Aide à mourir : les vieux que nous sommes doivent être au cœur du projet de loi
Le débat sur la fin de vie arrive devant les parlementaires, et nous voulons en être. Nous, vieilles et vieux, membres du Conseil national autoproclamé de la vieillesse (Cnav), avons en effet dès l’origine signifié que notre objectif était de participer à l’élaboration des politiques publiques nous concernant. Sur ce sujet de la fin de vie, nous pensons que notre parole compte parce que, même si nous continuons d’aimer puissamment la vie, l’âge fait que nous avons eu le temps de réfléchir à la mort, à ce que nous voudrions qu’elle ressemble, et pourquoi.
Très tôt, nous nous sommes positionnés en faveur d’une loi permettant à chacun de décider des conditions de sa mort. Il ne s’agit aucunement de réclamer un droit extensif sur le mode : « La mort, si je veux, quand je veux », mais bien un droit encadré, comme celui auquel le président de la République vient enfin d’ouvrir le chemin : un droit à être accompagné, puis aidé à mourir, activement s’il le faut, avec pour cela un accès possible au suicide assisté et à l’euthanasie, tel que recommandé par la récente Convention citoyenne. L’heure est maintenant au débat sur les conditions d’accès à ce droit, et les modalités de sa mise en œuvre. Sur ce sujet, nous souhaitons insister sur trois points.
Au quotidien le très grand âge peut devenir insupportable
Le premier concerne directement les vieilles et vieux que nous sommes. Si la médecine moderne a permis un allongement formidable de la longévité, ce dont il faut se réjouir, le quotidien au très grand âge peut devenir insupportable. Sans mettre en cause le pronostic vital à court ou à moyen terme, l’accumulation de pathologies et de handicaps entraîne parfois une dégradation majeure de la qualité de la vie, rendant lourdement dépendant et vidant la vie de tout sens aux yeux de celle ou celui qui doit la vivre. C’est pourquoi nous plaidons pour que l’accès à l’aide à mourir ne soit pas exclusivement réservé aux personnes dont «le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme du fait d’une affection grave et incurable», comprise comme une maladie rapidement évolutive.
Il y a des situations médicales qui deviennent très difficiles à vivre alors qu’elles ne sont pas, ou très lentement, évolutives. C’est ce qu’ont compris les différents pays ayant déjà une loi d’aide à mourir, comme la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse ou plus récemment le Canada. Notre future loi doit prendre exemple sur les leurs et s’émanciper de cette notion de « court ou moyen terme »pour ne garder comme condition d’accès à l’aide à mourir que l’existence d’une «souffrance physique ou psychologique réfractaire et insupportable», que la cause en soit pathologique ou accidentelle, liée à une maladie ou à un handicap.
Seule la personne concernée doit décider
Le deuxième point qui nous préoccupe est celui de la place dévolue aux médecins dans le dispositif. N’est-il pas quelque peu paradoxal qu’elle soit si importante, puisque le projet actuel les met en situation de « décideurs » de l’accès à l’aide à mourir, alors qu’un grand nombre d’entre eux, semble-t-il, désapprouvent l’ouverture de ce droit et affirment ne vouloir en aucun cas y participer ? Pour nous, la « décision » de savoir si un recours à l’aide à mourir est bienvenu ne peut être que l’apanage de la seule personne concernée – ou de la personne en qui elle a mis sa confiance et qui porte sans conteste possible sa parole, voire ses directives anticipées quand elles existent. Les médecins sont utiles en la matière pour faire en sorte que la procédure se passe bien, mais en aucun cas pour en « décider ».
Néanmoins, il convient bien sûr que quelqu’un vérifie si la demande respecte les conditions fixées par la loi. S’il est logique que cette évaluation soit le fait d’un médecin, celui-ci doit être a priori disposé à être le futur accompagnateur de la procédure jusqu’à son terme. Ce qui n’empêche que ses conclusions soient par ailleurs validées, comme le stipule le texte actuel, par au moins un deuxième médecin indépendant de lui. Mais il est pour nous indispensable que les rôles d’évaluateur et d’acteur de l’aide à mourir ne soient pas dissociés, pour que le demandeur se sente accueilli avec bienveillance, accompagné et sécurisé dans sa démarche par un professionnel de santé, avec lequel il aura eu le temps de faire suffisamment connaissance pour lui accorder sa confiance.
Pour la création de consultations hospitalières de fin de vie
Le troisième point qui nous importe est celui de l’organisation prévue pour accéder à cette aide à mourir. Elle nous paraît trop sèche. Nous plaidons quant à nous pour la création de consultations hospitalières de « fin de vie », accessibles bien avant l’heure fatidique de la décision, à tous ceux souhaitant se renseigner sur l’ensemble des dispositions législatives et des dispositifs d’aide et d’accompagnement existants. C’est souvent à l’annonce d’une maladie grave, au sortir d’un accident aux conséquences dramatiques, ou parce que les petites pertes d’autonomie successives n’en finissent pas de s’accumuler, liées à plusieurs maladies chroniques qui s’enchevêtrent, ou simplement à la vieillesse, sans retour en arrière possible, mais sans menace à court terme sur le pronostic vital, que les personnes concernées éprouvent le besoin de réfléchir à ces sujets.
Il leur est alors important de savoir ce qui leur sera possible de demander et d’obtenir, quand il sera temps. Les renseigner précisément sur ces questions les rassure, et savoir qu’ils pourront être aidés comme ils le souhaitent le jour venu les soulage infiniment. Ce qui leur permet de mettre éventuellement leur projet à distance et de rester encore quelque temps du côté de la vie.
Construisons ensemble, pour tous, les conditions d’une mort apaisée, assumée, que l’on n’affronte pas seul, mais accompagné par ceux que l’on aime et par des professionnels attentifs et respectueux de nos choix de citoyens libres.
Le collectif du Conseil national autoproclamé de la vieillesse (CNaV)