Une société HLM réinvente le béguinage pour les retraités
A Lambres-lez-Douai, seize retraités louent de petites maisons mitoyennes, le « chaînon manquant entre le domicile et la maison de retraite »
Comment trouver un béguinage dans l'entrelacs des anciennes cités minières ? « Cherchez l'église, ils ne sont jamais très loin », lance Evelyne Sprimont, chargée du dossier chez Floralys.
Il y a quinze ans, cette coopérative HLM de Douai (Nord) a été la première à dépoussiérer ce modèle d'habitat groupé, né enFlandres au XIIIe siècle et tombé en désuétude au XIXe siècle. Depuis quelque temps, d'autres opérateurs, principalement dans le nord de la France, s'intéressent à ce concept qui permet aux personnes âgées de vieillir sans être seules. Véritable village dans la ville, les béguinages médiévaux abritaient des communautés de femmes très pieuses mais qui n'avaient pas prononcé de voeux monastiques. Elles vivaient en autonomie dans des habitations regroupées autour d'une église et d'un jardin. Aujourd'hui, le modèle développé par Floralys, dans les dix-sept béguinages qu'il possède, n'a plus aucune connotation chrétienne, mais il a conservé de ses ancêtres un modèle architectural et un fonctionnement fondé sur la convivialité et la solidarité.
« La Fermette aux bleuets », située dans le bourg de Lambres-lez-Douai, 5 000 habitants, est le premier béguinage développé par Floralys. Comme tous les béguinages, il est planté au coeur de la commune,
à proximité des commerces, des services administratifs, et donc de l'église. Depuis son ouverture, en 1997,
Maryvonne Calandre en est « l'hôtesse ». Cette chaleureuse quinquagénaire est employée à plein-temps
dans ce village de poche de seize petites maisons mitoyennes en brique rouge, serrées autour d'un grand
porche d'entrée et d'allées fleuries. Seize locataires, quatorze femmes et deux hommes, âgés de 73 à 97 ans, vivent là de façon indépendante mais sous la protection de Maryvonne, présente tous les jours de semaine de 9 heures à 17 heures. « Chaque matin, je rends visite à mes résidents pour voir si tout va bien », explique Maryvonne Calandre. Elle est aussi là pour les aider dans leurs courses, leurs démarches administratives ou leurs déplacements. L'après-midi est consacré à des activités qui ont lieu dans un local dit de « convivialité », situé au milieu du béguinage, ou à des sorties, elles aussi organisées par l'hôtesse. Chacun des résidents est libre d'y participer ou pas.
Critères de revenus
Cet après-midi-là, ils sont une petite dizaine à fabriquer des cadres pour les enfants de la crèche voisine.
A une petite table, quatre « accros » de la belote se sont installés. Parmi elles, Fernande Beaulande, 86 ans,
arrivée « le 14 décembre 2005 », précise cette passionnée de jeux de cartes, habillée en bleue, sa couleur favorite. Un peu plus loin, la doyenne, Lucie Lecoq, 97 ans, fait la conversation. Elle réside au béguinage depuis dix ans. « Je suis bien ici, explique cette ancienne couturière. J'ai mon logement et mon indépendance. Si j'ai envie de voir du monde, je vais à la salle. Et puis il y a Maryvonne... » Sur les murs de la salle de convivialité, Mme Calandre a accroché les réalisations de ce drôle d'atelier. « Pour le carnaval, on a confectionné 250 costumes ! », s'enthousiasme l'hôtesse, toujours en quête de nouveautés pour « ses mamies et papys ».
A la Fermette, la première cause de départ est le décès. En quinze ans, quatre locataires seulement, devenus
dépendants, ont été orientés vers un EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), la plupart finissent leurs jours au béguinage.
Comme pour tous les logements sociaux, l'attribution des places se fait selon des critères de revenus. La sélection est néanmoins complétée par un entretien pour vérifier que la formule est adaptée à la personne.
« Les hôtesses ne sont pas des infirmières ou des aides à domicile. Les locataires doivent être sociables
et complètement autonomes », précise Mme Sprimont, chargée des béguinages chez Floralys. Issus des classes moyennes, la majorité des retraités touchent entre 1 000 et 2 000 euros de pension par mois.
La plupart sont d'anciens propriétaires qui, en prenant de l'âge, ont décidé de vendre leur maison devenue trop
grande et trop lourde à entretenir. A 73 ans, Dométhilde Silvert est la benjamine. Cette célibataire, secrétaire de direction à la retraite, a sauté le pas il y a deux ans. « Je me sens mieux ici, explique cette grande femme alerte. Je suis moins seule, je fais plus de choses, récemment je me suis inscrite dans une chorale. Et quand je passe devant mon ancienne maison à étages, où j'ai vécu quand même quarante-six ans, je n'ai aucun regret », affirme-t-elle.
Selon la surface des maisons (55 m2 ou 65 m2), les loyers s'échelonnent entre 320 et 350 euros. En sus, les locataires déboursent 150 euros mensuels pour les frais liés à l'hôtesse et aux activités. « Cette formule est le chaînon manquant entre le domicile et la maison de retraite, bien plus chère », analyse Jean-Luc Schutz, le directeur général de Floralys, qui dans quelques mois va ouvrir deux autres béguinages, dont un en plein centre de Douai.
Même si ce type d'habitat s'adapte bien à la culture du Nord, où la solidarité est de tradition, M. Schutz estime que ce modèle peut être dupliqué ailleurs, à condition toutefois de garder quelques fondamentaux. « Un lieu qui serait sans hôtesse, excentré, ouvert aux quatre vents, élitiste et sans ancrage dans la commune n'aurait rien à voir avec un béguinage », affirme le directeur, qui travaille actuellement à l'élaboration d'un label pour limiter les pâles copies.
Catherine Rollot
Article paru dans l'édition du 19.08.12
Article paru dans l'édition du 19.08.12