Les seniors, entrepreneurs d'un autre type
Les seniors, entrepreneurs d'un autre type
On imagine le créateur d'entreprise comme une personne relativement jeune. Et, de fait, son âge moyen actuel oscille autour de 37 ans. En revanche, on pense moins spontanément à ceux qui, à 50 ans passés, voire à l'âge de la retraite, se lancent dans l'aventure des affaires. Ces « seniors entrepreneurs » représentent 20 % des créateurs d'entreprise.
Mais avec l'allongement de l'espérance de vie, ce dynamisme « aux tempes grises » devrait croître et former une composante nouvelle de l'activité économique. Ce phénomène sans précédent mérite donc d'être étudié et mieux connu. D'autant que des travaux récents suggèrent que les seniors entrepreneurs inventent une autre manière d'entreprendre, de penser et de gérer la création économique (cf. Revue française de gestion, volume 38, numéro 227, octobre 2012, dossier spécial dirigé par Adnane Maâlaoui, Alain Fayolle, Sylvaine Castellano, Mathias Rossi et Imen Safraou).
En 2020, 25 millions de Français auront plus de 50 ans, alors qu'ils étaient 19 millions en 2000. En 2050, ils devraient être 30,5 millions. Ces données hantent les organismes de retraite et les caisses de chômage. Mais plusieurs indices concordants montrent que de plus en plus de seniors refusent leur effacement prématuré de la vie active et s'engagent dans la création de leur propre activité.
Cette propension augmente avec la qualification et les responsabilités déjà exercées : 41 % des créateurs d'entreprise de plus de 50 ans sont des cadres, contre 23 % pour les créateurs plus jeunes. En raison du chômage persistant des seniors, le choix de la création d'entreprise n'est peut-être qu'un pis-aller. Mais certains mettent fin, délibérément, à une activité salariée devenue insatisfaisante ou trop contraignante.
Un projet « d'existence »
Reste, et c'est le plus remarquable, que les seniors envisagent la création d'entreprise en renouvelant sensiblement la figure convenue de l'entrepreneur. Ni l'appât du gain, ni le goût du risque, ni le désir de diriger ne semblent être au coeur de leur démarche. Certes, il s'agit de construire son propre emploi et d'en vivre autant que possible.
Mais les seniors entrepreneurs pensent d'abord un projet « d'existence » et recherchent une activité qui procure le sentiment d'un certain accomplissement. S'éloignant des contraintes subies, parfois sans réelles perspectives, du travail salarié, les seniors entrepreneurs recherchent un « travail-projet » qui vaille pour lui-même.
Dans cette perspective, l'expérience, les compétences et la connaissance des milieux professionnels sont déterminantes. Ces atouts donnent une crédibilité certaine aux seniors entrepreneurs, qui placent souvent la transmission de ces savoir-faire comme un objectif crucial de la création. Transmission d'autant plus urgente que le temps leur est plus compté qu'aux créateurs jeunes.
A ces spécificités liées à l'âge, il faut ajouter un aspect qui tient au capitalisme contemporain. Pour beaucoup de cadres en fin de carrière, le poids des objectifs financiers pèse désormais trop lourd dans la gestion des entreprises. Il limite les projets et réduit l'horizon d'action. Ils ressentent aussi douloureusement le cloisonnement des organisations ou les rivalités internes. En créant leur activité de services ou de conseil, ils tentent de retrouver une plus grande liberté d'action et un regain d'efficacité. Forts de leur expérience, ils veulent aider à nouer des coopérations et à rétablir un esprit d'investissement et de qualité.
Ingénieurs et cadres à la retraite ne créent pas eux-mêmes de jeunes pousses high-tech, mais ils peuvent jouer un rôle précieux dans l'accompagnement de ces dernières. En redéfinissant l'esprit du travail, en inventant des métiers, les seniors entrepreneurs semblent avoir un bel avenir devant eux.
Armand Hatchuel
Article paru dans l'édition du 05.02.13 du Monde