Le modèle des Ehpad dans la tourmente, réactions de l' AD-PA
Le livre « Les Fossoyeurs » alerte sur la maltraitance dans des Ehpad privés à but lucratif, qui doivent « rentabiliser » l’accueil. Que peuvent faire les collectivités pour remettre à plat le système ?
«Honteux », « écœurant », « révoltant »... Les situations décrites dans « Les Fossoyeurs », de Victor Castanet , ont provoqué un flot de colère. Nourriture infecte, couches rationnées, soins insuffisants ou personnels dépassés : le tableau est sombre et la vague d’indignation forte. Mais les faits ne sont pas nouveaux. « Le problème de fond, c’est qu’il y a des maltraitances dans tous les établissements », a ainsi déclaré Pascal - Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), le 25 janvier.
Le rapport d’information de 2018 des députées Monique Iborra (LREM) et Caroline Fiat (LFI), elle-même aide-soignante en Ehpad, recommandait déjà un nombre de soignants plus important dans les établissements pour éviter certaines maltraitances.
Comment ne pas brusquer une personne âgée dépendante si l’on doit effectuer sa toilette complète en quelques minutes parce qu’il faut vite passer à la chambre suivante ? Comment s’assurer qu’une personne a suffisamment mangé quand il faudrait donner la becquée à quatre ou cinq mais qu’il n’y a qu’une aide-soignante ?
Beaucoup d’argent public versé
Ces questions sont loin d’être nouvelles. « Les Fossoyeurs » s’ajoute à une longue liste de rapports et de reportages parus depuis une dizaine d’années. Ce qui choque peut-être ici, c’est que l’enquête cible un acteur du secteur privé lucratif, Orpea, qui propose des tarifs élevés aux personnes âgées, tout en récupérant beaucoup d’argent public.
Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les Ehpad, ont en effet trois financeurs : l’agence régionale de santé (ARS) pour la partie « soins », le conseil départemental pour la partie « dépendance », au travers de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), et la personne âgée elle-même ou sa famille pour la partie « hébergement ». Pour l’année 2019 – avant la pandémie de Covid-19 qui a eu un fort impact sur les finances des Ehpad –, la Sécurité sociale a calculé que 7,9 milliards d’euros avaient été versés pour le soin aux plus de 7 000 Ehpad, 3,6 milliards pour la dépendance, et que les recettes d’hébergement s’élevaient à 13,6 milliards.
Alors que ces établissements touchent autant d’argent public, pourquoi ne sont-ils pas plus surveillés ? La question est posée dans l’enquête de Victor Castanet. Du côté des départements, la réponse est simple : ils ne peuvent rien faire car ils n’emploient pas de médecins instructeurs de contrôle, prérogative des seules ARS.
Or, selon Juliette Vielh, avocate spécialiste des questions de santé publique au sein du cabinet GAA Heka, l’article L.313-13 du code de l’action sociale et des familles donne aux départements un pouvoir de contrôle. L’article précise même que « pour les établissements, services et lieux de vie et d’accueil relevant de la compétence du président du conseil départemental, les contrôles prévus à la présente section sont effectués par les agents départementaux mentionnés à l’article L.133-2 du présent code dans les conditions définies par la présente section ».
Enfin, ce même article impose aux présidents de conseil départemental « d’informer sans délai le représentant de l’Etat dans le département de tout événement survenu dans un établissement ou service qu’il autorise, dès lors qu’il est de nature à compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies ».
Le pilotage du médicosocial en question
Néanmoins, l’Assemblée des départements de France (ADF) explique qu’il est impossible pour un représentant départemental, élu ou agent, de se présenter dans un Ehpad pour un contrôle inopiné. La direction de l’établissement serait totalement en droit de le refuser. D’autant plus que, même si elle est versée directement à l’Ehpad, l’APA-établissement reste attachée à une personne âgée. Le directeur n’a donc qu’indirectement des comptes à rendre à la collectivité territoriale.
Lors d’une conférence de presse, le 31 janvier, Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa, syndicat représentant les acteurs privés du secteur du grand âge, a appelé à ce que plus de controles soient réalisés à l’improviste. « Il y a encore trop peu de contrôles inopinés, il faut les renforcer, et surtout il faut que les résultats de tous ces contrôles soient mutualisés dans une base de données unique, gérée par un acteur unique », a-t-elle réclamé.
Parmi les 102 propositions présentées lors de son congrès, en novembre, et qui seront soumises aux candidats à la présidentielle, l’ADF demande que le département soit le seul pilote du médicosocial. Les financements de l’ARS ne disparaîtraient pas, mais transiteraient par les départements avant d’être versés aux Ehpad, qui n’auraient plus que les départements comme interlocuteurs et devraient se soumettre aux contrôles.
Grâce à la future loi « 3DS », des territoires espèrent d’ailleurs pouvoir expérimenter ce dispositif. Les départements affirment qu’ils pourraient contrôler plus souvent les Ehpad que les ARS.
Les conséquences d’un manque de personnel
Mais, même si les contrôles pouvaient être multipliés rapidement, le problème de base des maisons de retraite demeure : c’est souvent le manque de personnel qui crée la situation de maltraitance. Ce que confirme Claire Hédon, la Défenseure des droits : « La plupart des saisines que nous recevons montrent que les maltraitances sont la conséquence d’un manque de moyens humains et financiers. »
Si les femmes de ménage, le matin en arrivant au travail, continuent de « faire fonction » d’auxiliaires de vie, voire d’aides-soignantes, pour s’occuper de personnes fragiles sans aucune formation, les conditions de vie des personnes âgées risquent de peu s’améliorer. « Si ce livre peut contribuer à faire bouger les choses et si la campagne présidentielle peut contribuer à faire bouger les choses, ce sera une bonne chose », espère le président de l’AD-PA.
Côté politique, le scandale est tel que la plupart des candidats à la présidentielle se sont exprimés. Ils mettent d’abord l’accent sur le recrutement de personnels et l’amélioration de leurs conditions de travail.
Mais les propositions ne sont souvent pas plus concrètes qu’un nombre de recrutements prévus : 210 000 pour Jean-Luc Mélenchon (LFI) et 300 000 pour Fabien Roussel (PCF)... Dans un communiqué, Marine Le Pen (RN) a également appelé à la création d’une enquête parlementaire sur la gestion des Ehpad par les groupes privés. Fabien Roussel va jusqu’à demander une mise sous tutelle des établissements privés lucratifs. La candidate LR, - Valérie Pécresse, a, elle, affirmé qu’elle ferait fermer les établissements maltraitants. Philippe Juvin, le responsable « santé » de sa campagne, promet que, si sa candidate était élue, des référentiels opposables seraient mis en place dans les Ehpad : si le personnel est en nombre insuffisant, l’établissement serait fermé.
Aucun candidat n’a cependant, pour l’heure, détaillé le financement de ses mesures. Embaucher plus de personnels et les revaloriser, alors que le nombre de personnes âgées dépendantes devrait exploser d’ici à 2050, coûtera 10 milliards d’euros supplémentaires par an...
Une médiatisation récurrente
Le scandale déclenché par le livre « Les Fossoyeurs » est loin d’être le premier sur la maltraitance en Ehpad. Déjà, en 2008, la première émission des « Infiltrés », filmée intégralement en caméra cachée, dénonçait les mauvais traitements contre les personnes âgées dans un établissement. Plus récemment, « Envoyé spécial » (2018) et « Pièces à conviction » (2020) ont également usé d’images chocs pour révéler les insuffisances de maisons de retraite. Ces défaillances sont pourtant connues de tous les acteurs du grand âge, mais ne semblent prises en compte que si elles passent à la télévision. Mais le sont-elles réellement ? Sur l’hygiène, la nourriture et les services fournis aux personnes âgées comme sur le mal-être des personnels, le livre de Victor Castanet ne dit rien de plus que l’émission de David Pujadas, en 2008.
Publié le 02/02/2022 • Par Christelle Destombes Isabelle Raynaud • dans : A la une, Actu expert santé social, France