650 millions d'euros pour faire face aux défis du vieillissement
650 millions d'euros pour faire face aux défis du vieillissement
Certains redoutaient que la réforme, annoncée de longue date mais repoussée pour cause de remaniement post-municipales, ne passe à la trappe au nom des économies budgétaires. Cela ne sera pas le cas. Le projet de loi d'« adaptation de la société au vieillissement » a été présenté en conseil des ministres, mardi 3 juin, par la secrétaire d'Etat chargée des personnes âgées, Laurence Rossignol. Sans modification, « par souci d'efficacité et de rapidité », affirme Mme Rossignol. L'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale devrait avoir lieu avant la fin de l'année.
Une évolution démographique majeure se prépare. Du fait des gains d'espérance de vie, le nombre de personnes âgées de plus 85 ans (la moyenne d'âge d'entrée dans la dépendance) passera de 1,5 million aujourd'hui à 5 millions en 2050. L'objectif est que « chaque individu et toute la société l'anticipent », poursuit Mme Rossignol.
Le texte, qui compte 66 articles, embrasse un nombre considérable de champs d'action, des prestations sociales à l'urbanisme, de la protection des personnes vulnérables à la lutte contre l'isolement… Ce d'autant plus qu'il est accompagné d'un rapport annexé censé donner l'impulsion dans de nombreux secteurs : prévention du suicide, bon usage des médicaments, etc.
DES MOYENS JUGÉS TROP FAIBLES
Ce large spectre constitue sa principale réussite : il s'agit du premier texte en France – et de l'un des premiers en Europe – à prendre en compte le vieillissement comme phénomène global, et à mettre l'accent sur la prévention de la dépendance, le « bien vieillir ». Quelque 140 millions d'euros par an seront ainsi affectés à l'équipement des domiciles des plus modestes en aménagements favorisant le maintien à domicile (détecteurs de chutes, chemins lumineux, etc.) et à la prévention (activités physiques, cognitives, etc.).
Autre innovation, les collectivités locales seront invitées à prendre en compte le vieillissement de la population dans leurs documents d'urbanisme et leurs schémas de transports. Mais il s'agit, pour l'heure, d'une simple incitation.
Cependant, si l'intention est globalement louée, les moyens ne sont pas jugés à la hauteur des ambitions. « Cette réforme a le mérite d'exister, car elle permettra, je l'espère, un débat sur une question globale qui concerne toute la société, et pas seulement les plus de 85 ans », estime Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées.
« PAS ASSEZ DE PROFESSIONNELS »
Quelque 650 millions d'euros par an, issus de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (CASA), créée en 2013 à cette fin, sont prévus pour la financer. Or « les besoins sont de l'ordre de 3 à 4 milliards d'euros, estime M. Champvert. Il n'y a pas assez de professionnels dans les établissements et à domicile. On fait payer trop cher aux personnes, qu'elles soient dans une structure collective ou dans leur logement. »
Un peu plus de la moitié de l'enveloppe financière prévue servira à améliorer l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) pour les personnes à domicile. Ce qui représente environ 700 000 bénéficiaires. L'objectif est de faire baisser le montant qui reste à leur charge et d'augmenter le nombre d'heures d'aide à domicile, en les modulant en fonction du degré de dépendance.
« C'est une mesure qui va dans le bon sens mais elle n'est pas satisfaisante », commente Marie-Odile Desana, présidente de l'association France Alzheimer. Se pose, selon elle, un problème de cohérence et de ciblage : le gouvernement veut revaloriser l'APA des personnes les plus dépendantes. Or leur écrasante majorité se trouve dans un établissement. Elles ne seront donc pas concernées par ce coup de pouce, qui s'applique uniquement aux personnes à domicile.
« LE GOUVERNEMENT CONSENT À UN ÉNORME EFFORT »
« Il fallait un texte et je suis plutôt favorable à son architecture, affirme Denis Jacquat, président (UMP) du groupe d'étude des enjeux du vieillissement de l'Assemblée nationale. Mais je crains qu'il n'y ait des déceptions. Le plus gros problème, à savoir tout le volet des établissements pour personnes dépendantes, est remis à plus tard. » Les besoins en nouvelles places et en aide financière aux pensionnaires se chiffrent, là encore, en milliards d'euros. Le gouvernement avait promis une deuxième loi afin de traiter rapidement la question. Mme Rossignol fait aujourd'hui marche arrière. « Elle viendra quand la politique de redressement des comptes publics aura produit ses effets », affirme-t-elle. Sous-entendu : pas dans l'immédiat…
« Ce n'est pas parce qu'on ne peut pas faire d'effort financier massif qu'on doit ne rien faire, justifie Luc Broussy, ex-conseiller de François Hollande sur le sujet. Faire ce raisonnement avait été l'erreur du précédent gouvernement. » « Avec cette enveloppe, le gouvernement consent à un énorme effort, dans une période où il doit redresser les comptes publics, objecte Laurence Rossignol. Les budgets alloués aux politiques sociales ne sont pas déterminés que par les besoins. »
Les millions d'euros annoncés seront-ils bel et bien employés pour la mise en oeuvre du projet de loi ? Yves Vérollet, directeur général de l'Union nationale de l'aide, des soins et des services aux domiciles (UNA), ne peut s'empêcher d'éprouver de « l'inquiétude » à ce sujet, car le gouvernement veut réaliser plusieurs milliards d'économies dans le champ de la protection sociale. En outre, rappelle-t-il, une partie des fonds de laCASA a été détournée vers d'autres usages, comme le financement du fonds de solidarité vieillesse.
Paru dans LE MONDE du 03.06.2014
Par Bertrand Bissuel et Gaëlle Dupont, journalistes à
Les principales dispositions
- L’allocation, personnalisée d’autonomie (APA) à domicile est revalorisée, pour un montant de 350 millions d’euros annuels. Les personnes les plus dépendantes bénéficieront de 5 heures d’aide en plus chaque semaine, les moins dépendantes d’une heure par semaine.
- Un « dispositif de répit »est créé pour les proches qui aident leurs proches dépendants. Il permettra de financer un accueil de jour, une aide à domicile renforcée ou un hébergement temporaire pendant ce répit, dans la limite de 500 euros par an. Cette disposition prévoit aussi une prise en charge des personnes dépendantes en cas d’hospitalisation de l’aidant.
- 140 millions d’euros par an seront affectés à l’amélioration de l’accès aux aides techniques favorisant le maintien à domicile (téléassistance, domotique) et aux actions de prévention pour le « bien vieillir »(activités physiques et cognitives). Ces aides seront ciblées sur les personnes les plus modestes.
- Un « volontariat civique seniors » est créé, qui pourra être effectué auprès d’une personne morale à but non lucratif.