Serge Guérin: «Le discours idéologique, à courte vue, des politiques est encore que l’avenir, c’est la jeunesse»

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires

Pour Serge Guérin, nos aînés n’ont pas de secrets. Ce sociologue qui les observe et les écoute depuis longtemps siège au conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et au Haut Comité de la famille, de l’enfance et de l’âge au titre des personnalités qualifiées.

Le salon de la silver économie s'est tenu en novembre, porte de Versailles, à Paris. Qu’est-ce au juste que la silver économie ?

La silver économie se définit comme la filière économique créée pour répondre à la révolution démographique, et à la prise de conscience – enfin ! – de la séniorisation de la société. En France, 15 millions de personnes ont plus de 60 ans, le quart de la population. Et demain, ce sera plus du tiers. L’avantage de la silver économie est de placer la question du vieillissement dans le débat public, sous l’angle des opportunités et de l’innovation. Mais sa limite, c’est de ne s’adresser qu’aux personnes dépendantes, et d’être centrée sur les technologies, en particulier le numérique.

Le regard sur le vieillissement a-t-il changé ?

La question du vieillissement a longtemps été un non-dit en France. On est passé de l’indifférence à l’effroi. En 2003, avec la canicule, on a découvert qu’on laissait mourir nos aînés. Je rappelle qu’il y a eu 15 000 morts en un été. Ce fut un choc ! Le ministre de la Santé de l’époque a été limogé… pour devenir président de la Croix Rouge. Imaginez si cela avait été 15 000 étudiants décédés ! Ce n’est pas un ministre qui aurait été remercié, mais tout le gouvernement ! Cela a entraîné une prise de conscience, de nombreux rapports. Et aussi des décisions efficientes. Les épisodes caniculaires sont aujourd’hui prévenus et bien gérés. Pour le reste, c’est poussif. Je vois deux attitudes face aux seniors. Les uns imaginent que les millions de vieux tirent le pays vers le bas. Ils parlent de tsunami gériatrique ! Les autres se disent qu’en réalité, les seniors représentent une opportunité économique et sociale. Je fais partie de cette seconde catégorie. Les seniors sont une force, à condition que l’on adapte les choses, que les seniors soient acteurs. C’est quand même un des rares secteurs où des créations d’emplois sont annoncées. Une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) les chiffre à 350 000 emplois potentiels, dont la majorité seront dans les services, d’ici à 2020.

Quel est le poids des seniors dans l’économie ?

Une étude du CREDOC montre que les plus de 50 ans représentent 48 % de la consommation totale en France. Ils assurent 64 % du marché de la santé, 60 % de l’alimentation, 58 % l’équipement, 57 % les loisirs… Un tiers des jouets sont achetés par des retraités, 60 % de l’achat des voitures neuves en France est le fait des plus de 60 ans… Ils sont essentiels dans notre économie.

On est loin de l’image des seniors dépendants…

Oui, et alors que pendant longtemps les marques n’ont pas beaucoup évolué, elles sont en passe de le faire. Jusqu’à présent, elles refusaient de s’adresser aux seniors en tant que tels car elles craignaient le coup de vieux infligé à la marque. Elles sont encore frileuses, mais de plus en plus d’enseignes ont compris qu’il fallait s’adresser à eux. Pour le secteur grand public, je crois plus efficace de se centrer sur leur style de vie. Et ce d’autant plus qu’aujourd’hui, les âges se brouillent. On a de plus en plus de seniors qui ont des enfants jeunes, ont refait leur vie, se comportent en « quincados »… En même temps, les seniors sont des consommateurs exigeants, ils ont le temps de se renseigner, de comparer, de lire les étiquettes. Ils se laissent moins facilement berner par la publicité… Ils représentent par exemple une des principales clientèles qui a adopté le bio, car ils veillent à leur santé et sont sensibles aux enjeux environnementaux.

Les programmes politiques ne développent aucune vision d’une société de la longévité. Le sujet est pratiquement absent des débats de la primaire de la droite

Politiquement, c’est une catégorie électorale qui pèse ; or on en a peu parlé  pendant cette campagne des primaires. Pourquoi ?

C’est vrai, et pourtant ce sera un électorat qui compte ! Le vote senior qui représentait 24 % des suffrages exprimés à la présidentielle de 1981, en formera le tiers en 2017. À l’inverse, les 18-34 ans qui assuraient 35 % des suffrages en 1981, n’en représenteront qu’un gros quart pour la même échéance. Sans compter que le taux de participation des seniors aux élections se situe traditionnellement 15 points au-dessus de la moyenne. Mais la droite se dit que c’est un électorat acquis – les seniors sont réputés voter plus massivement à droite - quand la gauche les néglige car elle se dit que de toute façon, c’est perdu… Ces idées sont fausses, car la réalité est plus nuancée. Déjà parce qu’une partie des seniors sont d’anciens soixante-huitards avec un attachement à la gauche. Avec Christophe Guilluy, nous avions mis en exergue, dès 2012, que dans les milieux populaires, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les retraités populaires votent moins à l’extrême droite que les jeunes. D’ailleurs, Marine Le Pen a bien saisi cette réalité. Le FN travaille très sérieusement cet électorat. Sa défense des territoires peut aussi se lire à cette aune. Pour en revenir au contenu des programmes, on voit bien le discours idéologique à courte vue des politiques : marteler que l’avenir, c’est la jeunesse. Ils ne développent aucune vision d’une société de la longévité. Le sujet est pratiquement absent des débats de la primaire de la droite. Selon une étude du Cevipof, 43 % des participants annoncés à la primaire ont plus de 65 ans. Et 27 % se situent entre 50 et 64 ans. Contre seulement 14 % de 18-34 ans…

Un ministère de l’Allongement de la vie et de l’Intergénération serait plus englobant, permettrait de traiter des questions d’économie, d’évolution de la vie, de longévité, de formation à tout âge ou encore de mobilité

A défaut d’avoir une loi sur le cinquième risque – qui aurait créé une branche de plus de la sécurité sociale —, il y a quand même eu la loi Delaunay…

Oui, et cela marque une vraie évolution. C’est une loi intéressante car pour la première fois, on ne parle pas uniquement de dépendance et de santé, mais bien d’évolution globale, avec adaptation des logements ou des transports. C’est la première fois aussi que des mesures de soutien aux aidants sont mises en œuvre.

On est loin du ministère de l’Allongement de la vie que vous prônez ?

Il me semble qu’un ministère de l’Allongement de la vie et de l’Intergénération serait plus englobant, permettrait de traiter des questions d’économie, d’évolution de la vie, de longévité, de formation à tout âge ou encore de mobilité, tout en étant transverse. Les gens s’y reconnaîtraient peut-être mieux, qu’avec l’actuel secrétariat aux Personnes âgées.

Serge Guérin: «Le discours idéologique, à courte vue, des politiques est encore que l’avenir, c’est la jeunesse»
C’est dans l’air du temps d’annoncer une guerre des générations. Qu’en pensez-vous, vous qui allez publier un ouvrage sur le sujet en janvier ?

Je n’y crois pas du tout. Alors que l’on nous parle de la mixité sociale, culturelle et générationnelle comme les piliers du vivre ensemble, il me semble que la seule que l’on a pratiquée depuis sa plus tendre enfance, c’est la mixité générationnelle. Même si les familles se sont distendues, au quotidien, l’échange intergénérationnel reste très fort. Et en période de crise, c’est la première des solidarités. On a des adultes qui reviennent vivre chez leurs parents, des plus âgés qui sont aidés par leurs enfants… Autre exemple : le numérique loin de fracturer les générations, favorise les liens et les échanges réciproques.

En même temps, d’un point de vue macroéconomique, les seniors ont des revenus plus élevés que les jeunes…

C’est vrai, mais c’est aussi assez normal que des gens qui ont travaillé toute leur vie aient plus de revenus que celui qui est au début de sa vie professionnelle. C’est au sein des plus âgés qu’il y a le plus de différences de revenus et, surtout de patrimoines. Je caricature mais entre le couple de retraités propriétaire de trois appartements au cœur de Paris, et la personne seule dans son pavillon d’une petite ville de province avec une faible pension, le fossé est immense. Je rappelle que si 75 % des plus de 60 ans sont propriétaires de leur logement, la retraite moyenne ne dépasse pas 1 300 euros, ce qui est loin d’être le Pérou ! Pour les salariés du privé ou les professions libérales, la retraite est synonyme de perte de pouvoir d’achat. Autre chose, les seniors ont subi la plus forte augmentation du chômage ces dernières années. Aujourd’hui, on voit arriver de nombreux seniors qui ont connu des arrêts de carrière brutaux et des licenciements en fin de parcours et qui ont des pensions basses. Les femmes restent encore les plus défavorisées, avec des interruptions de carrières, des temps partiels.

Serge Guèrin, dans L'Opinion 

http://www.lopinion.fr/edition/economie/serge-guerin-discours-ideologique-a-courte-vue-politiques-est-encore-114011

Serge Guèrin, le sociologue des plus âgés. Professeur à l’INSEEC où il dirige le MBA « directeurs des établissements de santé », Serge Guérin travaille sur la question des seniors depuis une quinzaine d’années. Auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, il a publié en 2015 « Silver Génération. 10 idées fausses à combattre sur les seniors » (Michalon). Il est président du Jury des Trophées SilverEco 2016.

Serge Guèrin, le sociologue des plus âgés. Professeur à l’INSEEC où il dirige le MBA « directeurs des établissements de santé », Serge Guérin travaille sur la question des seniors depuis une quinzaine d’années. Auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, il a publié en 2015 « Silver Génération. 10 idées fausses à combattre sur les seniors » (Michalon). Il est président du Jury des Trophées SilverEco 2016.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Toujours les mêmes confusion: une fois on parle des aînés dont on a laissé mourir 15 000 d'entre eux en 2003, puis des plus de 60 ans, ensuite des plus de 65 ans et enfin des seniors définis comme les plus de 50 ans§ Aucune de ces catégories n'est homogène, aucune n'a les mêmes revenus. Le problème essentiel du vieillissement est la perte d'autonomie, la dépendance...Il n'y a aucune création de richesse, seulement un transfert car les très dépendant, a l’exception d'une petite minorité de très riches peuvent faire face aux besoins d'aide qui leur est indispensable. La question essentielle est celle du financement de la dépendance. Les services à la personne devaient créer 500 000 emplois selon le Plan Borloo. On a vu le résultat..Il ne s'agit pas de faire du jeunisme mais être pragmatique: la croissance économique ne peut venir que de l'innovation, de la croissance du pouvoir d'achat, Aucun de ces deux moteurs ne se trouve chez les ,personnes âgées. Depuis Cicéron et son traité "Caton l'Ancien, ou de la vieillesse" on peut dire comme Caton l'Ancien "Qu'est-ce que la vieillesse, quand l'âme se voit à l'aurore d'un jour éternel?"
Répondre