Vivre et mourir à Suo-Oshima, ville symbole du vieillissement japonais
Vivre et mourir à Suo-Oshima, ville symbole du vieillissement japonais
Il y a des accueils plus réjouissants. A Suo-Oshima, municipalité japonaise du département de Yamaguchi, le touriste pourrait être attiré par la saveur des mikans, sortes de mandarines, ou le turquoise des eaux qui entourent ces deux îles de la mer Intérieure, dans le sud-ouest du pays. Mais, en franchissant l'unique pont qui mène à Suo-Oshima, le visiteur découvre presque tous les jours un panneau annonçant un décès. La ville abrite 18 000 habitants, dont 48,5 % de plus de 65 ans, un record pour une ville nipponne. En 2013, elle a enregistré 470 décès pour 70 naissances.
« En 1948, quand je suis né, il y avait 64 800 habitants », se souvient le maire, Takumi Shiiki. Les chiffres du recensement national réalisé tous les cinq ans révèlent qu'ici « jamais la population n'a augmenté depuis l'après-guerre ». Ce déclin d'un territoire, qui était au XVIe siècle un repaire de pirates, tient essentiellement au manque de dynamisme économique.
En dehors de la pêche et d'un peu d'agriculture – activités en déclin car peu rémunératrices –, il n'y a guère de débouchés. Dès le début de l'ère Meiji (1868-1912), une partie de la population a émigré, vers Hawaï notamment. « Si vous voulez travailler ici, note un jeune, vous devez devenir fonctionnaire ou être recruté par la coopérative agricole. » Ceux qui partent étudier à Osaka, à Fukuoka ou à Tokyo ne reviennent jamais.
MAISONS ABANDONNÉES
La situation de Suo-Oshima illustre, plus que partout ailleurs au Japon, la problématique du vieillissement accéléré de la population. Dévoilées le 1er janvier, les dernières statistiques démographiques révèlent que plus d'un quart des Japonais dépasse les 65 ans. La proportion devrait atteindre 40 % en 2060.
Pour Shizuo Niiyama, supérieur du temple Hakuseiji sur Okikamuro, la deuxième île de Suo-Oshima, « la ville est devenue un exemple ». Le déclin démographique se mesure au nombre de maisons abandonnées. Arpenter les deux îles, flâner dans leurs villages côtiers, c'est la certitude de tomber sur de vieilles bâtisses qui s'affaissent, des magasins aux rideaux baissés. Parfois, la maison s'effondre et disparaît sous un enchevêtrement d'herbes folles.
Le vieillissement a un coût. A l'échelle nationale, les dépenses de sécurité sociale représenteront 31,8 % du budget 2014, l'un des seules postes de dépense à augmenter. A Suo-Oshima, le total des aides aux personnes âgées – incluant les versements de l'assurance sociale – atteint 9,2 milliards de yens (65 millions d'euros) par an.
La ville abrite trois hôpitaux publics, soit 266 lits, 76 centres consacrés aux personnes âgées : maisons de retraite, centres d'accueil à la journée ou de rééducation. L'activité emploie 1 350 personnes. « Cela semble beaucoup, constate Mitsuo Tani, de l'association locale d'aide sociale, mais, en réalité, nous manquons de lits, de médecins et d'aides-soignants. »
« J'AI PEUR QU'UN JOUR IL N'Y AIT PLUS PERSONNE »
La situation est compliquée par la relative pauvreté de la population. « Il y a beaucoup de retraités du secteur agricole et de la pêche, note M. Tani. Ils touchent la retraite de base, 50 000 à 60 000 yens pas mois. » Ils pourraient prétendre au RMI local, mais, « par fierté et parce qu'ils ont souvent quelques économies, ils refusent de le demander ».
Tous ne profitent pas des services disponibles, notamment dans les centres d'accueil à la journée pour les personnes seules ; comme celui du Honobonoen, à deux pas de la mairie. «Nous avons seize inscrits, explique Shozo Kobayashi, gérant du centre. Certains ne viennent pas tous les jours. » Il en coûte, en effet, 15 000 yens par mois pour quatorze journées. Le reste est pris en charge par la sécurité sociale.
Le 8 janvier, sept personnes étaient à Honobonoen. Haruyo Hara, 97 ans, est revenue d'Osaka où elle a passé l'essentiel de son existence. « J'ai été surprise de ne pas voir d'enfants. J'ai peur qu'un jour il n'y ait plus personne. » « Les gens partent et on ne les revoit plus », déplore Saburo Nakamoto, retraité de la poste de Suo-Oshima.
Dans ce contexte, les plus jeunes des seniors prennent soin de leurs aînés. L'épouse du maire, 64 ans, s'occupe ainsi d'un groupe de bénévoles qui font les courses et surveillent vingt-cinq foyers de personnes âgées de son voisinage.
POMPIER VOLONTAIRE À 75 ANS
Né sur l'île d'Okikamuro, M. Ebisuzaki, 75 ans, a travaillé dans une cimenterie de Tokuyama (département de Yamaguchi). A la retraite, il a décidé de revenir. « Je voulais cultiver quelques légumes et lire des livres. » Au lieu de ça, « je fais partie des pompiers volontaires et j'assure un service de guide pour les visiteurs. Je suis débordé ». Un autre septuagénaire, croisé alors qu'il faisait sécher des algues sur un muret du petit port de pêche, confirme lui aussi avoir un emploi du temps surchargé. Revenu chez lui après la retraite car « c'est là où sont ancêtres », il évoque « la force de l'entraide ».
Pour se redynamiser, la ville cherche des solutions, notamment en développant le tourisme, qui attire déjà 900 000 personnes par an. Elle essaie aussi d'attirer de nouveaux habitants. Hikaru Yashiki, natif de l'île, a été envoyé à Tokyo pour participer, les 11 et 12 janvier, à une foire de promotion des villages japonais. « Pour 10 000 yens par semaine, explique-t-il, vous pouvez passer jusqu'à quatre semaines dans une maison de Suo-Oshima. Un bon moyen de tester la vie chez nous. »
La mairie a embauché un conseiller financier qui aide les personnes intéressées à planifier leur installation. Certains franchissent le pas, mais pas suffisamment pour stopper le déclin actuel. « Si Suo-Oshima disparaît, avertit le moine Shizuo Niiyama, cela signifie que le Japon peut disparaître. Le gouvernement doit agir. »
Or les autorités font peu, notamment pour la natalité. Et le Japon reste hostile à l'immigration, sauf pour compenser des besoins immédiats et identifiés. Face aux déficits de main-d'œuvre, le gouvernement table sur l'emploi des femmes et des personnes âgées, voire sur l'utilisation des robots.
Par Philippe Mesmer (Suo-Oshima (Japon), envoyé spécial) publié le 14 01 2014 dans
nous publierons le 31 01 le reportage à Tokyo : Sugamo, le quartier des mamies et des papis de Tokyo
Japon : Une population en fort déclin
Démographie La population japonaise a enregistré, en 2013, une chute record de 244 000 personnes, selon les chiffres publiés début 2014 par le gouvernement.
Le pays a enregistré 1 031 000 naissances l’an dernier, soit 6 000 de moins qu’en 2012. En revanche le nombre de décès a augmenté d’environ 19 000 par rapport à 2012. C’est la plus forte hausse depuis la deuxième guerre mondiale.
Emploi Selon des chiffres de Manpower, 85 % des employeurs ont eu du mal à recruter en 2013. Ils étaient 55 % en 2009. La population active atteignait 63,9 % de la population totale en 2010, et pourrait reculer à 58,5 % en 2030.