Travail et vieillissement : si l'on inversait le paradigme?
L’enjeu et l’emploi des séniors
A l’heure du débat sur les retraites, la question de l’emploi des séniors réapparaît. Comment le système de santé actuel va t’il contribuer à changer la donne ?
L’actuel débat sur la réforme des retraites n’a pas manqué de reposer de façon centrale et plus impérieuse que jamais le problème de l’emploi des seniors et, partant, du maintien de leur employabilité.
Reporter l’âge de départ en retraite, allonger la durée de cotisation ne prend en effet sens qu’à la condition que les seniors demeurent en activité et ne se transforment pas automatiquement en allocataires du Pôle Emploi, ce qui reviendrait tout bonnement à transférer la charge de leur financement d’une « poche » à une autre.
La France est loin de satisfaire à cette exigence, malgré certains progrès récents.
Le taux d’emploi des seniors en 2005 s’y avérait en effet très moyen (56,7%) pour la tranche d’âge 55 – 59 ans et extrêmement bas au-delà (16,6% pour la tranche 60 – 64 ans), soit une moyenne de 37,9% pour la tranche 55 – 64 ans. A titre de comparaison, la Suède se situait au même moment à un taux de 69%, le Royaume Uni à 57%, l’Allemagne à 45%.
Notre pays persiste à fonctionner sur un schéma hérité de son histoire économique, sociale et, plus profondément encore, sociologique, de ces trente dernières années.
Un «logiciel » dépassé
Depuis plus de trente ans, depuis les opérations lourdes de restructuration des industries minières et sidérurgiques, le départ anticipé des salariés de plus de cinquante ans s’est imposé comme un paramètre d’ajustement majeur, autorisé, puis fortement incité par la mise en place de dispositifs de préretraite financés par la collectivité. Initié pour faire face à des situations industrielles exceptionnelles de grande envergure, pour aider à la reconversion et lutter contre l’accroissement du chômage, le système des préretraites est rapidement entré dans les mœurs et les esprits, se transformant au fil du temps en « logiciel » qui dirige et structure les mentalités, installant solidement dans les esprits une culture de retrait précoce de la vie active.
Les limites d’équation malthusienne
A cette matrice s’est juxtaposée une approche malthusienne du travail reposant sur un ensemble de concepts analysant l’économie comme un « gâteau », dont il suffit de réduire les parts individuelles pour permettre de nourrir un plus grand nombre de convives. Ces doctrines ont inspiré le dispositif des « 35 heures », mais également et, plus sournoisement, l’idée solidement ancrée que le départ en retraite ou préretraite des salariés âgés ouvre la porte aux jeunes générations, qui sans cela ne pourraient accéder en aussi grand nombre au marché du travail, bloqués à son entrée par des aînés peu pressés de leur céder la place.
Or, les faits démontrent avec un entêtement proportionnel à cette conviction que l’équation ne fonctionne pas : la France est en Europe le pays qui présente le plus fort taux de chômage tant des jeunes que des seniors, limitant la période de forte employabilité à une fourchette d’âges comprise entre trente et cinquante ans…voir quarante-cinq.
« La France a les étudiants les plus vieux et les retraités les plus jeunes » a constaté Xavier Gaullier, sociologue au CNRS, traduisant par ce raccourci en forme de boutade le fait que sur quatre générations d’une même famille, deux sont retraitées, la plus jeune en cours de scolarité.
Le taux d’emploi des jeunes n’a cessé de décroître depuis le début des années 1980 : 52% pour les hommes, 43% pour les femmes en 1980 ; 37% pour les hommes, 30% pour les femmes en 2005, amorçant toutefois un léger rebond depuis le début des années 2000.
De fait, force est de constater que l’économie fonctionne plutôt sur la base d’un équilibre dynamique, l’emploi des uns créant l’emploi des autres par un processus d’accroissement cumulatif des richesses que notre pays peine à enclencher et à maintenir sur le moyen et long terme.
Une impérieuse nécessité d’agir
Deux facteurs complémentaires viennent renforcer l’ardente nécessité d’agir…et de se remettre au travail.
Le premier est un facteur endogène, dont nos sociétés ne peuvent que se réjouir : l’allongement régulier et rapide de la durée de vie, phénomène sans précédent depuis l’aube de l’humanité, appelé selon toute vraisemblance à perdurer.
Le second est un facteur exogène, certainement plus perturbant et problématique : la concurrence croissante, jusque dans nos domaines d’excellence, de pays émergents dynamiques, jeunes, peuplés, pleins d’espoir dans l’avenir…âpres au travail.
Quelques pistes pour le maintien des seniors en activité
L’inversion d’un paradigme aussi solidement ancré n’est pas chose facile, d’autant qu’elle s’inscrit à contre-courant des tendances profondes de nos sociétés tentées depuis plus de quarante ans par le doux tropisme des loisirs et de l’absence de contraintes. Elle s’avère néanmoins incontournable et repose pour ce faire sur un changement profond des mentalités et des stéréotypes, tant des entreprises que des salariés, qui partagent à cet égard une responsabilité complice. Elle suppose une réflexion de fond sur la gestion anticipée de la pyramide des âges, sur la gestion prévisionnelle des emplois, sur la formation professionnelle aux différentes étapes de la vie professionnelle, sur la meilleure utilisation des compétences et de l’expérience des quinqua, puis sexagénaires.
Elle repose aussi sur une réelle prise en compte des problématiques de pénibilité, plus largement de santé des seniors au travail, plus en amont encore de prévention des risques professionnels tout au long de la carrière.
Conscients de l’urgence de la situation et de la hauteur du défi – transformer les mentalités individuelles et collectives - les gouvernements successifs ont lancé une série de plans qui abordent la question sous des angles convergents.
Au centre du dispositif figure le « Plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors ». Adopté le 6 juin 2006, il se structure autour de cinq objectifs essentiels : en premier lieu, priorité des priorités, « faire évoluer les représentations socioculturelles ».
Très récemment, dans son champ d’actions, le « Plan Santé au Travail n°2, 2010-2013 » présenté le 12 juillet 2010 par le ministre du travail, a fait de l’employabilité des seniors un objectif prioritaire, accompagné d’actions détaillées dans son « Axe 2 - action 19 », complétant et confortant ainsi les actions définies fin 2009 par la CNAM – branche AT/MP dans sa « Convention d’Objectifs et de Gestion ».
Plus récemment encore, le 15 septembre 2010, une série d’amendements relatifs à la santé au travail, proposés par la majorité, ont été votés dans le cadre de la réforme des retraites.
Proposant une réforme –encore partielle - du système français de santé au travail, ils relient ainsi de façon claire les questions relatives à la retraite aux problématiques de santé au travail, via l’épineuse question de la pénibilité.
Les mesures votées confient aux services de santé au travail et à leur directeur, chargé de coordonner l’action d’équipes pluridisciplinaires, la conduite « d’actions de santé au travail visant à préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel et à les maintenir dans l’emploi ».
Une réforme est en cours, dont une étape cruciale vient peut-être d’être franchie.
Jean-Paul Thonier pour Silver life le 23 09 2010
Encore faut il que cela soi intégré dans le dialogue et la négotiation !!