« Boomers », ou les « nouveaux » vieux schnocks

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Définissant la génération des natifs de l’après-guerre ayant grandi dans les années des « trente glorieuses », ce raccourci issu du « baby boom » a pris une connotation critique mettant en cause leur responsabilité dans l’état actuel de la planète.

Histoire d’une notion. Interrompue par un de ses collègues plus âgés alors qu’elle intervenait sur la question du changement climatique en 2019, la députée néo-zélandaise de 25 ans Chlöe Swarbrick a choisi de répondre par cette répartie cinglante : « Ok, boomer » (comprenez : « cause toujours, vieux schnock »). Si cette petite phrase circulait déjà sur les réseaux sociaux, elle devient alors un phénomène planétaire, attribuant au passage à la génération des baby-boomers des idées et des attitudes peu flatteuses (conservatisme, immobilisme, scepticisme écologique) et instillant l’idée que parole et pouvoir de décision devraient désormais passer aux plus jeunes générations.

L’expression « boomer » renvoie bien sûr à cette cohorte d’individus nés entre la fin de la seconde guerre mondiale et le début des années 1960. La fin du conflit voit en effet le nombre des naissances exploser – le « baby boom » – sous l’effet de la paix retrouvée et d’intenses propagandes nationales. Et si le terme est importé des pays anglo-saxons, il résonne rapidement avec les constatations des démographes français, comme Alfred Sauvy« L’acculturation rapide de cet anglicisme atteste le caractère largement supranational du phénomène dès cette époque, ainsi que sa perception commune dans nombre de pays industrialisés », souligne Jean-François Sirinelli, professeur émérite d’histoire contemporaine à Sciences Po Paris, avant d’ajouter : « A certains égards, cette génération a été la première à avoir une communauté de destin globalisée. »

Rien ne les rassemble véritablement

Si la pique de Chlöe Swarbrick a fait le tour du monde, c’est que, précisément, le poids démographique des baby-boomers est une réalité qui dépasse les frontières. Cela suffit-il, pourtant, à faire de ce groupe une « génération », c’est-à-dire un ensemble homogène ? « Le plus souvent, ce sont des fractures historiques (des guerres ou des révolutions) qui dessinent dans une pyramide des âges des strates générationnelles », relève Jean-François Sirinelli. En France, la plus significative à cet égard est la « génération du feu », celle des hommes qui ont combattu dans les tranchées de la première guerre mondiale. La spécificité des baby-boomers étant de naître dans une période de paix relative.

Puisqu’ils sont âgés d’environ 20 ans lorsque le mouvement étudiant français éclate, c’est la dénomination de « génération mai 68 » qui est un temps retenue, avant que le terme ne perde en force – après tout, la « révolte » ne concerna que certains milieux très précis. « Leur spécificité historique tient plutôt à leur poids démographique, mais aussi à leur contemporanéité avec la grande mutation qui touche alors le monde industrialisé », remarque Jean-François Sirinelli, évoquant l’entrée dans la consommation de masse, le plein emploi, l’augmentation du niveau de vie, bref, le mode de vie des « trente glorieuses ».

Une analyse que ne partage pas Gérard Mauger, sociologue et auteur de l’ouvrage Ages et générations (La Découverte, 2015), pour qui la notion de génération s’applique mal aux baby-boomers car rien ne les rassemble véritablement – pas plus que les « millenials » et autres générations « X », « Y » ou « Z ». Même s’il concède : « A certains moments, au sein de l’espace artistique, de l’espace littéraire, de l’espace politique… on observe l’arrivée de nouveaux prétendants aux positions de pouvoir. Ceux-ci s’opposent à leurs aînés qualifiés de dépassés, en faisant souvent valoir qu’ils apportent de la nouveauté. »

Accès à la parole et à la représentation

Le visuel de campagne de Julien Bayou, candidat d’EELV à la présidence de la région Ile-de-France, publié fin avril avec le slogan « Les boomers, eux, ont prévu d’aller voter » semble assumer cette vision d’un conflit d’intérêts entre générations. L’affiche suggère que « jeunes » politiciens et « jeunes » électeurs se retrouveraient autour de l’opposition à un ennemi commun : les baby-boomers (qui, devenus vieux, se voient raccourcis en « boomers »), détenteurs d’un monopole politique, médiatique et électoral. Dans ce cas, comme dans celui de Chlöe Swarbrick et de la toute première vidéo utilisant « O.K., boomer », dans laquelle un homme d’un certain âge noie une jeune femme sous un flot continu de récriminations, le nerf de la guerre est bien l’accès à la parole et à la représentation.

La figure repoussoir et stéréotypée du « boomer » aurait alors moins pour objectif de stigmatiser la génération précédente que de permettre aux suivantes de prendre conscience d’elles-mêmes et de leurs spécificités. « Il y a une volonté de polariser, de signifier que de nouvelles idées, de nouvelles préoccupations sont apparues ; et qu’il est temps d’identifier et d’entendre ceux qui les portent », abonde Vincent Tiberj, sociologue et politiste à Sciences Po Bordeaux.

Si le débat tourne parfois au procès en responsabilité quant à l’état du monde contemporain et à son cortège d’injustices sociales et climatiques, ce n’est pas sans quelques approximations au passage.      « Les premiers promoteurs de la pensée écologique, du retour à la terre et du fromage de chèvre… ce sont bien les soixante-huitards et les néo-babas des années 1970 ! », note Gérard Mauger. La formule-choc, si elle permet aux « jeunes » de donner de la voix, prend parfois le risque de rater son objectif en se trompant d’adversaire.

Par Marion Dupont pour Le Monde, publié le 10 juin 2021

« Boomers », ou les « nouveaux » vieux schnocks

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