"Cohabiter à mon âge" un documentaire de Rémy Batteault
"Cohabiter à mon âge"
un documentaire de Rémy Batteault,
projeté le lundi 18 février à la Scam.
5, avenue Velasquez, 75017, à côté du parc Monceau.
Gratuit, en présence du réalisateur Rémy BATTEAULT 06 87 05 37 rembat@gmail.com
« Les maisons de retraites ne sont plus adaptées »
Rémy Batteault est l’auteur du documentaire Cohabiter… à mon âge ? Dans son film, il s’intéresse aux nouveaux modes d’habitat collectif des seniors qui veulent éviter la solitude ou la maison de retraite. Entretien.
Pourquoi avoir fait ce film ?
Je suis tombé sur une émission de France Inter qui parlait des Cocons3s et ce projet m’a intéressé. J’ai aussi été marqué par un épisode qui a touché ma famille : mes parents étaient artisans charcutiers en Bourgogne. Un jour, le comptable est venu voir ma mère et lui a dit : « Vous allez avoir une retraite confortable, » alors qu’elle allait gagner 600 euros par mois. Elle n’avait pas toujours été déclarée en tant que femme d’artisan. Je me suis dit qu’il devait y avoir beaucoup de femmes autour de cet âge qui devaient avoir des problèmes financiers. Nous vivons de plus en plus vieux et dans un même temps, notre pouvoir d’achat est en train de baisser. Je me suis donc intéressé à ces jeunes seniors qui ont l’avenir devant eux mais pas le pouvoir d’achat pour l’affronter. Et quand on est dans cette situation, le plus gros problème concerne l’habitation. Savoir où l’on habite est une base importante dans la vie.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette expérience ?
Cette espèce de pudeur, de timidité qu’ont les gens lorsqu’ils parlent de leur expérience. Ils font des choses mais ne savent pas s’ils sont sur la bonne voie. Et comme ils représentent un phénomène de société, ils sont très sollicités. Il arrive un moment où ils veulent qu’on leur fiche la paix. Moi, je suis arrivé avec mon regard de cinéaste et je ne leur demandais pas d’analyse, je voulais juste observer les points positifs et négatifs de leurs expériences. On a eu affaire à un personnage qui était très défaitiste hors caméra et qui essayait de donner une bonne image de son expérience à l’écran. Sa colocation ne se passait pas très bien mais il voulait donner une bonne image de ce genre de projets. Le partage d’une maison exige des sacrifices. On abandonne des meubles, des objets, on prend sur soi. On perd aussi une part de sa liberté, car on ne peut pas se dire : je me barre dans deux mois.
L’expérience qui marchait vraiment, c’était à Lamarque-Pontacq, la maison commune avec Jean-Marie Jarnac. Ils étaient trois à partager une grande maison avec un potager et un jardin. Ils avaient une éthique commune et étaient très détendus. En fait, cette décontraction faisait qu’ils ne formaient pas vraiment une nouvelle famille. Ils n’étaient pas amis à la base mais le sont devenus. Leurs familles respectives sont très bien accueillies et les petits enfants des uns sont traités comme ceux des autres. Une personne qui était intéressée par le projet a finalement renoncé à y participer car elle était trop stressée. Elle ne pouvait pas concevoir de ne pas savoir ce qu’elle allait manger à midi moins le quart.
Dans votre film, Thérèse Clerc critique l’intergénérationnel en expliquant que les rythmes, les exigences et les habitudes des jeunes et des seniors étaient rarement compatibles. Que pensez-vous de ce concept ?
Ça dépend de ce que l’on appelle intergénérationnel. Dans le village Apollinaire, par exemple, il s’agit d’un village partagé mais chacun a un chez soi. Je crois beaucoup à cette solution car ces problèmes ne se posent pas. Mais je crois encore plus à l’intergénérationnel si les personnes âgées sont de jeunes seniors. Ils vont davantage aimer s’occuper des enfants et des liens vont pouvoir se créer sur le long terme. J’y crois, mais il faut que tout le monde y trouve son compte.
Sinon, il y a aussi l’exemple de personnes âgées qui accueillent des étudiants et des étudiantes chez eux. Je crois moins à cette solution car elle est éphémère même si dans certains cas, ça se passe très bien. Un membre de ma famille été très satisfait de ce compromis même s’il n’était pas sur le long terme.
On a l’impression que les problèmes qui se posent dans les habitats collectifs de personnes âgées sont exactement les mêmes que dans n’importe quelle colocation…
C’est tout à fait juste, mais il faut distinguer les habitats groupés, comme la maison des Babayagas ou les maisons Abbeyfield, avec une volonté politique derrière et les simples colocations. Je crois beaucoup aux habitats groupés car il y a une notion d’indépendance : les gens ne partagent pas la cuisine, les toilettes et la salle de bain. J’ai remarqué que le plus gros problème des habitats partagés concerne la pilosité. Tout le monde s’engueule à cause des poils laissés dans la salle de bain… … Abbeyfield est un concept anglais, créé en 1956, qui a essaimé dans tout le Commonwealth et qui sait parfaitement impliquer les politiques et les habitants de chacune des maisons.
Ce que veut faire Thérèse Clerc avec les Babayagas et qui existe avec Abbeyfield, c’est une maison autogérée par ses occupants. J’ai pu constater que ce système fonctionne mieux car il maintient les gens en forme même si tout se complique avec la grande vieillesse. Il y a une vie de groupe, des décisions communes, des dîners. Quand les gens ne sont pas d’accord, on fait appel à un médiateur.
Quel que soit le cas de figure, il faut une volonté de part et d’autre pour que ça fonctionne, que ça soit entre seniors ou non. Je suis tombé sur des exemples qui n’ont pas fonctionné, mais les problèmes des occupants auraient pu se poser à n’importe quel âge. Parfois, les gens ne sont tout simplement pas faits pour ça. Par exemple, à Nanterre, une des personnes expliquait que si elle avait une histoire d’amour, elle n’amènerait pas son compagnon dans sa colocation. Elle avait du s’acheter des pyjamas alors qu’elle aimait se promener nue. Elle avait prévu de se consacrer à des tableaux et des collages, mais elle n’arrivait pas à s’y mettre chez elle. Elle avait dressé deux listes avec les avantages et les inconvénients de la colocation. Une avant l’expérience et une au bout d’un an de vie commune, qui était beaucoup plus négative.
Les Babayagas sont exclusivement composées de femmes. Pensez-vous qu’il faut un équilibre entre les sexes pour que le projet réussisse ?
Je pense que la présence des deux sexes est un important facteur de réussite. Jean-Marie Jarnac vit avec deux femmes et ça se passe bien. Souvent, une présence masculine les rassure quand elles ont des petits problèmes à la maison. Mais je pense qu’il est difficile d’établir une véritable mixité car les femmes sont plus en demande que les hommes. Souvent, les hommes, même très vieux, sont toujours persuadés qu’ils vont retrouver une femme et cherchent moins ce genre de solutions. Au Moulin de Laveau, trois femmes sont en colocation et la présence masculine n’est pas requise. Cela fait vingt ans qu’elles vivent comme ça et ça se passe très bien. Leur exemple m’intéressait car elles cherchaient une personne en plus pour préparer l’avenir, mais elles avaient peur de créer un déséquilibre.
Il y a aussi la question des couples qui se pose. Dans l’une des deux maisons Abbeyfield à Bruxelles, il y a un couple qui a choisit de vivre séparément, chacun dans son appartement. Lorsque je préparais le film, un projet de colocation bordelais a avorté car l’homme est parti vivre avec une des femmes. Ils ne voulaient pas continuer le projet en couple.
Pensez-vous que les habitats collectifs représentent la solution du futur pour les seniors ?
On se trouve aussi dans un cas de figure où la génération à l’âge de la retraite n’a jamais autant divorcé. À cet âge, se retrouver seul peut créer une grande gêne psychologique. C’est ce qu’explique une des femmes qui habite en colocation dans le film : « Si c’était un chat, ça reviendrait au même. » Les maisons de retraite ne sont plus adaptées car souvent réservées aux personnes très âgées, et sont coûteuses. Dans les habitats collectifs, on paie un forfait tout compris. Ce n’est pas très élevé.
Avec la baisse du pouvoir d’achat et la hausse du niveau de vie, c’est effectivement une solution envisageable. D’autant plus qu’aujourd’hui, la colocation est beaucoup mieux acceptée, même chez les jeunes. Le principe est beaucoup plus répandu qu’il y a quarante ans. L’évolution des mentalités va permettre de développer ce type d’habitation, surtout si les pouvoirs publics s’y intéressent. À Bordeaux, ils n’imaginaient pas que le budget consacré à la vieillesse pouvait servir à autre chose qu’à développer des maisons de retraite. C’est aux hommes politiques de se poser les bonnes questions. Comme le dit le sociologue Jérôme Pellissier dans mon film, nous arrivons à une période ou pour la première fois dans l’Histoire, il y aura autant de 0-30 ans, de 30-60 ans et de seniors. Avec le schéma économique actuel, on va droit dans le mur. Il faut que les politiques prennent conscience de ce changement de population et que les maisons de retraite ne sont pas la seule solution. Autour de moi, beaucoup de personnes songent à vivre à plusieurs avec des amis. Ce n’est pas la seule solution, mais c’est une piste de réflexion.
Si vous êtes intéressé par le film et que vous souhaitez communiquer avec l’auteur, vous pouvez lui écrire à cette adresse : cohabiteramonage@gmail.com
Voir la bande annonce du film sur dailymotion :
http://www.dailymotion.com/video/xtmmfp_cohabiter-a-mon-age-bande-annonce_news#from=embediframe
information transmise par Martine Perrin