La fin de la dispense de recherche d’emploi pour les chômeurs âgés, ou l’art du contretemps

Publié le par Orgris

La LOI n° 2008-758 du 1er août 2008 relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi, est  un magnifique exemple sens du contretemps de ce quinquennat en matière de politique de l’emploi. Elle crée en effet  l’obligation pour les demandeurs d’emploi d’accepter, sous peine de perte de leurs droits, une offre raisonnable d’emploi, juste quelques semaines avant le déclenchement de la crise financière qui va radicalement changer de contexte, crise dont le Président de la République vient, enfin, d’admettre lors de ses voeux aux Français que notre pays n’était pas sorti

L’article 4 de cette loi stipule :

“A compter du 1er janvier 2012, l’article L. 5411-8 du même code est abrogé et le deuxième alinéa de l’article L. 5421-3 du même code est supprimé.”

“Avant le 30 juin 2011, le Gouvernement dépose au Parlement un rapport sur l’impact sur le retour à l’emploi des intéressés de la suppression progressive de la dispense de recherche d’emploi et, le cas échéant, au vu de ces éléments, sur l’opportunité d’un aménagement de la législation.”

Le deuxième alinéa crée une obligation pour le Gouvernement que celui-ci n’a pas accompli six mois après la date mentionnée dans la loi, comme le relève justement Actuchômage.  Alors que l’ensemble de l’article est introduit dans la loi par le vote d’un amendement de la rapporteure, Marie-Christine Dalloz, députée UMP du Jura, le gouvernement retient un paragraphe et ignore l’autre. Que se passe-t-il quand le gouvernement ne remplit pas une obligation que le législateur a créée ? Dans notre pays, rien !

Le premier alinéa, lui, entre en application ce 1 janvier 2012 : il n’y a plus à compter de cette date de dispense de recherche d’emploi pour les plus âgés des demandeurs, ceux qui sont inscrits à Pôle emploi en attendant que leur âge leur permette de bénéficier de leur retraite.

Cette mesure avait été mise en place par pragmatisme, face aux constats qu’à quelques mois de la retraite, il était le plus souvent illusoire de chercher un nouveau travail. Elle pouvait avoir du sens dans le contexte du début de l’année 2008 d’amélioration de la situation de l’emploi, que résume une intervention de Laure de La Raudière, députée UMP d’Eure et Loir, qui a rappelé que l’engagement du Président de la République d’atteindre le plein-emploi en 2012 correspondait aux attentes des Français”, phrase extraite du compte rendu de la séance de la commission des  Affaires économiques qui mérite d’être rappelée, tant elle met, avec une certaine cruauté, en évidence la différence entre l’objectif et la réalité.

Elle  supposait qu’elle soit accompagnée pour avoir du sens. Le compte rendu de la séance où ce texte est débattu à l’Assemblée Nationale le 17 Juilet 2008 montrait des craintes que cette suppression de la dispense de recherche d’emploi ne soit pas accompagnée des mesures en faveur de l’emploi de seniors rendant la recherche un tant soit peu efficace, selon l’expression de Martine Billard, députée Verte de Paris “Vous enlevez le filet de sécurité avant de mettre le harnais !”

Aujourd’hui qui peut croire que les services de Pôle emploi, alors qu’ils accueillent ces derniers temps des demandeurs d’emploi toujours plus nombreux (voir 5 201 300 inscrits à Pôle emploi fin Novembre 2011 : record absolu battu), auront la possibilité d’assurer à ces demandeurs un accompagnement renforcé, alors que les perspectives de retour à l’emploi sont bien faibles, et que les seniors sont la catégorie où le chômage augmente le plus, + 15 % en un an. Ce que résume le numéro 2 de la CFDT, Laurent Berger : « La mesure arrive à contretemps. Le problème actuel n’est pas de pousser les gens à chercher un emploi mais de leur en trouver un ». Challengesne titre-t-il pas “Les 55-64 ans sacrifiés sur le marché de l’emploi ?

Techniquement cela va se traduire par un changement de catégorie dans les statistiques de Pôle emploi : ceux qui étaient jusqu’à présent classés en catégorie D, non obligés de faire des actes positifs de recherche d’emploi, vont donc passer progressivement en catégorie A, car ils ne travaillent pas et recherchent (sans beaucoup d’illusion) un emploi à plein temps, augmentant ainsi cette catégorie, la plus sensible médiatiquement. Comme cette mesure va entrer en application progressivement, pour les nouveaux demandeurs inscrits depuis le 1er janvier 2012, on va voir cette évolution produire des effets progressivement durant l’année 2012. Etait-ce bien le but recherché ? Y-a-t-il un pilote ?

Comment illustrer plus clairement le principal reproche qui peut être fait à la politique en matière d’emploi conduite depuis 2007, à savoir le refus de comprendre que la crise imposait de reconsidérer ce qui avait été mis en place en 2007-2008 dans un contexte d’amélioration de la situation de l’emploi et de perspective de retour au plein emploi ? C’est le refus d’accepter ce qui apparaissait portant comme une évidence, la nécessité de changer de priorités, parce qu’on entretenait l’illusion que la crise allait se terminer, se terminait, était terminée…

Pour notre part (Michel Abhervé)nous avions écrit sur ce blog le 19 décembre 2008, en conclusion d’un article intitulé “La crise change la politique économique de l’Etat, elle doit changer sa politique de l’emploi“, la phrase suivante : nous pourrions citer bien d’autres exemples montrant qu’en matière de politique de l’emploi, l’Etat poursuit en droite ligne une politique construite dans un autre contexte.” Trois ans plus tard, comment ne pas regretter de ne pas avoir été entendu ?

Cet article a été posté le Lundi 2 janvier 2012 dans la catégorie chômage et pôle emploi pour Alternatives économiques. Vous pouvez envoyer un commentaire en utilisant le formulaire ci-dessous.

Michel Abhervé pour Alternatives Économiques

 

http://alternatives-economiques.fr/blogs/abherve/2012/01/02/1970/logo alternatives économiques

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