Le lourd défi des aides à domicile
En manque d'emploi, la filière espère recruter grâce à une revalorisation salariale
« Qu’une personne âgée ou dépendante ne soit pas levée de son lit ou alimentée faute de bras, jamais cela ne [lui] était arrivée » depuis la fondation de son association d’aide à domicile, en 2011. Mais avec le manque de personnel, dont l’accroissement se profile avec le prochain départ probable de quarante salariées sur 130, Aline Burguete, présidente du Collectif associatif réseau d’entraide national caritatif contre l’exclusion des seniors (Carences), à Anglet (Pyrénées-Atlantiques), redoute de se trouver dans cette situation. « Ça m’empêche de dormir, lance-t-elle, en colère. J’ai des bénéficiaires grabataires, en fauteuil roulant. Beaucoup de personnes sont seules, explique-t-elle. Comment va-t-on faire ? » Elle n’arrive plus à recruter depuis des mois.
Aide-soignant, auxiliaire de vie sociale, agent à domicile… Ces métiers, exercés sept jours sur sept au sein d’associations, d’entreprises, de structures publiques ou directement auprès des particuliers, n’attirent pas. Des professions marquées par une forte pénibilité physique et psychique, mal rémunérées, peu considérées, souvent en temps partiel subi.
« Quand on reste avec le smic comme seule perspective de carrière, ce n’est pas très motivant. Ces métiers ont bien d’autres dimensions que faire le ménage. Ils sont très professionnels, très responsabilisants », souligne Marc Dupont, vice-président de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA), un réseau d’associations qui emploient 78 000 salariés. Dans ce secteur, cofinancé par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et les départements par le biais de l’allocation personnalisée d’autonomie, la masse salariale est contrainte par cette enveloppe et par le reste à charge supportable par les bénéficiaires.
Cette pénurie d’aides à domicile n’est pas nouvelle. De multiples rapports ont été consacrés à cette problématique ces dernières années. Celui de l’ancienne ministre du travail Myriam El Khomri, daté d’octobre 2019, précise qu’afin de répondre aux besoins liés au vieillissement de la population et pourvoir les postes vacants « 260 000 professionnels devront être formés » sur la période 2020-2024 pour travailler dans les établissements et au domicile.
Exaspération vis-à-vis des conditions de travail
Rien que dans le réseau associatif ADMR, qui emploie 90 000 salariés à domicile, soit 70 000 équivalents temps plein, « on recrute 10 000 personnes par an, dont 7 000 pour remplacer les départs et 3 000 pour répondre aux nouvelles demandes d’aide, précise Thierry d’Aboville, son secrétaire général. Mais, faute de personnel suffisant, nous ne pouvons pas honorer bon nombre de nouvelles demandes, ce qui représente 10 % de l’activité. » A l’UNA, on évalue à 20 % ce taux dit de « renoncement à intervenir ».
Au Mans, Familles de la Sarthe a proposé, début juillet, « une prime à l’embauche de 600 euros » pour un temps plein
La crise sanitaire liée au Covid-19 n’arrange rien. Les personnels intervenant à domicile doivent être totalement vaccinés d’ici au 15 octobre. A Anglet, quarante salariées ont d’ores et déjà annoncé qu’elles ne le feraient pas. « Elles sont prêtes à changer de métier », se lamente Aline Burguete, qui perçoit dans cette attitude une exaspération vis-à-vis de leurs conditions de travail. Selon M. d’Aboville, environ 10 % des aides à domicile de son réseau ne sont pas vaccinées : « On les rencontre une à une. On prend en charge le temps pour la vaccination. »
Des solutions ont été imaginées en vue d’attirer des salariées. Au Mans, Familles de la Sarthe a par exemple proposé, début juillet, « une prime à l’embauche de 600 euros » pour un temps plein. « Cela a fonctionné un peu », lâche sans conviction Marie-Claire Lesoueve, sa présidente.
De son côté, la Fédération française des services à la personne et de proximité (Fédésap), qui réunit 3 000 entreprises commerciales, met en place des centres de formation par l’apprentissage. Le premier a été créé à La Réunion, en 2020. « Nous formons 1 200 aides à domicile, note Julien Jourdan, son directeur général. Il faut multiplier les initiatives. » L’ADMR, de son côté, a été à l’initiative de neuf groupements d’employeurs pour la qualification et l’emploi, qui proposent des parcours en alternance qualifiants pendant douze à vingt-deux mois.
« Injustice flagrante »
Le Ségur de la santé de juillet 2020 a, par un effet collatéral, aggravé la situation pour les structures d’aide à domicile. En revalorisant les salaires des personnels hospitaliers et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), il a provoqué une relative fuite des effectifs de l’aide à domicile vers ces structures. « Il y a eu une centaine de départs » dans ce cadre, observe-t-on à l’ADMR.
La donne pourrait cependant évoluer avec l’application, à partir du 1er octobre, d’une augmentation des salaires de 13 % à 15 %, selon les catégories de salariés, leur ancienneté et leurs diplômes. « On espère créer un choc d’attractivité », s’enthousiasme Marc Dupont, vice-président de l’UNA, ajoutant que ces augmentations sont « plus importantes » que celles prévues par le Ségur de la santé.
Reste qu’elles ne concernent que le secteur privé non lucratif, soit environ 45 % des salariés à domicile. Les services relevant du secteur public et les entreprises commerciales ne sont donc pas couverts. « On a les mêmes problèmes de financement que les associations ; cette hausse payée par l’Etat et les départements est d’une injustice flagrante, se désole Julien Jourdan, de la Fédésap. On attend un Ségur du domicile. »
Francine Aizicovici, publié dans le Monde du 26 août 2021