Non, monsieur Le Maire, les plus de 55 ans ne sont pas des chômeurs comme les autres, par Samira Sedira
Une fois de plus, les catégories les plus fragiles sont vues comme un vivier d’économies, comme le montre la volonté de Bercy de réduire la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi les plus âgés : un billet de Samira Sedira
En France on a des idées, mais pas toujours les bonnes. Pour faire des éconocroques, on n’a jamais rien trouvé de mieux que la politique de la greffe : raboter ici pour colmater là-bas. Et, comme toujours, c’est en direction des plus vulnérables que les regards se tournent en premier.
Le Sénat a ainsi adopté la suppression de l’Aide médicale d’Etat pour les travailleurs étrangers en situation irrégulière et l’a remplacée par une aide d’urgence d’Etat (un panier de soins réduits). Ce que les sénateurs n’ont visiblement pas compris, c’est que refuser l’accès aux soins à des personnes en situation de grande détresse ne réglera ni la question migratoire ni celle de l’inflation, mais donnera naissance, au contraire, à de nouvelles problématiques.
Bon pour la casse
Jeudi 23 novembre, ce fut au tour du ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, de nous exposer ses solutions pour la France. Là encore, on décide de s’attaquer aux plus vulnérables. Le ministre propose un alignement de la durée d’indemnisation des chômeurs de plus de 55 ans avec celle des autres demandeurs d’emploi : « Si vous avez plus de 55 ans, la durée d’indemnisation, c’est vingt-sept mois, alors qu’aujourd’hui le lot commun c’est dix-huit mois. Pourquoi ?» s’est interrogé le ministre. Oui, pourquoi monsieur Le Maire ? Il est étonnant de constater que vous n’avez toujours pas réfléchi à la question. Si vous vous étiez un tant soit peu penché sur le sujet, vous auriez découvert que, selon une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, une personne sans emploi de plus de 50 ans demeure plus longtemps au chômage qu’un demandeur plus jeune (771 jours contre 349 jours).
Quelle conclusion tirer de ce triste constat ? Tout simplement qu’à partir de 50 ans, on est bon pour la casse. Un vieux sur le marché du travail n’attire plus grand-monde. Mais j’imagine que cela ne vous a pas échappé. Et c’est sans doute pour pallier cette injustice que vous avez décidé de raboter l’indemnité chômage des plus âgés. Cette solution miracle serait profitable à tous : à vous, aux caisses de l’Etat, aux vieux chômeurs qui auraient enfin l’occasion de réinventer leur vie, et aux employeurs qui pourraient profiter de la grande expérience des plus âgés. Curieuse technique. C’est comme sortir un sans-abri de son foyer d’hébergement d’urgence pour l’inciter à se trouver un logement !
Du côté où la chair est plus fraîche
Il est utopique de penser qu’un chômeur de 55 ans n’aura pas trop de difficulté à retrouver un travail. N’oublions pas que, passé 45 ans, le salarié développe un don : celui de l’invisibilité. Et si, en plus, il a le malheur d’être lourdé, les employeurs qu’il sollicitera en nombre lorgneront toujours du côté où la chair est plus fraîche. La société est ainsi faite que les entreprises ne recrutent pas les seniors jugés trop chers et peu enclins au changement. Autrement dit, un vieux n’est plus ni désiré ni désirable. C’est un boulet. En proposant un alignement de la durée d’indemnisation des plus de 55 ans aux autres chômeurs, vous ne ferez qu’aggraver la situation de centaines de milliers de personnes qui, en plus de se retrouver sans emploi, se retrouveront sans revenu décent. On appelle ça fabriquer du malheur avec du malheur. Et vous aurez beau marteler, monsieur le ministre, que la société a besoin des anciens et de leur expérience, vous ne rencontrerez partout qu’indifférence et incrédulité. N’essayez pas de nous faire croire que nous sommes libres de choisir, nous ne le sommes pas.
Billet de Samira Sedira, comédienne et écrivaine française ; elle a été femme de ménage pendant ses années de galère, veut favoriser l’émancipation des filles d’immigrés ; elle a écrit l'Odeur des planches (Rouergue), Majda en août (Rouergue).
publié le 26 novembre 2023 dans Libération