Au Canada, le droit à mourir dans la dignité est entré dans les mœurs

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Alors que le gouvernement Trudeau a reporté une disposition ouvrant l’euthanasie aux personnes atteintes de maladie mentale, la loi, votée en 2016, a encadré 4,1 % des décès survenus dans le pays en 2022. 

Le Canada marque une pause dans l’élargissement de sa loi sur « l’aide médicale à mourir ». Le 1er février, le gouvernement libéral de Justin Trudeau a annoncé reporter à 2027 la disposition permettant aux personnes atteintes de maladie mentale de faire une demande d’euthanasie. Cette extension de la loi était initialement prévue en mars 2024, mais « le pays n’est pas prêt », a argué le ministre de la santé, Mark Holland, pour justifier son report après les élections fédérales prévues en 2025.

Les provinces et les territoires canadiens consultés, ainsi que les parlementaires, notamment les élus conservateurs, réunis au sein d’un comité chargé d’émettre des recommandations, avaient tous fait part de leur opposition à cet élargissement. Des psychiatres avaient plaidé qu’il serait difficile, voire impossible, pour les médecins appelés à évaluer de telles demandes, de décider qu’une maladie mentale, telle qu’une schizophrénie, « ne pouvait pas être traitée » pour accéder à la requête du patient, ou de juger que celle-ci était « rationnelle ». Tous ont insisté sur la nécessité de garantir un meilleur accès aux soins, sur l’ensemble du territoire, aux personnes atteintes de troubles mentaux, avant d’envisager de leur accorder ce nouveau droit.

La loi canadienne sur l’euthanasie est déjà l’une des plus libérale au monde. Elle a été votée en juin 2016 sous la pression conjointe du Québec, qui avait légiféré sur le sujet un an auparavant, et de la Cour suprême du Canada, qui enjoignait au gouvernement de se mettre en conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés, reconnaissant à chaque individu la liberté de disposer de son propre corps. D’abord réservée aux personnes atteintes de « maladie grave et irrémédiable, occasionnant des souffrances physiques ou psychologiques intolérables » et dont « la mort naturelle est raisonnablement prévisible », la législation a évolué en 2021 en assouplissant les critères d’admissibilité. Le pronostic vital du demandeur n’a plus besoin d’être engagé à court terme, par exemple dans le cas de maladies chroniques invalidantes, pour que la requête, systématiquement examinée par deux médecins, soit jugée recevable.

La réticence des autorités religieuses

Le programme canadien d’aide médicale à mourir (AMM) autorise deux types d’assistance : un patient peut se voir administrer un produit létal par un médecin ou une infirmière, ou choisir de l’ingérer lui-même en présence d’un proche ou d’un membre du personnel médical. Le « suicide assisté », tel qu’il se pratique notamment dans l’Etat américain voisin de l’Oregon, reste cependant rarissime. Les dernières données établies par le rapport annuel de l’AMM révèlent que sept personnes seulement à travers tout le pays y ont eu recours en 2022. Enfin, il faut être majeur pour déposer une demande, et résident canadien – le système d’Assurance-maladie de chaque province prenant en charge le coût financier de cet acte médical.

Il y a près d’une décennie, les différentes communautés religieuses du Canada – catholique, juive et musulmane – et des associations telles que Vivre dans la dignité s’étaient élevées contre cette légalisation de l’euthanasie. Certains évêques de l’Ouest canadien refusaient même l’idée d’accorder des funérailles chrétiennes à ceux qui auraient renoncé à « mourir de mort naturelle ». Mais la contestation s’est faite à bas bruit et, depuis l’adoption de la loi, les Canadiens sont de plus en plus nombreux, chaque année, à y avoir recours.

En 2022, 13 241 d’entre eux ont ainsi bénéficié de l’aide à mourir, soit 4,1 % des décès du pays, juste derrière les Pays-Bas (5,1 %) mais devant la Belgique (2,5 %), deux pays ayant légiféré en la matière avant le Canada. Cette large acceptation sociale ne s’est pas faite au détriment des soins d’accompagnement de fin de vie. Dans près de huit cas sur dix, les personnes ayant réclamé une euthanasie avaient déjà reçu des soins palliatifs.

« Paternalisme médical » en France

C’est dans la province du Québec que la notion de « soin ultime » est la plus affirmée. La loi de 2015, élaborée après une large concertation citoyenne et transpartisane, a d’emblée placé l’aide à mourir dans un continuum de soins. « Il ne s’agit pas d’une législation spécifique sur l’euthanasie comme partout ailleurs, mais d’une loi globale sur la fin de vie dans laquelle nous avons créé un nouveau droit », explique Véronique Hivon (Parti québécois, centre gauche), à l’initiative de la loi. Le Québec est la seule province canadienne à déclarer illégal le suicide assisté. La province a en effet choisi de placer les médecins au cœur du dispositif – ce sont eux qui évaluent les demandes des malades et qui dispensent l’injection létale.

Les médecins qui s’y refusent peuvent néanmoins bénéficier d’une « clause de conscience », assortie de l’obligation de diriger leur patient vers un confrère. « Prendre soin du patient jusqu’au bout, jusqu’à écouter sa demande d’abréger ses souffrances, c’est comme cela que je conçois mon rôle de médecin », insiste Georges L’Espérance, président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité. Il met sur le compte du « paternalisme médical », selon lui encore très présent en France, les réticences exprimées par une partie des personnels de santé français envers le futur projet de loi sur « l’aide active à mourir » que le premier ministre, Gabriel Attal, a promis de présenter au Parlement « avant l’été ».

Au Québec, la liberté de recourir à l’euthanasie est entrée dans les mœurs. En 2023, près de 7 % des décès sont intervenus dans ce cadre. Et la loi continue d’évoluer : depuis le 7 juin 2023, les personnes atteintes d’une maladie neurodégénérative cognitive, du type Alzheimer, se sont vu accorder le droit de déposer une « demande anticipée ». Après avoir défini les conditions très strictes – perte d’autonomie totale, incapacité à reconnaître ses proches – auprès d’un médecin référent, elles pourront bénéficier du dispositif lorsqu’elles auront oublié jusqu’au souvenir même d’en avoir exprimé le souhait.

Par Hélène Jouan (Montréal) publié le mercredi 7 février 2024 par le Monde

https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/07/au-canada-le-droit-a-mourir-dans-la-dignite-est-entre-dans-les-m-urs_6215161_3210.html

En France aussi on manifeste…

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