Pourquoi je vais me faire vacciner, par Pierre Tambourin
Se souvenant vaguement que j’avais travaillé sur des virus toute ma vie de chercheur, se rappelant opportunément qu’Inserm signifie « Institut national de la santé et de la recherche médicale », étonnés de découvrir qu’un vaccin dont on a dit, il n’y a pas si longtemps encore, qu’il fallait plusieurs années d’études avant de pouvoir le commercialiser, en particulier pour des raisons cruciales de sécurité, nombre d’amis me posent des questions sur la grande problématique des prochains mois : la mise sur le marché d’une armada de vaccins anti SARS-CoV-2 est-elle raisonnable ? Est-elle médicalement et éthiquement acceptable ?
Les questions qu’ils m’adressent sont simples, au moins à formuler :
- Faut-il se faire vacciner, en particulier si l’on n’est pas une personne à risque ?
- Si oui, peut-on dès maintenant, au regard de la technologie utilisée, et sur le plan des principes, conseiller un vaccin plutôt qu’un autre ?
- En termes d’immunogénicité[1], de durée d’action, et d’effets secondaires potentiels, peut-on déjà émettre des préférences sur tel ou tel type de vaccin ?
- Si nous en avions le choix, lequel de ces vaccins aurait ta préférence ?
[1] - L'immunogénicité est la capacité pour toute substance, soluble ou particulaire, protéique ou non, habituellement étrangère à l' organisme dans lequel elle se trouve, de provoquer une réponse immunitaire spécifique. Cette substance est alors appelée antigène.
L’étonnante rapidité dans la mise au point de ces différents vaccins et donc l’absence quasi totale de résultats sur d’éventuels effets à long terme, devraient-elles nous conduire logiquement à attendre pour se faire vacciner ?
La réponse est évidemment non et non ! Il faudra se vacciner dès que possible y compris si l’on a déjà été infecté mais que le taux d’anticorps dans le sang est devenu très bas (ce qui arrive, semble-t-il, mais assez rarement) et surtout si l’on est une personne dite « à risque ». On ne peut vraiment pas attendre les une ou deux années qui seront nécessaires pour être totalement rassurés et choisir le vaccin adapté à chacun !
Pourquoi une affirmation, aussi péremptoire, face à autant d’incertitudes ? Pour trois raisons majeures dont chacune suffirait pour soutenir cette position :
- Le virus SARS-CoV-2 n’est pas un virus de rhume ou même un virus de la grippe ou encore un virus respiratoire syncytial. Ce virus est un tueur sournois. Certes, il semble peu virulent chez les enfants et les adultes jeunes, et c’est un point très heureux, mais rien ne prouve qu’il restera ainsi, surtout si nous le laissons évoluer. Il peut gagner encore en agressivité et en infectiosité.
- Chez certains, la maladie est très grave, longue et handicapante. Nous ne connaissons pas encore ce qui détermine une évolution vers ces formes graves associées à des séquelles profondes.
- Très vite, après l’infection, ce virus emprunte les voies anatomiques de la neuro-olfaction et envahit des zones plus ou moins étendues du cerveau jusqu’au cervelet, le tronc cérébral et même la moelle épinière.
Si une partie importante de nos concitoyens refusent la vaccination, ce qui sera leur droit si le vaccin reste non obligatoire, la fameuse couverture vaccinale ne sera pas atteinte.
Pour tous ceux qui hésitent à se faire vacciner, en particulier ceux qui pensent qu’une CoV-19 naturelle, bénigne, est préférable à un vaccin, je demande de bien réfléchir aux conséquences fortement probables que cela entraînera. Le virus continuera à circuler à bas bruit provoquant des vagues successives d’épidémies et de morts. La liberté de ne pas se vacciner est un droit. Mais peut-on accepter une position qui peut aboutir à la possible contamination de personnes à hauts risques ?
Une éthique de la responsabilité ou pourquoi peut-on et doit-on accepter une mise sur le marché d’urgence de ces vaccins.
Les agences réglementaires internationales ont tendance à être de plus en plus exigeantes sur ces questions de sécurité, surtout lorsque d’autres vaccins existent déjà pour la maladie visée et qu’il n’y a aucune urgence. Avant d’être validé, un candidat vaccin subit de très nombreuses vérifications en particulier sur les effets à long terme afin d’apprécier son innocuité et établir un catalogue aussi complet que possible des effets secondaires observés !
Tout ceci est de bon sens et habituellement éthiquement indispensable sauf que respecter un tel processus aurait conduit, comme cela a déjà été dit, à une mise sur le marché de vaccins anti CoV-19 en 2023, au mieux. Avec combien de morts d’ici là ?Face à une situation de grande urgence, de telles exigences sont-elles toujours aussi éthiquement acceptables ?
Les 10 raisons d’une procédure de grande urgence
1. Un virus extrêmement contagieux capable de se propager sur toute la planète en quelques mois.
2. Un virus qui peut muter et se révéler bien plus agressif encore.
3. Une pathologie mortelle.
4. Une pathologie qui peut laisser des séquelles profondes et définitives.
5. Une pathologie qui touche de nombreux organes.
6. Une absence de médicament efficace : le seul vrai antiviral, le remdesivir s’est révélé décevant ne montrant, par exemple, aucun effet sur la mortalité. La Haute Autorité de Santé le considère comme peu utile chez les malades nécessitant une oxygénothérapie.
7. Les médicaments type hydroxychloroquine ou molécules apparentées ont peu ou pas d’effet.
8. Un désastre social
9. Un désastre économique et industriel
10. Un désastre société et politique
Les six raisons d’accepter cette procédure d’urgence
1. L’industrie du médicament publique ou privée fabrique des vaccins depuis presqu’un siècle. Ce n’est donc pas une activité nouvelle inconnue même si les coronavirus hautement virulents chez l’homme sont d’apparition plutôt récente.
2. Une mobilisation des populations qui obligera à plus de transparence et de sécurité.
3. De nouvelles méthodes (vaccin à ARN messager) prometteuses rapides et simples comparée aux méthodes qui nécessitent de produire des protéines virales purifiées en grande quantité et de vérifier chaque lot.
4. Une procédure d’urgence qui impose des études précliniques chez l’animal et des phases I, II puis III, certes allégées, mais portant sur plusieurs dizaines de milliersde personnes au total.
5. Un suivi attentif des populations vaccinées complètera les essais cliniques de phase III afin d’établir une liste des incidents dus aux divers vaccins utilisés sous la férule attentive des agences réglementaires.
6. Des études menées sur les virus SARS-CoV 1 à l’origine d’un début d’épidémie en 2002- 2003 et sur le MERS-CoV apparu 10 ans plus tard permettent de guider les recherches actuelles, en particulier pour définir le meilleur antigène, obtenir une immunisation humorale et cellulaire, une mémoire à long terme et éviter les anticorps facilitants.
Quel vaccin choisir ?
On attend de tout vaccin qu’il soit :
· sûr, sans danger notable.
· capable de provoquer une réponse immunitaire complète : humorale et cellulaire avec mémorisation immunitaire et sans anticorps facilitants.
· d’une durée d’action suffisamment longue.
· et, dans le cas du SARS-CoV-2, capable de prévenir les formes bénignes et les formes sévères de la maladie en particulier celles, mortelles, qui frappe les hommes âgés avec comorbidités.
Le très grand nombre de projets de vaccins en cours (>200), permet d’espérer que l’un au moins de ces vaccins satisfera à tous ces prérequis. Mais rien n’est moins sûr. Il n’est pas impossible qu’il faille deux vaccins ou une personnalisation de la prescription vaccinale en fonction de la génétique du patient et de son histoire personnelle.
Mais avant d’aborder la question du choix du vaccin, j’aimerais clarifier le cas particulier de la vaccination par ARN messager
L’utilisation d’un ARN messager.
Chacun sait, plus ou moins, que les informations qui permettent aux cellules de nos organismes de fonctionner sont stockées dans une longue molécule appelée ADN, véritable disque dur du vivant. Chacun sait également que les tâches remplies par une cellule nerveuse diffèrent de celles d’une cellule de foie ou de rein ou encore du muscle. Or toutes les cellules du corps ont le même disque dur. Ce qui les différencie vient de leur capacité à choisir à chaque instant, les régions de l’ADN (les gènes) dont elles ont besoin pour accomplir leurs tâches spécifiques.
Ceci est vrai des organismes dits simples (virus, bactéries, levure) ou plus complexes comme l’homme. Pour réaliser cela, les cellules choisissent et copient les régions d’ADN utiles (on dit qu’elles sont exprimées) sous forme d’un ARN dit messager, copie fidèle de l’instruction ADN qui lui a donné naissance. Cet ARNm est ensuite lu par la cellule qui le traduit en protéines. Le concept et la découverte des ARNm résultent des travaux princeps de François Jacob, Jacques Monod et François Gros à l’Institut Pasteur de Paris dans les années 1960. L’ARN messager est donc l’intermédiaire entre les disques durs /ADN et les protéines de structure ou fonctionnelles.
Le problème posé par les ARNm, en général, venait de leur extrême fragilité. Ils ont une demi-vie très brève et sont détruits avant de pouvoir agir. Pour remédier à ce problème, une version synthétisée chimiquement, plus résistante à la dégradation mais fonctionnelle a été synthétisée pour la vaccination.
Il n’y a aucun risque de modifier le disque dur de la cellule, son ADN. Seuls les rétrovirus peuvent transcrire de l’ARN viral en ADN mais l’ARNm utilisé dans la vaccination ne peut être rétro-transcrit. Dans nos discussions, plus passionnelles que rationnelles, nous oublions toujours que, chaque jour, nous ingurgitons de grandes quantités d’ADN et d’ARN qui sont dénaturés par la cuisson mais quasi intactes dans un steak tartare, dans une salade ou dans des radis. Et, en dehors des oreilles en feuille de chou de nos rugbymans, personne n’a jamais vu un quelconque effet sur les êtres qui absorbent ces légumes crus.
Nous connaissons parfaitement, par séquençage, le disque dur du SARS-CoV-2 et donc la structure fine des ARN messager que le virus utilise pour produire les protéines dont il a besoin pour se reproduire. On choisit l’ARNm qui code la protéine vaccinale, on le synthétise chimiquement, on l’habille de lipides pour le protéger et on l’injecte dans des cellules qui fabriqueront la protéine codée dans cet ARNm. Cet ARNm correspond au gène d’une protéine virale, donc les cellules fabriqueront pendant un certain temps cette molécule qui sera reconnue comme étrangère et qui génèrera une réponse anticorps puis, on l’espère, cellulaire.
Le problème n’est plus technique mais immunologique : quelle protéine virale faut-il choisir pour garantir une immunisation optimale ? Là, est toute la question. Cette question se pose de la même façon ou presque, quelle que soit la méthode d’immunisation choisie. Je dis presque parce que les méthodes utilisant du virus entier inactivé ou simplement atténué n’ont évidemment pas de choix à faire. Ce choix est crucial et peut donner des immunisations plus ou moins fortes et complètes, qualitativement ou quantitativement.
C’est là où disposer de 200 projets différents constituera, à terme d’un ou deux ans, un potentiel riche de possibilités et d’ajustement du choix de la ou des méthodes adaptées à chacun. Cette mobilisation, ces efforts gigantesques, cet épisode unique dans l’histoire de la médecine pourraient nous permettre de faire un bond en avant dans le domaine de la vaccination et de l’immunologie et profitant de l’apport indispensable des sciences du numérique indispensables pour stocker et traiter cette montagne de données devrait nous permettra assez vite de définir de nouvelles stratégies en matière de vaccination et la génétique de chacun.
Le choix du « bon » vaccin
Je dois avouer avoir un faible pour les approches ARN messager que je connais bien et dont les premiers résultats sont excellents que ce soit Pfizer-BioNtech ou Moderna. Le vaccin Oxford-Astra-Zeneca paraît un peu moins efficace mais provoque une réponse immunitaire de qualité. Le talon d’Achille des méthodes ARN est la fragilité du produit qui exige un grand respect de la chaîne de froid.
Restent enfin les vaccins chinois ou russe : nous n’avons pas encore suffisamment d’informations. Espérons que les vaccinations à grande échelle en cours actuellement utilisant ces vaccins nous permettent, en toute objectivité, d’émettre un avis solide sur l’efficacité/sécurité de ces derniers.
Pierre Tambourin, Directeur de recherche Inserm, Ancien directeur de Genopole
Publié le 25 décembre 2020 par COMMUNICANTE ECLECTIQUE