Il est temps de passer à l'heure civique

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

L’Heure civique, ou comment transformer en bénévoles celles et ceux qui n’ont pas le temps de l’être : « Ils croient ne donner qu’une heure par mois, mais on les contamine »

Un nombre croissant de villes utilisent ce dispositif qui fait appel à la solidarité des habitants, en mobilisant ponctuellement des volontaires pour aider à sortir les poubelles d’une personne âgée ou à nettoyer les rues, et ainsi créer du lien social. 


Dis, ce mois-ci, t’aurais pas une heure ? Rien qu’une petite heure pour un coup de main dans la commune ? « La force du dispositif, c’est qu’il est difficile de répondre non »sait Atanase Périfan. Avec une petite dose de roublardise et un excès d’enthousiasme, l’inventeur de la Fête des voisins, en 1999, puis de l’association Voisins solidaires, réussit un nouveau tour de magicien du lien social. Transformer en bénévoles ceux qui n’ont pas franchement le temps de l’être.

L’ingénieux dispositif de sa création s’appelle L’Heure civique. Et de jour en jour, de mois en mois, il se répand un peu partout en France. Lancée, fin 2021, dans le 17e arrondissement de Paris – où Atanase Périfan est adjoint au maire (Les Républicains, LR), Geoffroy Boulard, chargé de la mobilisation solidaire –, puis testée en Charente-Maritime (M. Périfan y possède une résidence secondaire, sur l’île d’Oléron), L’Heure civique a ensuite été adoptée par les départements de la Vendée, du Finistère, de la Mayenne et du Val-de-Marne, par 201 communes en France et un total de 18 723 volontaires que l’on se garde bien de nommer « bénévoles », de peur de les effrayer.

Surtout, ne pas donner l’impression qu’ils devront revenir tous les jeudis soir de l’année à 19 heures. Encore moins rédiger le compte rendu de l’assemblée générale. Si l’on se met à L’Heure civique, ce n’est que ponctuellement, promis. Le maire lance un appel à la mobilisation de volontaires pour une poignée d’actions dont le besoin se fait sentir dans la commune. Quiconque le souhaite s’inscrit en mairie ou sur une plateforme Web, puis est mis en relation avec le particulier ou l’association qui a appelé à l’aide, à moins qu’il ne soit embarqué dans une initiative municipale.…

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…. Ce vert village de bord de marais connaît la même crise du bénévolat que toutes les communes. Certes, près d’un quart (24 %) des plus de 15 ans donnent de leur temps à une ou plusieurs associations, comptabilise François Bouchon, qui préside l’association France Bénévolat : « Mais, pour les postes à responsabilité, les associations ont du mal à recruter, hormis les plus connues, comme Les Restos du cœur ou la Croix-Rouge. Le bénévolat régulier baisse, surtout depuis une quinzaine d’années. Les gens rechignent devant la routine d’engagement. » Nouveaux retraités en tête, précise-t-il. « Leur temps est pris par leurs propres parents très âgés, les petits-enfants, les amis, les loisirs, les voyages, les écrans… D’où l’intérêt de L’Heure civique, de ce bénévolat d’action. C’est un premier chemin d’engagement. »

Engagement formule « light »Sans la contrainte que rejette une époque aux rythmes accélérés. A Treize-Septiers (3 500 habitants), dans le bocage de Vendée, une soixantaine de volontaires se relaient depuis 2003, notamment pour pousser les pédales du triporteur électrique qui balade les résidents de l’Ehpad. « On les emmène voir leur ancienne maison dans les hameaux excentrés du bourg. Ils reviennent contents, nous aussi. Mais je ne le fais pas tous les jeudis matin, on a créé un groupe WhatsApp, on demande : “Qui est dispo ?” »précise Bruno Poirier, 62 ans, chauffeur routier à la retraite. Un professeur de physique-chimie initie des septuagénaires à l’informatique. D’autres sculptent poissons ou crayons monumentaux en bois, dans une tentative d’égayer le village au fil des saisons.

« Ce sont des bénévoles un peu différents de ceux qu’on connaissait dans nos communesnote la maire (LR) de Treize-Septiers, Isabelle Rivière. De jeunes seniors hyper en forme, qui n’ont pas envie de faire partie du bureau d’une association, mais qui me disent : “Si tu as besoin, tu peux compter sur moi.” Ils croient ne donner qu’une heure par mois, mais on les contamine. Une fois qu’ils ont installé les stands de la fête de l’Ehpad, ils restent prendre l’apéro, des liens se créent… »

« Les Français sont en quête de sens et de rencontres »

Du côté de la très attrayante commune de Concarneau (Finistère), Fabienne Le Calvez, l’adjointe aux solidarités (du maire de centre droit, Marc Bigot) dispose d’un contingent de 200 volontaires qui, là aussi, arrivent en renfort « face au vieillissement accéléré de la population ». L’élue poursuit : « 41 % des Concarnois ont plus de 60 ans. Nous avons des besoins importants par rapport à l’isolement de certains. Avec L’Heure civique, on n’a rien inventé. Si l’entraide se fait de façon informelle, on dit : “Très bien, continuez !” Mais il y a des personnes âgées qui n’osent pas demander à leurs voisins, alors on les met en relation avec quelqu’un du quartier. » Qu’il s’agisse de sortir une poubelle ou de les conduire au thé dansant. Dernière idée en date, expose-t-elle : « Un ticket pour deux, au cinéma. La place de celui qui accompagne est offerte. Et après, les deux prennent un petit verre pour discuter. »

En chasuble bleu roi, les « donneurs d’heure » « révèlent que de belles choses se déroulent dans la commune »,contribuant à une « stratégie de mobilisation »résume Atanase Périfan. Lui, le « gaulliste social », espérait qu’une politique publique pérennise « l’incroyable élan de solidarité » des temps de pandémie : « Les gens ont hébergé des infirmières, cousu des blouses, fait les courses de personnes âgées que leurs aides-ménagères ne pouvaient plus venir voir… » Faute d’impulsion, le soufflé est retombé.

Pourtant, poursuit-il, « les contraintes financières et le vieillissement de la population fragilisent notre beau modèle social, alors qu’il y a des gisements de générosité chez les Français, une ressource citoyenne dont les communes peuvent disposer. Malgré le climat anxiogène, les Français sont en quête de sens et de rencontres. Il n’y a qu’à voir la patate des volontaires ! » La preuve ? Quelque 20 % d’entre eux finissent par intégrer une association. Peut-être même qu’un jour ils rédigeront le compte rendu de l’assemblée générale.

Par Pascale Krémer ; Publié dans Le Monde du 27 avril 2025 

https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2025/04/27/l-heure-civique-ou-les-joies-du-benevolat-light-il-n-y-a-qu-a-voir-la-patate-des-volontaires_6600514_4497916.html

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