Le Danemark, ce pays où les seniors sont rois
Vieillir au Danemark : un modèle
Contre-exemple absolu de la France, le royaume nordique a mis en œuvre une politique du troisième âge humaine, efficace et rationnelle.
Le scandale des maltraitances dans les Ehpad français a traversé les frontières pour arriver aux oreilles de Bjarne Hastrup*, au Danemark – nation exemplaire en matière de politique « du grand âge ». « Dites à Emmanuel Macron qu’il vienne voir comment nous gérons les choses en Scandinavie car, si j’ai bien compris, la France a besoin d’un New Deal pour le troisième âge », lance, à Copenhague, le président de Ældre Sagen, une puissante organisation de défense des droits des personnes âgées créée en 1986. Le fringant septuagénaire enfonce le clou : « La France a besoin d’une nouvelle approche, de nouvelles pratiques et de nouvelles lois », dit-il en tenant à la main un article sur les dysfonctionnements des maisons de retraite françaises, une affaire dévoilée par Les Fossoyeurs (Fayard), le livre du journaliste indépendant Victor Castanet.
En la matière, le Danemark a beaucoup de choses à nous apprendre, puisque ce pays de 5,8 millions d’habitants est celui qui, en Europe, a mis en place le système le mieux pensé et le plus efficace. Et cela en grande partie grâce à l’association Ældre Sagen. Cofondé par Bjarne Hastrup, ce puissant lobby compte quelque… 900 000 membres, soit 15 % de la population danoise ! Et il met constamment la pression sur le gouvernement et les députés afin que les lois votées au Parlement améliorent le sort des personnes âgées. « Nous sommes les porte-parole des vieux », explique cet homme aux cheveux argentés qui intervient quotidiennement dans les médias et influence les politiques publiques. Il ajoute : « Depuis près de quarante ans, nous agissons pour créer une société dans laquelle chacun peut vivre longtemps et bien, une société où l’on regarde l’individu plutôt que son âge et où il est possible de s’épanouir jusqu’au bout de la vie. »
Le rêve ? Oui, mais un rêve très concret qui repose sur des bonnes pratiques frappées au coin du bon sens. Pour commencer, le royaume scandinave met en œuvre depuis des décennies une politique qui vise à retarder au maximum l’âge d’entrée dans les maisons de retraite. Les personnes âgées sont laissées longtemps à domicile où elles bénéficient d’aides et de soins coordonnés par les municipalités et souvent pratiqués par des petites structures privées agissant dans le domaine du « care ». En trente ans, le nombre de personnes admises en Ehpad a été divisé par trois. Aujourd’hui, les résidents des maisons de retraite (41 000 en tout) sont trois fois moins nombreux que les personnes prises en charge à domicile (125 000). « Etre chez soi est à la fois plus agréable pour les personnes concernées et cinq fois moins onéreux pour la collectivité. » Cependant, un danger guette les gens restés à leur domicile : l’isolement. Raison pour laquelle les services municipaux, mais aussi les 20 000 volontaires d’Ældre Sagen, rendent très régulièrement visite aux seniors chez eux.
Tout est géré au plan municipal qui est, selon Bjarne Hastrup, l’échelon administratif le plus adéquat. « Lorsqu’une personne âgée sollicite de l’aide, elle passe un test de capacité, raconte-t-il. Si elle est encore en mesure de cuisiner toute seule, alors les repas ne lui sont pas fournis. Même chose pour le ménage ou les courses. Les services sont à la carte et reposent sur l’idée de maintenir les personnes autonomes le plus longtemps possible : cela les maintient actives et en bonne santé et, par conséquent, réduit le coût de leur prise en charge », ajoute notre activiste septuagénaire.
L’idée est de maintenir les personnes âgées autonomes le plus longtemps possible.
L’Etat providence, au Danemark comme dans les autres pays scandinaves, repose sur des finances saines. « Bien évidemment, toute politique sociale coûte cher. Mais si j’ai un conseil à donner à Macron, c’est de faire ce que nous avons fait au Danemark : reculer l’âge de la retraite. » Elle est passée de 65 à 67 ans voilà dix ans et passera bientôt à 68 ans, puis à 70 ans, afin d’accompagner l’allongement de l’espérance de vie. « Cela permet au gouvernement de générer davantage de recettes fiscales (prélevées sur les contribuables restés sur le marché du travail) tout en réduisant le coût de financement des retraites », rappelle Hastrup, selon une logique libérale qui garantit la pérennité du modèle scandinave. « Notre pays a ainsi pu dégager 2 milliards d’euros – une somme importante à l’échelle du Danemark – dédiés à la prise en charge des retraités », se félicite Hastrup, dont l’organisation veille aussi à ce que le niveau des retraites de chacun soit suffisant pour vivre.
Dans le même ordre d’idées, les pays nordiques ont depuis longtemps popularisé l’usage du « rullator »,autrement dit le déambulateur – une invention suédoise remontant à 1978. Loin d’être considéré comme un objet aliénant, cet outil qui, dans sa version la plus aboutie inclut des freins, un panier et un siège pour s’asseoir, est regardé comme un facteur de libération. Dans tous les pays du Nord, sa généralisation a augmenté l’autonomie des vieux, limité le nombre de chutes et, donc, celui des fractures des membres – autrement dit, elle a baissé le nombre (et le coût) des hospitalisations. Ce qui a abouti à la réduction des dépenses de la Sécurité sociale dont les comptes sont équilibrés. La présence des personnes âgées dans l’espace public est visible à l’œil nu. Au guidon de leur rullator, ou dans leur fauteuil roulant, elles sont beaucoup plus nombreuses et autonomes qu’en France. Au même titre que la mort n’est pas cachée derrière des hauts murs de cimetières, la vieillesse s’affiche sans complexe. Les municipalités et l’association Ældre Sagen organisent en outre des réunions, des activités et du réseautage pour les seniors afin d’entretenir une vie sociale. « En 2021, nos sections locales ont organisé plus de 90 000 activités, depuis la marche nordique jusqu’à la pétanque en passant par l’initiation à Internet, aux langues étrangères, les jeux de cartes, les cours de danse, etc. »
Tout cela retarde le moment d’admission en maison de retraite. Mais, là aussi, tous les efforts sont menés afin que le séjour se déroule dans la dignité, voire la joie. Il n’est pas rare de voir des seniors mis à contribution pour cuisiner, faire la vaisselle, leur lit, balayer la cour, jardiner… C’est encore et toujours la même idée : entretenir les capacités d’autonomie.
Certains Ehpad ont créé des « ateliers de réminiscence », où les participants racontent leurs souvenirs d’enfance. L’intérêt ? Stimuler intellectuellement les patients, car cela contribue à l’amélioration de l’état de santé général. La plupart des établissements pratiquent la gymnastique quotidienne (assise) ou mettent en œuvre des ateliers de rééducation sportive (également assise), afin qu’une simple fracture du poignet ou un accident domestique bénin ne débouche pas, faute de soins adaptés, sur une fragilisation généralisée. Le tout est animé par des aides-soignants dont la formation, au Danemark, dure trois ans (contre un an en France).
Au pays du design, une attention particulière est portée à la déco. Les maisons de retraite gomment, autant que possible, tous les aspects qui évoquent un environnement hospitalier. Depuis vingt ans, les pensionnaires et leurs familles sont encouragés à aménager leur chambre de manière la plus personnelle possible avec leur mobilier, leurs livres, tableaux, photos et garde-robe, afin qu’ils se sentent réellement chez eux. Autre tendance, plus récente : de plus en plus de chambres sont agrandies et transformées en deux-pièces cosy, avec une chambre à coucher et un espace salon, sans oublier une kitchenette.
« Le droit au bonheur n’a pas d’âge », proclamait voilà quelques années Thyra Frank, figure de la vie publique danoise et directrice de maison de retraite rencontrée par L’Express dans son établissement, qui avait des airs de salle de banquet. A la cantine de son Ehpad, on mangeait bien et on buvait du vin français, tout en écoutant du jazz à tue-tête. Les patients avaient même le droit de fumer des cigares cubains et de boire du whisky ! Et tout le monde était heureux. « L’important, c’est qu’ils s’amusent », répétait-elle inlassablement à propos des patients, dont certains étaient devenus des amis. Tout sourire, elle ajoutait : « On ne peut imposer aux personnes âgées des conditions de vie que nous n’accepterions pas pour nous-mêmes. »
Axel Gyldén journaliste à l’Express
dans L’Express du 10 février 2022 n°3684 p. 38
*Bjarne Hastrup, fondateur de DaneAge Association au Danemark