Philippe Torreton : “le confinement doit nous reconnecter à la nature ”
Chaque jour, un poème, mis en musique. L'acteur normand, Philippe Torreton, a profité du confinement pour nous faire entendre la parole des indiens et des auteurs français. Avec son voisin, Richard Kolinka, il nous a parlé de notre relation à la nature. Et bien sûr, cette résonnance fait réfléchir.
Philippe Torreton préparait un spectacle lorsque le confinement s'est invité dans les répétitions. Qu'à cela ne tienne. L'acteur normand a plus d'un tour dans son sac et il continue à jouer ... sur un balcon improvisé, tel un personnage shakespearien.
Ses compagnons de jeu, c'est vrai, habitent la porte, juste à-côté. C'est plus facile. Philippe Torreton a donc sorti son marteau et a construit une petite estrade avec une palette. Chaque après-midi, il y accède en grimpant sur une échelle et retrouve donc son ami et voisin.... Richard Kolinka, le batteur de feu Téléphone.
Vous pourrez ainsi découvrir les mots de Pierre Ronsard, qui s'insurge contre les bûcherons de la forêt de Gastine, dans la vidéo postée Mercredi 22 avril, journée mondiale de la terre.
Ou encore découvrir le texte de Fred Vargas, qui commence ainsi "Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les haut-fourneaux de l'incurie de l'humanité. Nous y sommes. Dans le mur."
Chaque jour ou presque, une vidéo est postée sur les réseaux sociaux, sur le compte de la femme du comédien. Elsa Boublil. Les amateurs de musique connaissent bien sa voix puisqu'elle anime des émissions sur France Musique et a longtemps fait vivre l'ambiance de Jazz sous les pommiers sur les ondes de France Inter.
Ces poèmes nous font voyager dans le temps. A l'époque des indiens d'Amérique du Nord. Mais aussi du temps de Ronsard, de Boris Vian, de Rimbaud et de Tardieu. Leur point commun ? Notre terre. La relation que l'homme entretient avec la nature.
La parole indienne a un talent poétique indéniable. Et on s'aperçoit que nos poètes sont des indiens et les indiens, des poètes. Les deux se répondent.
"Avec notre troisième compère, le musicien Aristide Rosier, nous avions prévu de rassembler tous ces textes et de monter sur scène en mai à la Comédie des Champs-Elysée pour proposer cette forme singulière, entre le parlé, le chanté et la musique. Ce n'est pas du slam. C'est encore autre chose".
Les voisins confinés ont même révisité les mots bleus de Christophe, pour rendre hommage à l'artiste disparu.
Cette parole nous rappelle ce que nous avons perdu
Ces textes, choisis par l'acteur, résonnent particulièrement en ce moment. On peut citer les premiers vers d'"après l’homme" d’Esther Granek : "Après l’Homme, après l’Homme, Qui dira aux fleurs comment elles se nomment ?"
Philippe Torreton a été marqué par un texte des Lakota, une tribu sioux, disant : "l'arbre est un être vivant. Il a un coeur. L'écorce, c'est sa peau. La sève, c'est le sang. Ses membres sont les branches qui touchent les cieux. Et comme nous, humains, il relie le ciel et la terre. Il termine en disant "ce lien là, sous peine de disparaître, l'humanité doit absolument le retrouver."
Et je trouve que c'est exactement ce qui nous arrive. Nous devons retrouver ce lien à la nature. Sinon, je ne donne pas cher de l'humanité.
"La terre s'en tirera toujours, elle s'en remettra. C'est l'humanité qui est en danger. Nous allons bientôt vivre des pénuries alimentaires. Pas à cause du confinement mais de la sécheresse, du dérèglement climatique. Des millions de gens vont devoir fuir et se retrouver sur les routes. On en attend presque un milliard d'ici cinquante ans."
Philippe Torreton nous invite donc à réfléchir. Ce confinement nous révèle et peut nous inciter à nous interroger sur notre relation à la terre. A l'autre. A la consommation. A ce tourbillon du "tout et tout de suite".
Ce virus nous rappelle nos fragilités mais notre force aussi. On est capable dans l'adversité de faire front. L'être humain a une faculté de rebond et d'ingéniosité énorme. Pour l'instant, on est dans la bataille contre ce virus. Mais il faut que nous parvenions à en tirer les conséquences.
La première leçon, mais ça n'engage que moi, c'est notre interdépendance. N'a-t-on pas intérêt à essayer le plus possible de se débrouiller tout seul ? Et si on se disait : tout ce que l'on peut fabriquer nous-même, on le fabrique ? Ce n'est pas du patriotisme mais de l'écologie. Arrêtons d'acheter des agneaux de Nouvelle-Zélande, alors que nos agriculteurs crèvent de faim, en Normandie" s'interroge Philippe Torreton, à voix haute.
L'acteur a toujours été engagé et ne s'en cache pas. Mais au-delà de la question politique. Philippe Torreton parle du bon sens, qui se trouve à la portée de chacun. Ne serait-ce que pour l'alimentation. Lui privilégie les circuits courts, les fruits et légumes de saison, comme les tomates et les fraises, qui seront forcément plus savoureuses en été.
"Se réjouir de la saison de l'asperge, comme en ce moment. C'est la frustration qui donne la saveur au rendez-vous. Pourquoi Noël c'est sympa ? Parce que ça arrive une fois par an. C'est pareil pour les anniversaires."
L'enfant qui a grandi auprès de sa "Mémé", à Triqueville, dans l'Eure, savoure les plaisirs simples. Dans son livre, en 2014, Philippe Torreton tressait d'ailleurs les lauriers de sa grand-mère maternelle sachant se contenter de presque rien.
Notre société nous a tout donné tout cuit et finalement ça nous enlève nos qualités, notre ingéniosité, notre curiosité, le courage. Ce temps là est fini. Il faut arriver à dire non. Ce n'est pas normal d'être engoncé dans un confort qui nous déresponsabilise. Allons-y, le chemin est toujours vertueux.
Par exemple, un aspirateur qui coince. Parfois, il suffit juste d'enlever une petite vis ou de nettoyer un filtre. Pas besoin de changer. Il y a toujours quelqu'un sur internet pour tout expliquer sur un tuto. C'est génial. Et quand ça remarche, on est heureux.
On acquiert des connaissances.
L'acteur s'amuse à énumérer tout ce qui ne sert à rien. Le nombre de trajets, qui ne servent à rien. De réunions qui ne servent à rien. De déjeuners, qui ne servent à rien.
"Dans mon métier c'est flagrant. On déjeune. On parle de tout et de rien et on se rend compte au moment de l'addition. Ah tiens au fait, on ne devait pas parler de ça ? Arrêtons de perdre du temps dans les transports, de prendre l'avion pour faire des réunions à New-York. Tout ça peut se faire de chez soi. On le sait maintenant. Arrêtons cette mobilité imbécile, qui nous amène à polluer inutilement. Et gardons le rendez-vous physique quand ça vaut le coup"
Le spectacle vivant va devoir se réinventer
Ces digressions fort intéressantes nous ont un peu éloigné de ce spectacle, qu'il répète en ce moment avec Richard Kolinka, sans savoir quand il sera présenté. Les représentations en mai vont être annulées. A la rentrée, en septembre, Philippe Torreton repart "peut-être" en tournée avec son Galilée. Le monde du spectacle vit suspendu à la circulation du virus.
Par Pauline Latrouitte, Publié le 30/04/2020 sur le site de France 3-régions