Après la réforme des retraites, des entreprises pionnières organisent le maintien en emploi des seniors

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Les dispositifs se multiplient dans les rares entreprises qui accompagnent l’activité des plus de 50 ans : temps partiel aidé, reconversion professionnelle, compte épargne-temps, bilan de santé. 
Le recul de l’âge de la retraite implique que les entreprises gardent leurs salariés seniors en activité plus longtemps. « C’est à l’entreprise d’adapter son organisation du travail pour accompagner ses salariés expérimentés jusqu’à la fin de leur carrière. C’est une question de bon sens », estime Stéphane Dubois, directeur des responsabilités humaines et sociétales de Safran. Le 11 avril, le motoriste aéronautique et spatial, qui compte 43 200 salariés en France, dont 13 500 âgés de plus de 50 ans, a conclu avec l’ensemble des organisations syndicales du groupe (CFDT, CFE-CGC, CGT, FO) un accord pour renforcer l’emploi de ses « salariés expérimentés », terme préféré à celui de « seniors », jugé galvaudé.

Parmi les mesures prises, le temps partiel aidé pour pouvoir travailler plus longtemps – « un engagement fort de l’entreprise, car sa mise en œuvre est complexe, notamment dans les usines », tient à préciser Stéphane Dubois –, et la possibilité de se reconvertir à partir de 50 ans pour les salariés exposés à des facteurs de risque. Ces reconversions sont accompagnées sur cinq ans et construites avec le salarié demandeur. Les situations individuelles sont appréciées au cas par cas, notamment par la médecine du travail. Enfin, afin d’éviter l’obsolescence des compétences, Safran promet un effort sur la formation continue pour ces salariés.

Le groupe de protection sociale Apicil, dont 18 % des salariés ont plus de 55 ans, va mettre en place un abondement du compte épargne-temps (CET) de 30 % permettant de diminuer l’activité, tout en maintenant le salaire et les cotisations à taux plein. ADP, qui compte 2 100 collaborateurs en France, dont 400 âgés de plus de 55 ans, a signé un accord de gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) en avril 2022. « Il s’agit de proposer, notamment, un accès au temps partiel pour les 55 ans et plus, avec le maintien à 100 % des cotisations retraite, ainsi qu’un accompagnement individuel pour les 60 ans et plus, avec un bilan de prévention médico-social », détaille Elodie Gourmellet, DRH d’ADP en France et en Suisse.

« Lever les a priori »

Mais de tels accords consacrés aux salariés âgés ou des accords de GEPP incluant un volet seniors sont encore rares. « Les entreprises ne s’emparent pas tellement du sujet et beaucoup de mesures concernent encore une transition en douceur vers la retraite, constate Samuel Pasquier, expert au cabinet Syndex, spécialisé dans l’accompagnement des représentants des salariés et des organisations syndicales. Il est vrai que le sujet est un peu frais, et que la pratique des entreprises ne suit pas forcément les discours. Il faut rappeler que longtemps, le consensus entre les employeurs et leurs salariés âgés était de les faire partir plus vite. Aujourd’hui encore, ils restent confrontés à un plafond de verre : rémunération, accès à la formation… »

Alors, les seniors sont-ils les oubliés du management ? D’après l’étude « La nouvelle ère des talents », réalisée par ManpowerGroup en novembre 2022, 38 % seulement des salariés âgés de 55 à 64 ans pensent que leurs manageurs sont impliqués dans leur développement de carrière, contre 46 % des salariés tous âges confondus, et seuls 43 % pensent que leur employeur encourage les formations. « Les entreprises doivent accompagner les manageurs pour lever les a priori sur les seniors. Il existe encore trop de stéréotypes », regrette Sébastien Van Dyk, directeur général de ManpowerGroup Talent Solutions, division conseil RH de ManpowerGroup, spécialiste de l’intérim et du recrutement.

Dans le nouveau contexte d’allongement de la vie active, « afin que les salariés puissent travailler plus longtemps tout en restant dans la meilleure forme possible, il est indispensable d’améliorer les conditions de travail et de limiter la pénibilité », explique Samuel Pasquier, qui évoque plusieurs pistes : travail sur l’ergonomie des postes, sur les risques psychosociaux ou encore sur les méthodes de management…

« Préserver le sens du collectif »

« Les entreprises doivent avoir conscience de la charge que représente notamment l’adaptation des postes, avertit Sébastien Van Dyk, mais ce coût est à mettre en parallèle avec l’apport de compétences des seniors. » Apicil valorise cette expérience, par exemple à travers l’identification d’experts pédagogiques. Une façon de transmettre le flambeau aux nouvelles générations.

En effet, « dans un contexte d’accélération de l’individualisation, un des sujets majeurs est de préserver le sens du collectif et de garder le lien entre les générations », souligne Stéphane Dubois. Le groupe Apicil a lancé une étude interne sur la question de l’intergénérationnel. « Les résultats sont encourageants, se réjouit Sofiene Chaabani, responsable domaine RH du groupe de protection sociale. Les différentes générations prennent le temps de davantage communiquer. » Autre élément positif : « Le nouvel état d’esprit des entreprises – souci du “care”, qualité de vie au travail… – est favorable à l’inclusion et à l’insertion, et donc aux seniors », souligne Sébastien Van Dyk.

Enfin, les lignes semblent bouger en matière de recrutement. Ainsi, Safran s’engage à recruter au moins 10 % de plus de 50 ans en CDI sur 4 500 embauches prévues en France en 2023. Avec pour objectif de maintenir la part de salariés expérimentés à au moins 30 % dans l’effectif. « Nous n’avons pas un objectif de jeunisme, précise Sofiene Chaabani. Nous veillons à l’équilibre de la pyramide des âges. » En 2022, 11 nouveaux embauchés de plus de 55 ans (sur une centaine de recrutements) ont rejoint le groupe, « dont un âgé de 61 ans », précise-t-il.

« La période actuelle est favorable, car il y a une pénurie de candidats, mais quid d’un retournement du marché de l’emploi ? Les vieux réflexes seront-ils de retour ? s’interroge Samuel PasquierCar un changement de mentalité est à opérer et, pour le moment, il est juste esquissé. » Un changement qui dépasse largement le cadre de l’entreprise.

Les chiffres

56 % des 55-64 ans sont en emploi en France, contre 61,3 % en moyenne dans la zone euro, selon le ministère du travail.

37 % des salariés ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite.

30 % environ de départs précoces de l’emploi (c’est-à-dire ne relevant pas d’un passage direct de l’emploi à la retraite) sont enregistrés chaque année, selon une note de France Stratégie.

Par Myriam Dubertrand ; Publié dans le Monde du 1°juin 2023

https://www.lemonde.fr/emploi/article/2023/05/31/apres-la-reforme-des-retraites-des-entreprises-pionnieres-organisent-le-maintien-en-emploi-des-seniors_6175518_1698637.html

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