Michèle Delaunay : "Les politiques sont peu réceptifs à la transition démographique"
Michèle Delaunay : "Les politiques sont peu réceptifs à la transition démographique"
Quelques semaines après sa non-reconduction dans le gouvernement Valls et une semaine avant son retour à l'Assemblée, l'ancienne ministre refuse de croire que la loi sur l'adaptation de la société au vieillissement soit enterrée. Michèle Delaunay revient sur sa relation avec les professionnels et avec sa ministre de tutelle, Marisol Touraine.
Le 9 avril, alors que son projet de loi sur l'adaptation de la société au vieillissement devait être examiné par le conseil des ministres, Michèle Delaunay n'était pas reconduite dans le gouvernement dirigé par Manuel Valls. Dans les gazettes, elle n'a pas caché son amertume de ne pas pouvoir achever le travail engagé. Avant son retour à l'Assemblée nationale le 3 mai, elle évoque l'avenir de ce texte et revient sur les "surprises" de son passage aux affaires. Sa détermination semble entière pour faire aboutir la loi. Cela sera-t-il suffisant ?
tsa : Avez-vous des informations sur le devenir du projet de loi que vous deviez présenter, début avril, en conseil des ministres ?
Michèle Delaunay : Je n'ai pas d'information sur le calendrier, aussi bien du conseil des ministres que des travaux parlementaires (1). Je considère que deux ou trois semaines de retard dans l'examen du texte ne portent pas à conséquence, mais il ne faudrait pas que cela dépasse un mois, sinon ce débat législatif se confondra avec celui sur le PLFSS. N'oubliez pas que la loi doit pouvoir s'appliquer début 2015.
Que comptez-vous faire pour éviter tout enterrement de la loi ?
Dès mon retour à l'Assemblée, le 3 mai, je vais réactiver le petit groupe de parlementaires socialistes qui défend la nécessité de cette loi. Nous allons expliquer l'intérêt d'un texte qui améliore la vie et redire qu'il est financé entièrement par la Casa. Pour l'instant, je ne pense pas que ce texte soit remis en question. Je partage l'idée exprimée par Luc Broussy selon laquelle un tel abandon serait une "funeste idée".
Avez-vous eu des contacts avec Laurence Rossignol, qui vous a succédé ?
Nous nous sommes parlé brièvement par téléphone et devons nous revoir plus longuement à Paris lors de mon retour à l'Assemblée. Je regrette que ce maroquin soit devenu un secrétariat d'Etat même si y agréger la famille est une bonne idée. Je pense d'ailleurs que ce portefeuille devrait être un ministère à part entière ou bien rattaché à Matignon car les questions qui s'y traitent sont pleinement transversales.
Les politiques vous ont-ils paru réceptifs aux idées que vous avez défendues pendant des mois ?
Je dois reconnaître qu'à part Jean-Marc Ayrault qui a été très attentif, la classe politique a du mal à prendre conscience de l'importance de la transition démographique. C'est une question sociétale et sociale majeure. Le parti socialiste éprouve les pires difficultés à se saisir des idées neuves, préférant les idées brevetées. Avant de quitter mes fonctions, j'avais envoyé une note au Président de la République proposant de rebaptiser le texte, loi d'autonomie et de la transition démographique.
Comment expliquez-vous cette difficulté ?
Je pense que l'avancée en âge est encore confondue avec la perte d'autonomie qui se manifeste parfois au grand âge. Les 15 millions de personnes âgées de notre pays sont confondues au million de personnes qui vivent des situations de dépendance. Et pourtant, la Silver économie, que j'ai développée lors de mon passage au ministère, représente un potentiel de création de richesses supérieur au coût de la dépendance. Reconnaître le rôle des âgés qui ont parfois 30 ou 40 ans à vivre est indispensable si on veut éviter la guerre des générations.
Qu'est-ce qui vous a le plus surpris pendant l'exercice du pouvoir ?
J'ai constaté la difficulté qu'il y avait à dégager des crédits pour financer la loi. Le bénéfice de la Casa, je me suis battue pour le conserver ! D'autre part, j'ai regretté que les réunions interministérielles se passent en l'absence des ministres, représentés par leur directeur de cabinet. Même si le mien était très militant, j'ai eu souvent le sentiment d'être dépossédée des choix.
Marisol Touraine a semblé un peu en retrait par rapport au chantier dont vous vous occupiez ?
Elle ne pouvait pas être partout, occupée qu'elle était avec la réforme des retraites et les dossiers médicaux. Je dois dire ici que j'avais une divergence d'analyse avec Marisol Touraine qui pensait que cette réforme devait se produire à la fin du quinquennat. Moi je sais qu'à force d'attendre, on risque de ne pas avoir de loi !
Les professionnels du secteur des personnes âgées semblent déjà vous regretter. Quels souvenirs en gardez-vous ?
J'ai été réconfortée par les nombreux messages envoyés par les professionnels. Lors de mon passage au ministère, je les ai trouvés batailleurs, engagés, aimant leur travail malgré des salaires modestes. Nous n'avons pas toujours été d'accord mais ils ont apprécié que je m'engage autant. Je tenais également à saluer le message de Roselyne Bachelot qui, dans un contexte différent, avait réalisé un gros travail de concertation.
Mais dans les deux cas, vous n'êtes pas allées au bout de votre ambition ?
Il n'est pas anecdotique que nous soyons deux femmes à avoir rencontré les plus grandes difficultés à faire reconnaître auprès des hommes politiques la portée de ce sujet.
(1) Cette interview a été réalisée quelques heures avant l'annonce du calendrier parlementaire qui ne cite pas ce texte.