"Les Vieux" : un documentaire aux confins de la vie, d’une grande force
Ce soir, on va au ciné voir "Les Vieux"
Corses ou bretons, en couple ou pas, en Ehpad ou non... Ils ont plus de 80 ans et racontent face à la caméra de Claus Drexel, avec leur corps et leurs mots, mille façons d’être vieux.
Parfois, la qualité majeure d’un film est incidemment formulée par l’un de ses personnages. Dans ce documentaire, une dame très âgée parmi d’autres fait l’éloge de la diversité du vivant, prenant l’exemple d’un pré et de ses innombrables variétés de fleurs. Un même constat s’impose à l’endroit de ces « vieux » auxquels le réalisateur Claus Drexel donne la parole. Leur âge (plus de 80 ans) mis à part, elles et ils reflètent des situations si disparates, expriment des points de vue si contrastés qu’ils font exploser la catégorie sociale supposée les définir.
« J’en ai marre. On ne devrait pas vivre aussi vieux », dit une centenaire qui éprouve, avant tout, un lourd sentiment d’inutilité. Mais un homme de 88 ans, qui a pris sa retraite seulement six ans auparavant, déclare, lui, « profiter » et affirme qu’il occupe toujours une place dans la société. Pas seulement celle de grand-père, mais aussi celle de voisin, de client des commerces ou, plus important, de quelqu’un dont l’estime et l’affection comptent pour plusieurs autres.
Cette multiplicité est, pour une part, recherchée, organisée par le cinéaste. Il rencontre ses « témoins » de la Bretagne à l’Alsace et du Nord à la Corse — des paysages et des environnements qui prennent toute leur place à l’image. Les profils divergent à bien d’autres égards : ancien mineur de fond, agricultrice, baron désargenté ; issu(e) d’une vague d’immigration ou d’une autre ; seul(e) ou en couple ; chez soi ou en Ehpad… Mais c’est le concept même de vieillesse qui, au fil d’entretiens très peu directifs, se dérobe ou se diffracte en une infinité de versions. Être vieux implique à la fois du « plein » (une somme d’expériences uniques, toujours à la disposition de la mémoire) et du « vide » (l’isolement, la disparition des proches). C’est en même temps le passé lointain, marqué par la Seconde Guerre mondiale pour la majorité, et une immersion inévitable dans le présent immédiat, aimé ou non.
Regarder la mort en face
… Le réalisateur nous emmène par instants aux confins de la vie, au bord de la mort. Il filme des êtres qui perdent leurs mots, leurs repères ou leur raison sous ses yeux. D’autres, loin du déni général de notre société, réfléchissent sans tabou à la façon de mourir le plus utilement. Ainsi cette femme remarquable (décédée depuis le tournage), qui, encore jeune, voulait donner des parties de son corps en cas d’accident mortel. Un jour, elle a compris que ses organes devenaient impropres au don (du fait même de sa longévité) mais a appris qu’ils pouvaient toujours intéresser les étudiants en médecine ou les chercheurs, et elle a fait de nouvelles démarches en ce sens…
Louis Guichard dans Télérama, Publié le 24 avril 2024.
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Pour en savoir plus sur Claus Drexel, voyez dans Télérama n°3876 du 27/04/2024 :
Entre misère et mystère, le Paris à double face de Claus Drexel
Une grande force du film consiste à montrer comme rarement la coexistence impérieuse de tous les âges dans la fin de vie. Cela sur les visages et les corps autant que derrière les mots. Il y a cette ancienne universitaire animée par l’énergie et l’enthousiasme d’une étudiante : « Je vais mourir en hurlant ! » Il y a un homme qui pleure et assume sa sensibilité extrême, envers et contre les stéréotypes de genre du temps de sa jeunesse — mais pas seulement. Et puis cette native de Pologne qui, spontanément, glisse dans sa langue maternelle une phrase lui tenant à cœur. Elle veut en garder la signification secrète mais décide tout à coup de la traduire, avec une ingénuité bouleversante : « Fais-moi un baiser ! »