En soins palliatifs, « l’utilité sociale » des bénévoles pour « éviter que des personnes ne meurent seules »

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Ils sont 5 000 en France, repartis dans près de 360 associations, à rendre visite aux patients en fin de vie. Doubler leur nombre est un objectif de la « stratégie décennale de développement des soins palliatifs » portée par le gouvernement depuis 2024. 

Chambre 105, au premier étage de l’Institut Curie, à Paris, le 20 mai. Sybille Adam, bénévole depuis vingt-deux ans dans l’établissement, écoute Régine (les personnes citées par leur prénom n’ont pas souhaité donner leur nom), hospitalisée pour le traitement d’un cancer. « Pour l’instant, ça va !, glisse la malade d’une petite voix. Mais si j’ai trop mal, je voudrais partir plus tôt pour ne pas souffrir. Je demanderai la piqûre si la loi l’autorise un jour. » « Vous en avez parlé au médecin ? », demande Mme Adam, agenouillée au pied du lit« Ah, non ! On verra. Je vous dis cela, mais peut-être que quand le couperet sera là… » Assis près d’elle, son mari, Bruno, l’interrompt : « Régine est en acier inoxydable ! » « Ça fait du bien d’échanger », sourit la patiente, qui s’est redressée dans son lit, au terme de la rencontre.

Sybille Adam coordonne avec Sylvie de Quatrebarbes une équipe de cinq bénévoles à l’Institut Curie, tous intégrés au sein de l’unité mobile de soins palliatifs de l’institution. L’une est ancienne professeure des écoles, l’autre ex-graphologue. Elles ont leur prénom sur un badge, toquent aux portes, avec l’accord des médecins, offrent chaque semaine du temps à des malades qu’elles ne reverront peut-être pas et d’autres qu’elles accompagneront jusqu’à leur mort. Ce jour-là, Mme de Quatrebarbes s’est assise à côté d’Annick, hospitalisée aussi pour un cancer. Un « moment suspendu dans une relation d’égale à égale », résume la bénévole. Près d’une heure s’est écoulée pendant laquelle Annick a pu parler des « petits plaisirs de la vie ». Et oublier la chimiothérapie en cours.

Ces bénévoles qui accompagnent les personnes très malades ou en soins palliatifs sont 5 000 actuellement en France, répartis dans quelque 360 associations. Ils étaient près d’un millier de plus, il y a dix ans. Après une érosion des effectifs, leur nombre augmente légèrement depuis trois ans. « Nous sommes bien loin d’avoir les équipes suffisantes », explique Olivier de Margerie, président de la Fédération Jusqu’à la mort accompagner la vie, qui regroupe 72 associationsLes bénévoles sont présents d’abord dans les hôpitaux, mais la demande est forte dans les Ehpad et monte pour intervenir auprès des mourants à domicile.

« Mobiliser la ressource citoyenne »

Doubler le nombre des bénévoles dans les dix ans : l’objectif figure dans la « stratégie décennale de développement des soins palliatifs », publiée en 2024 par l’exécutif, dans le cadre du débat national sur la fin de vie, voulu par Emmanuel Macron. Un doublement estimé indispensable par le professeur Franck Chauvin, qui a remis, en 2023, au ministère de la santé le rapport qui a inspiré la « stratégie ». Pour mieux accompagner la fin de vie, il faut « l’implication de tous et pas seulement des professionnels de santé », insiste le cancérologue.

Le même constat a été dressé, jeudi 19 juin, à la tribune du congrès de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), à Lille, par le sociologue Tanguy Châtel. Les besoins liés au vieillissement de la population, la crise du système de santé font que, « dans les dix ans qui viennent, il va falloir s’appuyer impérativement sur la société civile ». Il y a urgence, a expliqué ce spécialiste de la fin de vie« à mobiliser la ressource citoyenne ».

Pour que ces appels à la mobilisation « civique » aient des chances d’être entendus, encore faudrait-il que le bénévolat en soins palliatifs soit connu. Or« les gens nous demandent ce que nous faisons, à quoi nous servons. Certains nous disent même : “Se rendre au chevet de gens qui vont mourir : à quoi bon ?” », déplore Marie-Martine Georges, présidente de la Fédération Alliance, qui regroupe cinq associations de bénévoles dans le Sud-Ouest.

Les bénévoles ont été « des moteurs du développement des soins palliatifs en France, dans les années 1980 », explique Pierre Moulin, maître de conférences en psychologie sociale à l’université de Lorraine. Ce qui n’empêche pas, poursuit ce spécialiste de l’histoire de la mort, qu’ils « se soient habitués à rester sur un strapontin, à l’ombre du pouvoir médical. Ils ne savent pas valoriser leur utilité sociale, alors qu’ils jouent un rôle essentiel pour éviter que beaucoup de personnes ne meurent seules, voire abandonnées ».

Difficile de faire comprendre « ce que nous sommes, dit Olivier de Margerie. On a une posture rarissime dans la société. Nous n’avons ni science à délivrer ni conseils spirituels à prodiguer. Notre seul projet est de ne pas en avoir quand nous entrons dans une chambre. Sinon de permettre par notre présence à une personne dont l’existence est menacée par la maladie de dire ce qu’elle vit, ses émotions ».

Inquiétudes sur les financements

Jeannine LeNormand, ancienne infirmière, bénévole à Vannes, a une image : « Les bénévoles sont une oreille sur un tabouret. » Ce qui ne veut pas dire qu’il faut « nous confondre avec de simples visiteurs, encore moins des aumôniers d’hôpitaux », ajoute la déléguée pour la Bretagne du mouvement Etre-là.

Toutes les associations agréées pour intervenir dans les établissements (hôpitaux, Ehpad) ont dans leur charte le « respect des valeurs de laïcité, s’engagent à ne faire aucun prosélytisme. On nous apprend à être dans une écoute totalement neutre », insiste François Mayu, bénévole à l’Institut Curie. Mais les idées reçues ont la vie dure. « Il m’est arrivé d’entendre une patiente me dire : “Mon père, il faut que je me confesse”, sourit ce peintre et sculpteurJe lui ai répondu que je n’étais pas là pour ça ! »

Il ne faudrait pas croire que l’« on recrute nos bénévoles dans les paroisses ! », lance Matthieu Lantier, directeur national du mouvement Etre-là, qui regroupe 1 500 bénévoles au sein de 50 associations. « On voit du reste arriver, aujourd’hui, de plus en en plus de jeunes actifs, en quête d’un engagement. »

Depuis 2000, les associations reçoivent une subvention de la Caisse nationale de l’Assurance-maladie (CNAM) en vertu de la loi de 1999 sur le droit d’accès des malades aux soins palliatifs. Le texte reconnaît bien le rôle des bénévoles et prévoit leur formation.

Mais l’enveloppe annuelle de la CNAM – environ 1 million d’euros depuis quinze ans – n’a pas été augmentée. A l’origine, elle couvrait « jusqu’à 75 % des coûts de la formation », calcule Matthieu Lantier« Aujourd’hui, le plafond maximal couvert par cette somme est de 50 %, déplore-t-il. On a une réelle inquiétude sur nos financements, surtout s’il s’agit de doubler le nombre de formations en dix ans… »

Un engagement loin d’être mortifère

Il reste un autre défi : parvenir à convaincre que, loin d’être mortifère, cet engagement donne, au contraire, « un regain de vitalité » à ceux qui s’y consacrent. Beaucoup tentent de faire comprendre ce paradoxe. Magali, qui intervient à l’Institut Curie, évoque « des moments de partage intimes avec des malades, parfois des présences en silence auprès d’eux lorsqu’ils ne peuvent ou ne veulent pas parler ». Autant d’expériences, dit-elle, qui la « ramènent à l’essentiel ». En sortant de Curie, « il m’arrive souvent, dit-elle, d’être tout simplement heureuse de pédaler sur mon vélo ». Ce que lui apporte ce bénévolat, dit Mme Georges, est très « singulier. J’ai parfois l’impression d’être en connexion au-delà de mots avec une personne malade, dans une relation sans filtre d’une extrême vérité ». Elle en sort « vidée parfois, mais cela me porte énormément ».

Si la plupart des personnes formées se consacrent en priorité à l’écoute des malades, d’autres pratiques se développent. Au congrès de la SFAP ont été présentées des expériences vantées comme des « modèles innovants »« Nous sommes une dizaine de bénévoles dédiés à l’organisation de moments de convivialité, a expliqué, à la tribune, Isabelle Briand, membre de l’association Pallia-Aide, au sein du service de soins palliatifs de l’hôpital public de Nice. On entre dans les chambres en offrant un gâteau, une glace, on propose des apéros. On fête les anniversaires. Il nous est arrivé d’organiser le mariage d’une patiente qui nous l’a demandé. On a délibérément choisi d’être des bénévoles de service. »

En France, les associations ont historiquement valorisé le bénévolat d’écoute aux dépens de celui d’action. Une hiérarchie qui tend à s’estomper sur le terrain. De plus en plus souvent, les bénévoles s’impliquent dans l’animation des Ehpad ou des services hospitaliers qui leur ouvrent leurs portes. Avec une limite qu’ils ont bien en tête : ils ne peuvent suppléer des blouses blanches dans un contexte de pénurie de soignants.

Béatrice Jérôme

Publié le 21 juin 2025 dans Le Monde 

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