“Vieux continent”, le bien nommé
Par Muriel Jaouën dans Place Publique
La population dans l’Union européenne augmente et se diversifie. Mais surtout, elle vieillit. Une tendance lourde d’enjeux économiques, sociaux et politiques.
Le “vieux continent” n’a jamais aussi bien porté son nom.
Et il le portera mieux encore dans les années à venir.
La tendance est lancée : l’Europe va voir le nombre de personnes âgées augmenter, en part relative comme en valeur absolue On estime que d’ici à 2030, 25% de la population européenne aura plus de 60 ans. Avec un taux de dépendance qui pourrait doubler.
Le troisième "Demography Report", publié par Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne et la Direction générale de l’Emploi, des Affaire sociales et de l’Inclusion de la Commission européenne, apporte un éclairage précis sur les trois moteurs de l’évolution démographique : fécondité, espérance de vie et migrations.
Fécondité : à la hausse, mais pas assez
Après 20 ans de forte baisse entre 1980 et le début des années 2000, le taux de fécondité de l’UE s’inscrit à nouveau dans une courbe ascendante. En 2003, il était de 1,47 enfant par femme. Cinq ans plus tard, en 2008, il atteint 1,60. Exception faite du Luxembourg, de malte et du Portugal, cette croissance est portée par l’ensemble des 27 pays de l’Union, notamment la Bulgarie (de1,23 enfant par femme en 2003 à 1,57 en 2009), la Slovénie (de 1,20 à 1,53), la République tchèque (de 1,18 à 1,49) et la Lituanie (de 1,26 à 1,55). En 2009, les taux de fécondité les plus élevés concernent l’Irlande (2,07), la France (2,00), le Royaume-Uni (1,96 en 2008) et la Suède (1,94). Ces quatre pays approchent tous le taux de renouvellement de 2,1. Quant aux taux les plus faibles, ils sont enregistrés en Lettonie (1,31), en Hongrie et au Portugal (1,32 chacun) ainsi qu’en Allemagne (1,36).
Espérance de vie à la naissance : + 10 ans en un demi-siècle
En l’espace de 50 ans, l’espérance de vie à la naissance dans les pays de l’union européenne a augmenté d’environ 10 ans. En 2008, elle se situe à 82,4 ans pour les femmes et 76,4 ans pour les hommes. Si tous les Etats membres participent de cette tendance, ce sont l’Estonie et la Slovénie qui affichent les plus fortes hausses - pour les hommes et les femmes. Pour les femmes, les espérances de vie à la naissance les plus élevées en 2009 concernent la France (85,1 ans), l’Espagne (84,9 ans), l’Italie (84,5 ans en 2008) et Chypre (83,6 ans). Pour les hommes, elles sont enregistrées en Suède (79,4 ans), en Italie (79,1 ans en 2008) en Espagne et aux Pays-Bas (78,7 ans chacun). De même que l’espérance de vie à la naissance, l’espérance de vie à l’âge de 65 ans a augmenté dans tous les États membres entre 1993 et 2009. A 65 ans, les européennes peuvent espérer vivre 20,7 années supplémentaires et les hommes 17,2 années.
L’immigration, principal levier de croissance démographique
De 2004 à 2008, chaque année, entre 3 et 4 millions d’immigrants se sont installés dans les pays de l’UE. Dans la plupart des Etats membres, l’immigration a été le principal levier de croissance démographique. En 2010, 32,4 millions d’étrangers vivent dans un des 27 pays de l’Union (soit 6,5% de la population totale). Parmi eux, 12,3 millions sont citoyens d’un Etat membre vivant dans un autre État membre et 20,1 millions des citoyens provenant d’un pays extérieur à l’Union européenne.
Cinq pays concentrent 80% de la citoyenneté étrangère en Europe en 2010 : l’Allemagne (7,1 millions de personnes), l’Espagne (5,7 millions), le Royaume-Uni (4,4 millions), l’Italie (4,2 millions) et la France (3,8 millions). La plus forte proportion de citoyens étrangers concerne le Luxembourg (43% de la population totale). Suivent la Lettonie (17%), l’Estonie et Chypre (16% chacun), l’Espagne (12%) et l’Autriche (11%). 2013 : le grand tournant.
En bref, la population augmente, se diversifie. Mais surtout, elle vieillit. Avec une équation problématique : il n’y a pas assez de jeunes pour remplacer les travailleurs qui partent à la retraite. Selon l’Union européenne, la population en âge de travailler (de 20 à 64 ans) commencera à diminuer à partir de 2013, alors que l’Europe aura justement besoin d’augmenter la main-d’œuvre pour payer les retraites et financer les systèmes de protection sociale. L’enjeu est immédiatement lisible : les dispositifs sociaux vont subir dans les prochaines années une forte pression, accrue à mesure que la génération des “baby boomers” partira en retraite.
Les préconisations d’Europe 2020
Il est indispensable de maintenir des taux d’emploi élevés pour compenser le vieillissement de la population. Les préconisations d’Europe 2020, plan stratégique de l’UE pour la croissance économique, vont dans ce sens : dans les 10 ans à venir, le taux d’emploi des 20 à 64 ans devra atteindre 75%. Pour parvenir à un tel objectif, institutions et entreprises devront actionner une batterie de dispositions (valorisation des compétences, formations, gestion des carrières, encouragement à la mobilité…) propres à augmenter l’efficacité des marchés et des organisations du travail. Les régimes de retraites ne peuvent échapper à la réforme. La Commission européenne formule plusieurs propositions pour maintenir la durabilité des systèmes tout en garantissant des seuils de revenus acceptables.
Entre taux d’emploi et adaptation des régimes de retraite, les pouvoirs publics devront encourager l’activité des personnes âgées dans le jeu économique et social. 2012 a d’ailleurs été labellisée “Année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle”. Tout comme certains Etats ont, dès les années 90, mis en œuvre des politiques d’activation des personnes sans emploi, les Etats de l’Union vont immanquablement amorcer des stratégies d’incitation au“vieillissement actif”.
L’Europe liste ainsi un certain nombre d’objectifs prioritaires : promouvoir la création d’un emploi de qualité et l’allongement de l’activité, encourager la qualification à tous les âges et la productivité du travail, favoriser le renouvellement démographique en améliorant l’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, assainir les finances publiques, développer l’accueil et l’intégration des migrants…
Un patchwork de modèles sociaux
Non seulement le taux d’emploi effectif varie aujourd’hui du simple au double dans l’Union, mais il faudra composer avec un patchwork de modèles sociaux qui reposent parfois sur des conceptions et des approches significativement divergentes. Principe de subsidiarité oblige, les Etats membres sont souverains en matière de conception, de gestion et de financement de leurs systèmes sociaux. Or, quel rapport entre un système suédois marqué par un impératif universaliste de redistribution et d’inclusion sociale, un modèle britannique libéral construit sur le culte de la responsabilité individuelle, un régime allemand ou français sous-tendu par le statut du travailleur, ou encore un dispositif italien faisant la part belle aux spécificités régionales ?
Les enjeux économiques de ce vieillissement global sont de taille. Les enjeux politiques le sont au moins autant. Le vieillissement de la population est l’occasion de lancer de grands chantiers de réflexion et d’action à tous les échelons de la collectivité : harmonisation des systèmes de protection sociale, redéfinition des systèmes d’assurances ou de transferts sociaux, extension du périmètre de décision et d’action des acteurs sociaux, création de nouvelles coopérations, intégration et valorisation de nouveaux indicateurs de richesse