La dépendance et la fragilité sont d'indispensables qualités humaines
Pour se préparer au coup de vieux qui les guettent à l'horizon 2050, les pays développés vont devoir changer de regard sur les personnes âgées, estime le psychogérontologue Jérôme Pellissier.
Usbeck et RICA : Comment expliquez-vous la contradiction entre le culte de la longévité et la vision négative du vieillissement en vigueur dans notre société ?
Jérôme Pellissier : Le culte de la longévité oublie souvent le temps et les différents âges de la vie. Il repose en partie sur l'illusion et le fantasme d'une sorte d'interminable jeunesse. L'objectif n'est alors pas de vivre longtemps pour s'enrichir d'expériences, mais de prolonger une sorte de présent figé autour de la vingtaine ou de la trentaine. Autre facteur important : la vision fausse et très répandue qui associe la vieillesse à la maladie ou au déclin, qui nous fait croire que toutes les vieilles personnes sont en situation de handicap ou souffrent de la maladie d'Alzheimer, alors que ces situations ne concernent que 20% des octogénaires.
U et R : Quelle place occupe la dégradation progressive du corps humain dans notre perception du vieillissement ?
Jérôme Pellissier : Nos sociétés accordent une grande importante à l'apparence et la puissance physique. Parce que nous sommes moins rapides, moins forts sur le plan musculaire et moins lisses de peau à 80 ans, nous avons tendance à considérer que nous serons forcément moins heureux et moins satisfaits à cet âge-là qu'à 20 ans. C'est ignorer toute les facultés (émotionnelles, intellectuelles, créatrices...) que nous possédons et qui ne vieillissent pas sur le même mode que nos facultés musculaires. Elles peuvent même s'enrichir jusqu'à notre mort.
U et R : Le monde se prépare à une augmentation historique du nombre de personnes très âgées et dépendantes. Au-delà des réponses techno-médicales ou économiques, comment accueillir ce changement de façon humaine ?
Jérôme Pellissier : Nous ne parviendrons pas à rester humaniste face à ces changements si nous restons dans une idéologie qui ne perçoit la dépendance et la fragilité que comme des tares, alors que ce sont d’indispensables qualités humaines. Toutes les pratiques qui permettent de maintenir les liens entre les générations sont bonnes à prendre ! Il faut aussi se battre pour que soit enfin reconnue la haute valeur de toutes les activités de « prendre-soin » des autres, de son environnement, des plus fragiles etc. L'homme est un animal qui prend soin, avant d'être un loup pour l'homme. Il faut cesser de nous croire éternels, jeunes, tout-puissants, indépendants et accepter d'être mortels, fragiles, vulnérables, interdépendants les uns des autres. C’est plus facile à dire qu’à vivre, mais c’est la condition indispensable pour ne pas tenter pathétiquement de rejeter toute notre peur et notre violence en maltraitant les plus faibles d’entre nous.
Jérôme Pélissier, Écrivain. Auteur d’un roman, Les Insensés, dont le personnage principal est une vielle dame atteinte de maladie d’Alzheimer, et de deux essais. Chercheur et formateur en psycho-gérontologie.
propos recueillis par A.W pour "Usbeck et Rica", n° 1/12 été 2010,
dans le dossier « L’immortalité, ultime frontière »coordonné par Blaise Mao