La France buissonnière : pour Micheline, octogénaire et sprinteuse, « courir est une drogue douce qui maintient en forme »
A 82 ans, la licenciée de la section athlétisme de la Bayard Argentan, dans l’Orne, devrait être, en août, dans les starting-blocks aux championnats du monde à Göteborg, en Suède. Avec, aux pieds, les pointes hyperlégères de couleur jaune fluo qu’elle vient de s’offrir.
Il n’y a pas d’âge pour le sprint. Le sprint, oui, cette discipline traumatisante pour les muscles et les articulations, cette hérésie pour les corps vieillissants. A 82 ans, Micheline Bailly n’en a cure. Ses copines du club de randonnée ont beau lui répéter que c’est « de la folie » à son âge, et son mari, Christian, de deux ans son aîné, lui recommander de « faire attention », c’est avec assiduité qu’elle s’entraîne, deux fois par semaine, sur la piste du stade Gérard-Saint d’Argentan (Orne).
Début mars, à Lyon, la licenciée de la section athlétisme de la Bayard Argentan – un ancien patronage créé au début du XXe siècle – est devenue championne de France du 60 mètres en salle dans la catégorie des 80-85 ans, avec un chronomètre de 12 secondes et 90 centièmes, nouveau record national. Micheline Bailly est aussi championne de France en titre et recordwoman de France du 50 mètres et du 100 mètres dans sa tranche d’âge.
Deux fois mère, cinq fois grand-mère et trois fois arrière-grand-mère, l’aïeule du tartan n’a pas toujours été sprinteuse. « J’ai commencé la course à pied tardivement, à 55 ans, raconte-t-elle. Des collègues de bureau faisaient un footing tous les vendredis midi. A force d’insister, ils m’ont convaincue de les accompagner. » Micheline Bailly travaillait à l’époque comme gestionnaire en assurances au siège social d’Europcar, à Saint-Quentin-en-Yvelines (Yvelines). Une pneumonie l’avait affaiblie peu avant. « Au début, j’avais du mal à faire plus de 300 mètres, se souvient-elle. Je m’arrêtais devant un arbre que je prenais comme repère. La semaine suivante, je stoppais à l’arbre suivant, et ainsi de suite. J’ai fini par y prendre goût. » Suivront des cross et même un marathon, à 64 ans (couru en cinq heures et dix-neuf minutes).
C’est en déménageant en Normandie, la retraite venue, qu’elle s’est orientée vers les distances courtes, sur les conseils d’un entraîneur de la Bayard Argentan qui l’avait vue galoper en solitaire sur la piste. Stimulée par la perspective de disputer de nouveau des compétitions, Micheline ne s’était pas fait prier. « J’aime savoir à quel niveau je me trouve, me mesurer aux autres », confie-t-elle.
Le hic est que Micheline est quasiment seule dans sa catégorie. Depuis ses débuts en compétition, en 2019, elle n’a croisé… qu’une seule adversaire de son âge. « Une dame qui n’est pas en grande forme. La dernière fois que nous nous sommes affrontées, il y a un mois, elle marchait plus qu’elle ne courait. Je ne sais pas si je la reverrai un jour », s’en désole-t-elle.
La hantise de la blessure
Aux derniers championnats d’Europe, disputés à Pescara (Italie) en 2023, elles n’étaient que six octogénaires sur la ligne de départ : trois Britanniques, une Italienne, une Suédoise et elle. Micheline a terminé au pied du podium, à la quatrième place, après avoir failli déclarer forfait le matin même en raison d’un « blocage » passager de la cuisse et de la hanche.
Si, passé un certain âge, la blessure s’avère une hantise permanente, le risque est accru chez certains compétiteurs voulant trop bien faire. « Micheline est aussi gourmande et impatiente qu’un enfant », relève son coach, Jean-Luc Edeline, qui passe son temps à la « freiner » à l’entraînement.
Le rêve ultime de Micheline devrait se réaliser en août : concourir aux championnats du monde, à Göteborg (Suède). A condition de trouver des sponsors qui financeront son déplacement. La participation aux Masters – nom donné aux compétitions réservées aux plus de 35 ans, par tranches d’âge de cinq ans – est, en effet, à la charge intégrale des athlètes et de leur club. Micheline Bailly a dû acheter elle-même son maillot aux couleurs de l’équipe de France – tenue « obligatoire » de surcroît.
Elle qui courait en baskets jusque-là étrenne depuis peu sa nouvelle acquisition : une paire de pointes hyperlégère de couleur bleu fluo. Aux Mondiaux, la sprinteuse poids plume (1,49 mètre, 42 kilos) ne s’est fixé aucun objectif, consciente des aléas que réserve le grand âge en matière de pépins. « Courir est une drogue douce qui me maintient en forme physiquement, psychiquement et moralement, confie-t-elle. S’il y a une médaille, tout va même encore mieux. »
Frédéric Potet pour le Monde, du 7 avril 2024