Les vieux, aînés ou neuneu ?
Le vieillissement de la population pose de multiples questions. Dans le système français de financement par répartition, la question des retraites est sans doute la plus angoissante de toutes. Mais la démagogie prévaut malheureusement...
Commentaire d'une intervention de Monsieur Hortefeux par un géographe du monde
Monsieur Hortefeux, ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des collectivités territoriales s’est rendu le 17 mai dernier à Agnetz, dans l’Oise, pour prendre officiellement acte d’un rapport rédigé par le député Edouard Courtial « sur les besoins de sécurité liés au vieillissement de la population. » En préalable à sa causerie, le ministre a remercié les corps constitués réunis autour de lui, puis a résumé l’urgence de la situation. « Si l’augmentation de l’espérance de vie est une très bonne nouvelle pour chacun de nous, elle constitue, en réalité, un nouveau défi pour les forces de sécurité. »
Qui s’insurgera contre un tel raisonnement ?
« En effet, les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses et vivent de plus en plus longtemps ; elles sont donc logiquement de plus en plus vulnérables et exposées. » Tel quelle, la phrase de monsieur Hortefeux ne convient pas, car elle sous-entend une détérioration de la condition des personnes âgées, sans la démontrer. Une personne âgée est-elle en effet plus en danger en 2010 qu’en 2000 ou en 1990 ? Bien malin qui l’affirmera. Pour être acceptable, la bonne proposition serait donc la suivante : il y a de plus en plus de personnes âgées, donc il y a de plus en plus de personnes vulnérables et exposées.
La suite du discours confirme cette évidence. « En 2000, 4,3 millions de nos concitoyens avaient plus de 75 ans ; aujourd’hui, ils sont 5,5 millions. En 2015, c’est-à-dire demain, ils dépasseront les 6 millions » [voir Les voyages déforment la vieillesse]. Qu’est-ce qui fragilise une personne âgée ? Cette question s’avère délicate. Les inégalités triomphent en la matière, d’abord pour des raisons économiques. Certains exercent une activité professionnelle jusque fort tard dans leur existence : c’est le lot des artistes et des écrivains. Louise Bourgeois, née à l’orée de la Première guerre mondiale et récemment décédée à New York s’apprêtait à présenter des oeuvres toutes récentes dans le cadre d’une rétrospective. Il s’agit ici d’un cas extrême.
Mais l’âge légal ne signifie rien dans de nombreux métiers, et pas seulement les professions libérales. Dans la vie politique, beaucoup rechignent à prendre du champ. Les prêtres ne s’arrêtent pas davantage à 60 ans. Un dossier du journal La Croix rappelait récemment que la moitié des 14.000 prêtres français incardinés, c’est-à-dire en poste dans leurs diocèses respectifs, ont plus de 75 ans. Il y a enfin les agriculteurs. Dans cette étude de l’Insee, qui aborde la question de la contraction de la population active, dans la région Poitou-Charentes, on observe qu’entre 1999 et 2015, la part des actifs de plus de 50 ans passe de 21 à 24 % (+ 3 %). Le rythme de progression est trois fois plus rapide dans les cantons ruraux [Montmorillon, Saintonge, Charentes (haute et sud), Cognac, nord Poitou] que dans les cantons urbains de La Rochelle (+ 3 %) et de Poitiers (+ 4 %).
Même si l’on ne s’intéresse qu’aux seuls inactifs, de grands différences séparent les célibataires, veufs ou non, de ceux qui vivent encore en couple. Certains peuvent s’appuyer sur des enfants, trouver réconfort chez des petits-enfants. D’autres n’ont pas cette chance. Quoi qu’il en soit, le groupe évoqué par monsieur Hortefeux ne présente d’homogénéité que superficiellement. Mais il s’apitoie à juste titre. « Cette réalité du vieillissement porte en elle une conséquence logique : avancer dans l’âge, c’est devenir plus vulnérable. » Etant donné qu’il s’adresse à des gendarmes, j’attends la suite sans impatience : il va parler des difficultés du monde rural, de l’éloignement des personnes âgées vivant plus ou seules, sans services ni commerces à proximité. Comment la gendarmerie doit-elle (ou peut-elle) rompre l’isolement de personnes vivant à l’écart de tout. Et puis je saisis soudain l’ampleur de l’erreur. « Plus faibles physiquement voire plus isolés socialement que la moyenne de la population, nos aînés constituent alors, pour les délinquants, des proies plus faciles. »
Le ministre annonce quelques chiffres. Tous nuisent à sa démonstration. « Les aînés sont victimes des deux tiers des vols avec ruse. » En même temps, les voleurs de trottinettes ou de smart-phones frappent surtout les jeunes, je le suppose en tout cas. Et si les aînés se plaignent davantage de cambriolages, il faut garder en mémoire que d’une part leur patrimoine immobilier surpasse en moyenne celui des générations précédentes. Leur localisation est d’autre part, particulièrement déterminante. Sur cette carte de l’Insee consacrée au phénomène en Poitou-Charentes les périphéries de Poitiers, La Rochelle, Rochefort et Angoulême se distinguent nettement : « Une zone périurbaine avec, également, très peu de résidences secondaires. Les propriétaires résident pour la plupart dans la région et sont relativement âgés (plus de 60 ans). » [Insee] Dans l’Auxerrois, j’ai montré en son temps l’importance du sentiment d’insécurité au milieu de la campagne périurbaine [A Lindry, personne n’y pense, mais tout le monde rit].
« Je n’accepte pas et n’accepterai jamais que les personnes âgées, notamment lorsqu’elles habitent seules, aient à vivre dans la crainte permanente d’une agression ou d’un cambriolage. J’avance, en effet, avec un principe simple : c’est l’honneur d’une société que de protéger ses aînés. » Fermez le ban. Monsieur Hortefeux propose par conséquent de punir plus fortement (Les hommes de main, les tortionnaires et les bourreaux font souvent leurs classes derrière les barreaux) les criminels. Quant au plan d’action, il se compose d’idées phares plutôt que d’accroissements des effectifs. L’opération tranquillité seniors se concrétisera par une « sensibilisation de différents acteurs » et par « des actions de protection de proximité ». De peur que ses propos dépassent l’entendement de ses auditeurs, le ministre se fait soudain plus explicite. Il exige que ses services établissent une liste des personnes âgées isolées pour parer à toute nouvelle hécatombe climatique pendant les périodes de congés. Et durant l’année ? Des bénévoles prendront le relais : voisins et familles ! Contre la malveillance, monsieur Hortefeux en appelle à la vigilance... De ceux qui s’occupent habituellement des personnes âgées.
« Pour ce faire, il convient d’abord de sensibiliser les différents acteurs qui sont au contact quotidien de ces personnes. Je pense notamment aux services sociaux, aux associations d’aide à domicile, aux postiers. » Aux gendarmes et aux policiers, le ministre recommande de multiplier les rondes et les opérations de sensibilisation. Ils apprécieront d’être jugés jusque là sous-utilisés. Au bout du compte, je ne relève qu’une vraie nouveauté. Elle concerne la réception d’une plainte au domicile des personnes âgées. Celle-ci deviendrait la règle. On s’étonnera que cette mesure figure dans la liste des parades contre les agressions. L’encadrement juridique des sociétés de sécurité privée me semble enfin hors-sujet. Si la question se posait vraiment, elle démontrerait l’incapacité des pouvoirs publics, ce que je ne puis envisager.
Le gouvernement s’attaque à la maltraitance dans les maisons de retraite annonce en outre La Croix. De quoi s’agit-il ? En octobre, plusieurs plaintes dans une maison de retraite de Bayonne ont conduit à sa fermeture. Dans la foulée, la secrétaire d’Etat aux aînés a diligenté des enquêteurs dans 2.800 unités de vie ou logements foyers, sur l’ensemble du territoire national. Un peu moins de 10 % (270 exactement) souffrent de sous-effectif. Cela manque sans doute de croustillant, car Nora Berra a tenu à dramatiser la situation. Dans les établissements incriminés, les résidents pâtiraient d’une « forme de maltraitance en soi car ne disposant pas du personnel qualifié pour assurer les soins. » Comme les patients vieillissent et qu’ils sont déjà âgés, leur état se détériore en moyenne, avec parfois le développement de pathologies séniles. Les établissements doivent alors faire face à un besoin accru de personnels. Dans les quatre mois qui ont suivi l’enquête, un tiers des établissements ont réussi à embaucher. Les autres rencontrent manifestement plus de difficultés. Il ne faut cependant pas prendre nos aînés pour des neuneus. En 2009, il y aurait eu 420 cas de maltraitance en France, dont moins de la moitié dans des établissements pour personnes âgées. Le phénomène est statistiquement inexistant.
Comparés aux dizaines de milliers de personnes âgées vivant dans une complète exclusion, avec une retraite minimale et un cadre de vie dégradé, le gouvernement se trompe visiblement de priorité. Je suppose néanmoins que l’électeur âgé apprécie plus une rhétorique paternaliste – on (moi surtout) vous aime et on (les autres) s’occupe de vous – qu’une analyse rigoureuse de la situation des aînés – seniors.
PS./ Dernier papier de Geographedumonde sur la question du vieillissement : Les voyages déforment la vieillesse.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-vieux-aines-ou-neuneu-76443