En Suisse, les seniors en ont assez d’être mis sous cloche

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Interrogées par Le Temps, ces personnes qui ont entre 75 et 85 ans veulent pouvoir décider de leur sort, en toute liberté. Elles déplorent par ailleurs les conséquences provoquées par cette crise pour la jeune génération.

Cet article est extrait du dossier « La lutte des âges » de Courrier International. Publié le 20 mai 2020, il décrit la façon dont la pandémie touche particulièrement deux générations : les plus âgés, pour lesquels le Covid-19 est beaucoup plus meurtrier, et les jeunes, sur lesquels la récession qui s’annonce va lourdement peser. ​

Bien sûr que je continue à sortir ! Les personnes âgées ont plus de risque de mourir de peur et d’isolement que du Covid-19. La place que prend cette pandémie est totalement exagérée " Jeannette Meier, habitante de Lutry de 75 ans, ne s’est pas fait prier pour témoigner quand, à la suite d’un entretien coup-de-poing avec André Comte-Sponville (voir le blog or Gris le 29 mai 2020) , on a cherché des aînés révoltés par le confinement qui leur est imposé.

À ses côtés, le Romand Éric Denzler, 85 ans, et le Rouennais Olivier Guinet, 76 ans, considèrent aussi que la société se soucie trop d’eux et pas assez de l’économie.

C’est absurde de faire peser sur les jeunes des mesures qui nous donnent quelques années de grâce. On a l’âge de prendre nos responsabilités”, clament les deux retraités.…

   Le troisième âge mis sous cloche

Une provocation ? Alors que la majorité des voix plaident pour une protection des plus faibles face à la pandémie de Covid-19André Comte-Sponville fait sensation en disant son exaspération face à la récession économique qui va découler du confinement et l’inversion des valeurs qui veut que l’on protège les plus âgés au détriment de leurs descendants…

Marie-Pierre Genecand paru dans le Courrier international du 20 mai 2020

Voici l’article original  de La Tribune : 

En Suisse, les seniors en ont assez d’être mis sous cloche

Confinement, la révolte des aînés ; - journal Le Temps, Suisse-

Ils ont entre 75 et 85 ans et souhaitent pouvoir décider de leur sort en toute liberté. Surtout, ils ne veulent plus du gel des activités qui pèse sur les jeunes. Témoignages et réactions

« Bien sûr que je continue à sortir! Les personnes âgées ont plus de risque de mourir de peur et d’isolement que du Covid-19. La place que prend cette pandémie est totalement exagérée. » Jeannette Meier, habitante de Lutry de 75 ans, ne s’est pas fait prier pour témoigner quand, à la suite d’un entretien coup-de-poing d’André Comte-Sponville paru dans nos colonnes (La tribune, Suisse), on a cherché des aînés révoltés par le confinement qui leur est imposé. A ses côtés, le Romand Eric Denzler, 85 ans, et le Rouennais Olivier Guinet, 76 ans, considèrent aussi que la société se soucie trop d’eux et pas assez de l’économie. « C’est absurde de faire peser sur les jeunes des mesures qui nous donnent quelques années de grâce. On a l’âge de prendre nos responsabilités », clament les deux retraités.

    Inversion des valeurs

Une provocation? Alors que la majorité des voix plaident pour une protection des plus faibles face à la pandémie de Covid-19, André Comte-Sponville fait sensation en disant son exaspération face à la récession économique qui va découler du confinement et l’inversion des valeurs qui veut que l’on protège les plus âgés au détriment de leurs descendants.

« Même si on est âgé, on devrait avoir le droit de décider si on veut prendre un risque ou non » Olivier Guinet

Eric Denzler, 85 ans, ex-chasseur de têtes installé à Begnins, applaudit. «Le troisième âge est souvent mis sous cloche. Mon père est mort dans un EMS après avoir vécu deux ans attaché à une chaise. Est-ce vraiment cela qu’on veut pour nos vieux ? A titre personnel, je préfère perdre une ou deux années de vie et continuer à voir mes petits-enfants – j’en ai 11 – que me murer dans la solitude.» Le retraité, veuf depuis deux ans, reste «à une distance de 3, 4 mètres» lorsqu’il va trouver sa famille. « Mes filles me font les courses et deux charmantes voisines me cuisinent des repas. Je rencontre des amis, toujours à bonne distance, et je vais me balader. Sans masque. Le masque, je le porte juste quand je vais chez mon physio, pour ne pas dépareiller ! »

   Naufrage de l’économie

Cet ex-directeur des ressources humaines est inquiet : « Trois mois de disette, c’est plus qu’assez pour faire couler une entreprise. Dans un des postes que j’ai occupés, je me souviens d’un exercice où l’on avait un bilan très favorable à la fin de mai et, à la fin de septembre, on a dû licencier 200 personnes.» Olivier Guinet le rejoint. « J’ai 77 ans, j’ai une belle retraite, une vie sociale très riche et, avec mon épouse, on s’occupe beaucoup de nos petits-enfants. Tout est en suspens… Même si on est âgé, on devrait avoir le droit de décider si on veut prendre un risque ou non. Si je tombais malade, je serais désolé, mais j’accepterais mon sort, car c’est dans l’ordre des choses.»

« Je suis attristée par la panique qui saisit certains de mes amis âgés. C’est ce stress qui va finir par les tuer ! » Jeannette Meier

Les deux reconnaissent que le confinement visait surtout à empêcher l’engorgement des hôpitaux et que, si l’épidémie a été stabilisée, c’est grâce au gel des activités. « Mais maintenant, ça suffit. Les aînés doivent bénéficier des mesures d’ouverture et les activités doivent reprendre leur cours », disent-ils.

    La panique qui tue

Jeannette Meier, à Lutry, est encore plus claire. « Je ne me suis jamais confinée. J’ai continué à faire mes courses et à me balader. Je regrette juste la chorale, car j’adore la musique ! » Heureusement, cette native de Zurich joue quotidiennement au piano. « Mais je suis attristée par la panique qui saisit certains de mes amis âgés. C’est ce stress qui va finir par les tuer ! »

Tristan Gratier, directeur de Pro Senectute Vaud, voit les choses autrement. Il déplore ce focus sur les seniors « qui semblent être la seule cause du confinement alors que le virus vise toute personne fragilisée ». L’âge moyen des décès est bien de 81 ans, non ?  « Oui, mais plus d’un quart des hospitalisés ont moins de 65 ans, on atteint même la moitié aux soins intensifs. Si je suis contre la fracture générationnelle, c’est parce qu’elle ne rend pas justice au rôle de levier que joue le troisième âge qui, à 80%, est plutôt bien portant», précise cet économiste. « Entre les voyages, les restaurants et les sorties culturelles, les seniors sont de très bons consommateurs, qui paient en outre beaucoup d’impôts. De plus, ils permettent souvent aux jeunes parents de réaliser de grandes économies en matière de garde d’enfants et remplissent un rôle de transmission.»

    Acharnement thérapeutique?

Surtout, Tristan Gratier a beau être membre du Parti libéral-radical, il pense que notre économie peut supporter un repli sans s’écrouler. « Parler aujourd’hui de sacrifice est exagéré. Le motif de cette crise est nettement plus noble que celle des subprimes en 2008, dont la Confédération a épongé les dégâts.» Qu’en est-il de l’acharnement thérapeutique dont parle Comte-Sponville ?  « En Suisse, on est raisonnable dans ce domaine. En moyenne, une personne âgée qui entre en EMS meurt dans les deux ans. Auparavant, elle a souvent été maintenue à domicile en veillant à sa qualité de vie. Si elle rejoint une institution, c’est qu’elle souffre de polypathologies qui la condamnent à moyen terme. Du reste, dans les contrats d’hébergement des EMS figurent les directives anticipées dans lesquelles la personne résidente décide, avec sa famille, si elle souhaite être réanimée ou pas. Chez nous, la mort n’est pas un tabou. »

     Mourir seul à la maison
Chez Christophe Büla non plus. En tant que chef de la gériatrie du CHUV, ce médecin voit régulièrement des patients s’éteindre. « Je comprends l’exaspération des personnes âgées qui se sentent emprisonnées, mais quand un aîné revendique le droit de sortir pendant le confinement, est-il prêt à mourir seul chez lui ?  Ou souhaite-t-il bénéficier des soins prodigués en milieu hospitalier ? C’est une question un peu rude, mais c’est LA question. Celle qui a guidé le confinement afin que les hôpitaux ne soient pas engorgés. Je trouve présomptueux la position d’André Comte-Sponville, car on ne sait jamais quelle sera notre force face à la fin. »

Sur le maintien en vie à tout prix et la peur panique face à la mort, que dit le médecin ? « En Suisse, on a une approche assez pragmatique de la fin de vie, plus apaisée que nos voisins francophones. Le corps médical respecte au mieux les préférences de chacun et parfois, on essaie de guider la famille vers un lâcher-prise. » Enfin, que pense Christophe Büla de la toute-puissance de la médecine, ce pan-médicalisme évoqué par le philosophe français ? « J’aimerais bien être tout-puissant ! Le plus souvent, on ne sait pas, on avance à petits pas, surtout avec le coronavirus. Là où, par contre, je rejoins ce penseur, c’est sur le sanitairement correct. Je redoute les attitudes post-confinement. J’ai peur que la société reste figée et, de ce point de vue, c’est bien que le verrou s’ouvre progressivement. »

Marie-Pierre Genecand, paru dans Le Temps,  jeudi 23 avril 2020 

https://www.letemps.ch/societe/confinement-revolte-aines

Publié dans Crise Covid 19, Société

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