Enquête sur les « boomerang kids », ces adultes contraints de retourner chez leurs parents
Enquête sur les « boomerang kids », ces adultes contraints de retourner chez leurs parents
Pour ses collègues de bureau, elle vit avec un compagnon dans un pavillon de banlieue parisienne. En réalité, Catherine occupe une chambre de quelques mètres carrés dans l'appartement de son père de 72 ans. A 47 ans, cette infirmière en entreprise a retrouvé depuis six mois le cocon familial après une séparation. « Personne n'est au courant, car j'ai honte d'en être là à mon âge », confie-t-elle.
On connaissait les « Tanguy », ces adolescents devenus adultes qui peinent à quitter papa et maman, on découvre maintenant ceux qui, à la quarantaine et plus, retournent chez leurs parents, après avoir vécu des coups durs.
La flambée des prix de l'immobilier, la fréquence des ruptures professionnelles ou personnelles, l'envolée des boulots précaires ont fait se développer dans les villes cette cohabitation tardive et souvent subie qui, jusque-là, se cantonnait au milieu rural. Loin de l'image du grand fils ou de la fille restés auprès des parents pour aider à la ferme, ces « boomerang kids » (enfants boomerang), comme les appellent les Anglo-Saxons, avec rides et parfois cheveux blancs, sont de plus en plus nombreux à reprendre le chemin de la maison familiale, après des années d'indépendance.
280 000 PERSONNES
Souvent vécues honteusement dans le huis clos familial – toutes les personnes qui ont accepté de témoigner l'ont fait uniquement sous couvert d'anonymat –, ces situations échappent de fait aux statistiques. Seules quelques données encore parcellaires permettent de cerner un peu mieux ce phénomène.
Ainsi, selon les premiers résultats issus de travaux en cours, réalisés à partir de l'enquête Famille et logements 2011 de l'Insee, l'Institut national d'études démographiques (INED) estime que 4,4 % des garçons de 40 ans cohabiteraient avec leurs parents, et 3,2 % à 50 ans. Côté filles, elles seraient 2,4 % à partager le nid familial à 40 ans et 1,9 % à 50 ans. « Pour la première fois, ces chiffres nous donnent des éléments sur qui cohabite avec qui, explique Catherine Bonvalet, directrice de recherche à l'INED. Même si on ne peut pas isoler le nombre de personnes qui sont dans des situations d'allers-retours, on peut penser qu'elles comptent pour une bonne part dans ces pourcentages. »
La Fondation Abbé Pierre, dont le 19e rapport sur le mal-logement est présenté vendredi 31 janvier, évalue quant à elle à 280 000 le nombre de personnes de plus de 25 ans ni étudiants ni jeunes diplômés contraints de revenir vivre chez leurs parents ou grands-parents faute de pouvoir accéder à l'autonomie résidentielle. Parmi eux, on compte sans doute un certain nombre de quadragénaires et de personnes plus âgées.
« L'ÂGE OÙ L'ON A BESOIN DE SOUTIEN S'EST DÉCALÉ »
Pour le sociologue Serge Guérin, auteur de plusieurs ouvrages sur la solidarité et les seniors, l'amplification de ce phénomène est une réalité. « La crise, mais aussi la réduction des différences culturelles entre les générations font qu'en cas de problème, les gens se tournent plus facilement qu'autrefois vers leurs proches, explique M. Guérin. Par ailleurs, l'âge où l'on a besoin d'un soutien matériel et/ou psychologique s'est décalé. Désormais, toute une tranche d'âge, à partir de laquelle on était autrefois “sorti d'affaire”, se trouve à son tour fragilisée. »
Philippe, aujourd'hui 60 ans, est revenu au bercail familial il y a cinq ans. Cet ancien chef d'entreprise a connu une dégringolade suite à un enchaînement de soucis de santé, une faillite et une séparation. Le retour chez les parents s'est fait naturellement. Ruiné, sans cette solution, l'ancien cadre dirigeant se serait retrouvé « à la rue ».
Aujourd'hui, alors qu'il a retrouvé un emploi aidé, grâce à l'association Solidarités nouvelles face au chômage, Philippe mesure la chance d'avoir eu « ces parents-là » qui, grâce à leur aisance financière mais surtout leur amour, l'ont « cocooné quand [il] étai[t] au fond du trou ». En retour, par manque de moyens mais aussi « par reconnaissance », il envisage maintenant difficilement de quitter son père et sa mère octogénaires, « qui se sont habitués et se sentent rassurés par [s]a présence ».
« C'EST PLUS DIFFICILE QUE NOUS LE PENSIONS »
Au-delà de l'aspect économique, le retour chez des parents plus âgés est bien souvent un sas de décompression. « La famille est normalement l'institution qui va le moins juger, qui va rassurer et accueillir spontanément sans poser trop de questions », analyse Serge Guérin.
Nathalie, 64 ans, assistante sociale à la retraite en Bretagne, a ouvert spontanément sa porte, au printemps 2013, à l'un de ses fils, âgé de 40 ans, qui venait de se faire licencier. Endetté, séparé de sa femme et avec trois enfants à charge, le retour du fils prodigue était « une évidence », raconte aujourd'hui Nathalie, qui avait déjà connu une situation similaire par deux fois avec un autre de ses quatre enfants. « Mais l'irruption d'un enfant adulte dans l'intimité du couple que je forme avec mon nouveau compagnon a été déstabilisante », reconnaît la retraitée active, qui était prête « à payer une petite location pour son fils », si la situation s'était éternisée.
« C'est plus difficile que nous le pensions », convient Jean-Bernard, qui accueille depuis novembre 2013, dans son pavillon près de Laval, son fils de 35 ans, au chômage, qui a repris la chambre qu'il occupait lorsqu'il était enfant. Ancien technicien dans la métallurgie, ce retraité de 64 ans et sa femme aide-soignante sont conscients de mettre, sans le vouloir, un peu la pression sur leur progéniture. « Nous sommes à la fois rassurés de le voir avec nous à la maison car il ne pourrait pas vivre dignement avec ses indemnités, mais en même temps nous avons peur qu'il perde l'habitude de se débrouiller seul », avoue Jean-Bernard.
| 30.01.2014 à 12h56 • Mis à jour le 30.01.2014 à 20h04