Les études médicales sur les femmes ne sont pas assez diversifiées.

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Les études médicales sur les femmes ne sont pas assez diversifiées.

Les études médicales sur les femmes sont démesurément consacrées à la gynécologie et à l’obstétrique, au détriment du reste.

Peut mieux faire. C’est, en substance, ce que conclut l’ana- lyse d’un échantillon d’études médicales consacrées spécifiquement aux femmes. Ayant passé au crible 11 revues scientifiques renommées, les auteurs australiens de ce travail ont observé la persistance du biais « bikini » - à savoir, une importance démesurée accordée à l’obstétrique et à la gynécologie des femmes en âge de procréer, au regard d’autres pathologies plus meurtrières ou incapacitantes pour leur sexe.

Certes, la grossesse est une expérience importante dans le vécu physique et psychologique d’une fem- me, et reste risquée dans de nombreux pays – chaque jour, 830 femmes meurent de causes évitables liées à la grossesse et à l’accouchement, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais la première cause de mortalité féminine en France et dans le monde, ce sont les maladies cardiovasculaires. Viennent ensuite, pour la France, les cancers, et les maladies de l’appareil respiratoire (pneumonie, grippe...).

Le décalage avec les observations de l’étude australienne, parue dans le Journal of Women’s Health est frappant. Les chercheurs ont sélectionné, sur la base de recherches sémantiques dans le titre et le résumé (abstract) de l’étude, tous les articles de recherche consacrés aux femmes, à la fois dans 5 journaux médicaux dédiés à ces questions (Women Health’s Journal, ...) et 6 autres généralistes (Lancet, BMJ, NEJM...). Ils les ont ensuite triés par thèmes (cancer, urologie, neurologie, maladies infectieuses...) et par tranches d’âge (adolescence, années reproductives, ménopause...). L’opération a été répétée pour 2010 et 2020.

En 2010, les articles consacrés aux maladies non transmissibles (cardiovasculaires, diabète, neurologiques, psychiatriques...) restaient majoritaires dans les deux types de revues, respectivement à 39 % et 47 %, devant la santé reproductive (36 %). Les maladies transmissibles étaient très peu abordées. En 2020, la tendance s’était inversée : la santé reproductive pesait pour 49 % et 47%, contre 31% et 40% pour les maladies non transmissibles. Et par « santé reproductive », il faut en- tendre grossesse et période de fertilité essentiellement, car la ménopause ne concernait que articles dans les journaux centrés sur les femmes.

« Si l’espérance de vie des femmes est en général plus longue que celle des hommes, elles ont moins d’années de vie en bonne santé, et des taux d’invalidité élévés.

« Études très genrées »

Ces résultats reflètent « un manque de diversité » des sujets et un statu quo « frappant » en vingt ans, re- marquent les auteurs. « La très faible proportion d’articles dédiés aux femmes ménopausées laisse un grand nombre de leurs problèmes de santé non couverts. (...) Alors que l’espérance de vie des femmes est en général plus longue que celle des hommes, elles ont moins d’années de vie en bonne santé, et des taux d’invalidité en fin de vie élevés. C’est pourquoi il est important de s’intéresser à leur santé et à leur bien-être tout au long de leur vie et d’étudier l’impact des maladies qui prévalent chez les seniors, car elles peuvent impacter la population féminine de façon disproportionnée », écrivent-ils. Les chercheurs reconnaissent toutefois que deux initiatives peuvent avoir influencé le choix des sujets de re- cherche sur la période étudiée : la stratégie « Chaque femme, chaque enfant » lancée par l’ONU en 2010, puis les Objectifs de développement durable fixés par cette même institution en 2015. Ayant mis l’accent sur la santé maternelle et infantile, ils ont vraisemblablement attiré d’importants financements pour la recherche en la matière.

« Cette analyse est intéressante car elle montre que les études restent très genrées, réagit la Pr Claire Mounier-Véhier, cardiologue et médecin vasculaire à l’Institut cœur-poumon de Lille, cofondatrice d’Agir pour le cœur des fem- mes. En dehors des registres épidémiologiques (où les gens sont suivis dans le cadre de leur vie habituelle, sans intervention, NDLR), je remarque une réticence à faire prendre des risques aux femmes dans les essais thérapeutiques. Parce qu’elles pour- raient être enceintes, que leurs variations hormonales peuvent compliquer l’analyse des résultats et interférer avec la physiologie cardiovasculaire, l’hémostase (coagulation et hémorragie) et le métabolisme des traitements. Si bien que dans le domaine cardiovasculaire, elles ne représentent en France toujours que 38 % des effectifs, malgré l’appel, dès 1995, de l’OMS à les inclure davantage dans les essais cliniques. »

 

Beaucoup de progrès

Claire Mounier-Véhier en voit directement les conséquences au quotidien : « Elles souffrent davantage d’effets secondaires liés à leurs traitements car les dosages ont sou- vent été déterminés sur des populations majoritairement masculines. Elles ont ainsi plus de crampes et d’inconfort digestif avec les statines, saignent davantage sous antiagrégant post-infarctus ou lors des fibrinolyses pour dissoudre les caillots sanguins. Elles font aussi plus d’œdèmes des jambes et de rougeur au visage sous inhibiteurs calciques donnés dans l’hypertension artérielle ou l’angine de poitrine. »

Pour Nabila BouatiNaji, directrice de recherche Inserm au Paris centre de recherche cardiovasculaire (PARCC), il est clair que la France accuse un retard en termes d’investissements dans la recherche sur la santé cardiovasculaire des femmes, au regard du Royaume-Uni ou des États-Unis, où de grandes fondations en ont fait une priorité, drainant d’importants financements. « Au cours de ma carrière, j’ai pu observer que les particularités féminines de certaines pathologies, comme la dissection spontanée de l’artère coronaire, sont négligées, et de ce fait sous- diagnostiquées et peu étudiées. »

Dans son rapport « Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique », remis au ministre de la Santé en décembre 2020, la neuro- biologiste Catherine Vidal relève que beaucoup de progrès ont été faits. « Selon le registre international des essais cliniques (OMS-NIH), la participation des femmes est passée de 35% en 1995 à 58% en 2018 » Elle observe néanmoins que « pour quelques pathologies, la persistance d’une représentation insuffisante des femmes a été dénoncée, notamment dans des essais concernant l’insuffisance cardiaque, certains cancers, la dépression, la douleur, le sida ».

« Je ne pense pas qu’il y ait de manque d’intérêt pour ces questions, personne n’ignore ces pathologies », estime toutefois la neurobiologiste. Selon elle, il peut en revanche s’avérer compliqué de recueillir des données sur les inégalités de santé dont souffrent les femmes car le su- jet est étroitement lié à leur statut socio-économique, en sus du physiologique. « Elles souffrent davantage de troubles musculosquelettiques, une maladie des métiers précaires, mais elles vont peu s’en plaindre pour conserver leur travail, pointe Catherine Vidal. Ce sera donc peu rapporté dans la littérature scientifique. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais il montre que pour traiter avec justesse de l’inégalité en santé des femmes, il faut re- garder au-delà de la biologie. C’est aussi une affaire de société. »  

Par Pauline Fréour, dans Le Figaro, Publié le 19/04/2022

https://www.lefigaro.fr/sciences/sante-feminine-la-recherche-demesurement-consacree-a-la-gynecologie-et-a-l-obstetrique-20220419

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