Les seniors sont de très bons candidats à l'expatriation

Publié le par Orgris

Les seniors sont de très bons candidats à l'expatriation

Par Margherita Nasi dans Le Monde

C'est à 62 ans, après une carrière passée en France, que Pierre-Henri Suatton décide de s'expatrier. Dans le groupe qu'il quitte alors, "les seniors n'y sont pas forcément bien accueillis", ironise l'ancien directeur des ressources humaines, qui se reconvertit dans le management de transition.

Jusqu'au jour où Alstom lui propose de partir en Russie : "Ils avaient besoin d'un bon professionnel en qui ils avaient confiance. La vie est courte, j'avais envie de voir d'autres horizons et j'ai accepté. "

Après deux ans à Moscou, M. Suatton retourne en France. Son seul regret ? "Ne pas avoir commencé plus tôt." Il rattrape alors le temps perdu. Il est déjà reparti en mission ponctuelle en Algérie et en Afrique du Sud en tant que consultant pour le groupe.

Senior et expatriation ne sont plus une équation étonnante. "Le départ en retraite de la génération baby-boom a créé de fortes carences de compétences dans les industries", explique Caroline Young, directrice générale d'Experconnect. Des industries qui font alors appel à des retraités pour des missions à l'étranger.

Quant aux véritables expatriations de seniors, elles se développent en raison de "l'évolution légale avec la loi de 2009 sur l'emploi des seniors, qui va de pair avec une évolution des mentalités et un fait sociologique : les personnes restent en forme plus tard", raconte Michèle Pons, membre du Groupe de réflexion sur l'emploi des seniors sous l'égide de l'association de cabinets de recrutement A compétence égale.

LES A PRIORI À L'ÉGARD DES SENIORS LES MOINS FORTS

L'expatriation est devenue le domaine où les a priori à l'égard des seniors sont les moins forts. "Il est plus simple et moins cher d'envoyer à l'étranger quelqu'un dont les enfants sont déjà à l'université qu'une personne dont les enfants sont en bas âge, explique Pete Stone, le directeur de la société de conseil en formation Just Different. Lorsqu'on envoie en expatriation quelqu'un de plus jeune, il faut souvent gérer deux carrières, celle de l'expatrié(e) et celle de son époux (se). Alors que dans le cadre des seniors, il est plus courant que ce soit un homme dont la femme ne travaille pas."

Plus simple pour une entreprise d'expatrier un senior ? Anne Bitz, directrice des ressources humaines de RATP Développement, ne dit pas autre chose : "Libérés des obligations familiales, les seniors peuvent aller sur des sites où l'environnement est moins propice à une arrivée en famille." Sans parler des "cultures où la notion de cheveux gris est quelque chose d'important", poursuit-elle.

Mais attention, souligne Mme Bitz, l'expatriation est surtout "un état d'esprit, un type de personnalité qui n'a rien à voir avec l'âge : il faut sortir de ces clichés-là et laisser aux personnes qui en ont l'envie la possibilité de partir, en les accompagnant et en s'assurant de leurs compétences".

Dans le cas des seniors, il s'agit d'être particulièrement vigilant sur le retour. "Là où un profil de 35 ans peut se permettre d'enchaîner les expatriations sans avoir une stratégie de rentrée, si vous envoyez en expatriation une personne de plus de 50 ans, elle risque de se retrouver le bec dans l'eau", explique Sébastien Bompard.

Pour le président d'A compétence égale, il s'agit du "gros défaut dans les expatriations : les entreprises savent gérer le séjour, mais pas le retour". S'il n'y a pas de "recette magique" contre ce problème, il conseille de "se rendre visible auprès de la DRH et de négocier très en amont les conditions de contrat ou de renouvellement d'expatriation".

FREINS MENTAUX

D'autres sont plus critiques. Pour Marc Raynaud, fondateur de la société spécialisée InterGénérationnel, avant même les problèmes techniques, il y a les freins mentaux : "Le senior n'est a priori pas plus adapté que les autres. Mais dans certaines entreprises, on pense moins à eux, on ne sait plus ce qu'ils ont fait. On les croit peu flexibles, trop grands pour apprendre." Une vision qui, pour lui, s'ajoute à celle que les seniors ont d'eux-mêmes.

Des seniors à qui on répète toujours qu'ils doivent laisser leur place aux jeunes et que le bon candidat pour l'expatriation est un jeune cadre à potentiel, entre 35 et 45 ans.

La taille des entreprises joue aussi. "Les grands groupes aux cycles industriels longs ont besoin de techniciens à la mémoire longue. Ils sont donc plus sensibles à l'expérience accumulée par leurs seniors", assure M. Raynaud, qui plaide pour une dimension intergénérationnelle dans la formation : "Très souvent, c'est un jeune qui va bénéficier de l'expérience du senior expatrié", ajoute-t-il.

Alors pourquoi ne pas créer des binômes où le senior accompagne en expatriation un jeune moins expérimenté ? "La connaissance de cette possibilité se développe dans les entreprises, reprend le fondateur d'InterGénérationnel. Si le binôme est bien choisi, les résultats sont spectaculaires."

Margherita Nasi

LE MONDE ECONOMIE | 07.01.2013 Logo-Le-Monde-N-B-.jpg

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