en attire d'autres.
Julien Dupont-Calbo
Article paru dans l'édition du 27.10.11, supplément Associations