Rompre l'isolement constitue un enjeu sanitaire, économique et social
Rompre l'isolement constitue un enjeu sanitaire, économique et social :
Mieux vieillir avec le numérique
Carole Anne Rivière est sociologue à la chaire réseaux sociaux de Telecom Ecole de Management, et psychologue. Elle est interviewvée par Pascale Santi pour
Les outils de gérontechnologie, ou technologies au service des personnes âgées, sont en plein essor. Représentent-ils un plus ?
Historiquement les gérontechnologies ont émergé avec la notion médicale de dépendance et de perte d'autonomie des personnes âgées. Elles se sont donc focalisées sur le très grand âge de la vie et sur les pathologies liées au vieillissement. Or les situations sont très hétérogènes, de la grande dépendance au senior de 65 ans fan de technologies.
Les dispositifs sont donc centrés sur des technologies d'assistance via des dispositifs d'alerte pour prévenir les chutes, par exemple. D'autres outils visent à automatiser la mesure d'activité des personnes âgées grâce à des capteurs disposés dans les appartements ou sur les personnes. On parle de télésurveillance ou encore de télémonitoring.
Plus largement, tous les usages potentiels du numérique peuvent contribuer à apporter un mieux-être et une meilleure intégration des personnes âgées dans la société, si l'on regarde leur portée avec une vision préventive et sociale et non plus seulement médicale du vieillissement.
Par exemple, l'utilisation des réseaux sociaux peut représenter un formidable opérateur de lien social dès lors qu'ils sont mis à profit pour des échanges, des services de proximité. Mais il ne s'agit pas tant d'informatiser et de partager des données de santé que d'organiser humainement l'échange entre les personnes, entre les générations, entre les différents professionnels de santé. Ne serait-ce que pour rompre l'isolement, par exemple, ce qui constitue un enjeu sanitaire, économique et social tout à fait central.
Ces dispositifs ne comportent-ils pas des risques de négliger l'aspect humain ?
On voit immédiatement le danger des dispositifs exclusifs d'une gestion des risques qui serait de produire une surveillance permanente des personnes âgées au nom de leur bien-être. Ce serait aussi rendre plus probables une déresponsabilisation dans la façon de vivre et de vieillir, un enfermement dans une dépendance anxiogène aux équipements et, finalement, un affaiblissement de la dignité et du libre choix humain.
En revanche, le levier numérique qui facilite les stratégies d'adaptation plus humaines, en invitant à négocier les obstacles que l'on rencontre en vieillissant plutôt que de les supprimer, constitue une capacité augmentée d'autonomie.
On sait aujourd'hui que les fonctions cérébrales et motrices ont besoin d'être stimulées, même faiblement, pour continuer à vivre. Donner envie de sortir de chez soi, stimuler la marche. Il a été montré que se tenir debout au moins vingt minutes par jour était une des conditions pour que la force musculaire se maintienne, et qu'une personne ne devienne pas grabataire - alors qu'on est souvent tenté, par précaution ou bienveillance, d'éviter à une personne âgée de se lever ou de se déplacer trop longtemps...
Qui décide, la personne, l'aidant, la famille... ?
Ce sont souvent les familles qui choisissent d'équiper une personne âgée. Là encore, il faut se questionner sur les motivations de ces décisions. Qui souhaite-t-on rassurer au final ? Soi-même face aux peurs engendrées par le vieillissement, ou la personne âgée ?
Vouloir maintenir une personne âgée dans les meilleures conditions de vie possibles et prévenir au maximum les risques est louable et humain. Mais lorsque l'entourage décide d'interdire ou de faire faire par un tiers certaines des activités qu'une personne âgée faisait par le passé, en raison des risques d'accident, que se passe-il ? Ces décisions peuvent être vécues comme des ruptures destructrices en termes d'identité et de perte d'autonomie. C'est l'élan vital, le sentiment de continuité dans le parcours biographique qui est en jeu.
Est-il nécessaire de réglementer ? Y a-t-il une réflexion éthique à mener ?
Je ne suis pas spécialiste de la question éthique. Mais les technologies questionnent directement les choix de vie et de société qui seront faits demain. Comment souhaitons-nous vieillir ? Comment souhaitons-nous mourir ? La question du libre arbitre doit être laissée à la personne qui vieillit le plus longtemps possible. C'est toutes les interrogations sur le vieillissement et le grand âge qu'il faut repenser.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 26.08.2013 à 17h45 • Mis à jour le 27.08.2013
Propos recueillis par Pascale Santi