C'est quand même minable de devoir continuer à travailler
Jeunes retraités, ils ont repris le chemin du travail pour parvenir à boucler leurs fins de mois : ménage, travaux saisonniers, garde à domicile de personnes âgées... Témoignages :
Colette Lévèque, 59 ans, Gironde.
Colette le dit sans ambages : elle ne fera pas "ça" toute sa vie. "Ça", ce sont des heures de ménage déclarées dans les bureaux. Taux horaire : 9,25 euros brut. Des remplacements. "Trois semaines par ci, deux par là et des mois où je ne travaille pas du tout", explique cette ancienne salariée de France Télécom. Très tôt le matin ou après le départ des employés en soirée, elle arpente les mètres carrés avec sa chiffonnette et son aspirateur. "Un travail qui n'est pas très gratifiant", mais qui a des avantages : "On n'a pas besoin de qualification particulière, personne sur le dos et les horaires sont souples", relativise cette jeune retraitée, divorcée et mère de trois grandes filles.
Certains jours, les grandes surfaces, les escaliers, le temps qui est minuté pèsent un peu plus lourd que d'habitude, alors elle pense aux 300 euros net que va lui rapporter un remplacement de trois semaines. Colette Lévèque a bénéficié d'une retraite à 55 ans, après avoir fait toute sa carrière chez l'opérateur téléphonique.
BESOIN D'UN "PETIT PLUS"
Employée aux renseignements, au service après-vente puis au commercial, elle perçoit aujourd'hui 965 euros de pension. Un petit complément devrait arriver dans deux ans, résultat de quelques années de travail dans le privé. En attendant, elle a besoin d'un "petit plus". Une fois les charges fixes déduites, elle doit vivre avec 350 euros. "J'y arrive, je n'en suis pas à tout supprimer, mais c'est juste."
En dehors des ménages, elle effectue parfois des travaux saisonniers. Depuis deux ans, au moment des fêtes de fin d'année, elle donne un coup de main au conditionnement des huîtres. Un job "bien payé", 500 euros pour deux semaines, trouvé grâce à une connaissance. Mais qui l'empêche de passer ses vacances de Noël en famille.
Ghislaine(a requis l'anonymat), 61 ans, Drôme.
Elle a cumulé 206 trimestres, bien au-delà de ce qui est nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Mais elle continue à travailler. Ménage, garde à domicile de personnes âgées, ramassage des fruits... elle est "partante pour tout". Son tarif : 10 euros de l'heure, souvent non déclarés, pour des petits boulots trouvés par le bouche-à-oreille ou par le biais des sites spécialisés. Il y a les "bons mois" à 300 euros et les moins bons où elle ne gagne que 25 euros, mais, pour l'instant, elle est toujours arrivée à améliorer l'ordinaire.
Pourtant, depuis quelque temps, "c'est plus difficile". "A la mairie, où je suis allée voir s'il y avait des petites annonces, on m'a dit : 'Madame, vous n'êtes pas la seule à chercher.'" Malgré ses longues années de cotisation, Ghislaine ne dispose que de 885 euros par mois, "retraite complémentaire comprise", précise-t-elle. En apprentissage dès l'âge de 14 ans, la sexagénaire a multiplié les métiers. Trente ans dans la couture, avant le commerce et la restauration. Toujours payée au smic.
Mère divorcée de quatre enfants, Ghislaine a toujours dû jongler avec son budget et, même quand elle était en activité, elle cumulait. Locataire d'un petit studio à 300 euros par mois, il ne lui reste pas grand-chose une fois payés le gaz, l'électricité, la mutuelle, les assurances et l'essence de sa vieille voiture, 26 ans d'âge. Un indispensable quand on vit au pied du Vercors, "en pleine cambrousse". "La première chose que je fais dès que j'ai des sous, c'est le plein."
Malgré son mal de dos, quelques petits problèmes cardiaques, elle a "la pêche". Tout juste de temps en temps se dit-elle "que c'est quand même minable, après avoir travaillé toute sa vie comme une fada, de devoir continuer".
Bernadette Barsotti, 63 ans, Bouches-du-Rhône.
C'est parce qu'ils ont un "deuxième foyer" que Bernadette et son mari, tous deux retraités, travaillent. Pour cette ancienne secrétaire médicale, mère de deux enfants et grand-mère de deux petits-enfants, qui a fait toute sa carrière à l'assistance publique de Marseille, pas question, "quand on a des enfants, de ne pas assumer". Le couple touche en tout 2 700 euros de pension, mais, avec un fils qui fait des études supérieures dans une autre ville, Bernadette estime que "ce n'est pas suffisant" pour payer un loyer supplémentaire, les frais de scolarité et d'entretien de l'étudiant.
"CERTAINS EMPLOYEURS SE PERMETTENT DE TIRER SUR LA CORDE"
Dès le lendemain de son départ à la retraite, il y a trois ans, Bernadette a repris le chemin du travail. Pendant deux ans, secrétaire médicale chez un médecin, elle a enchaîné les heures, payées au smic. "Sous prétexte que vous êtes retraité, et que vous avez déjà une pension, certains employeurs se permettent de tirer sur la corde. Quand la femme de ménage était en congés, je devais nettoyer le cabinet médical, et je ne vous parle pas des heures supplémentaires jamais payées."
Depuis un an, Mme Barsotti assure ponctuellement des remplacements chez des médecins. Son époux, ancien vendeur en literie, fait quelques extras dans un magasin. Bernadette l'affirme : ce n'est pas par plaisir qu'elle travaille. "Bien sûr, mon fils pourrait avoir un petit boulot, mais ça se ferait au détriment de ses études. C'est un deal entre nous, on l'aide, mais il n'a pas droit au redoublement."
Quand son "petit dernier" sera sur les rails de sa vie professionnelle, elle arrêtera : "J'ai adoré mon métier mais, après quarante ans de bons et loyaux services, on a envie d'en profiter un peu et puis, on a beau bien se tenir, on sent les années."
Par Catherine Rollot
| 27.08.2012