Ces retraités contraints de reprendre un emploi
La crise, un divorce, les études des enfants ou les frais de santé conduisent de plus en plus de seniors à retravailler. Pour eux, le temps est toujours de l'argent. A l'âge de la retraite, ils sont de plus en plus nombreux à reprendre une activité. En France, selon un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), publié fin juillet, 500 000 retraités sur un total de 15 millions travaillent tout en touchant une pension. Un chiffre qui a presque triplé en six ans, passant de 120 000 en 2005 à 310 000 en 2011 pour le seul régime général des salariés du privé.
Cette augmentation est à attribuer en partie à l'évolution de la loi, qui permet depuis 2009 de cumuler intégralement une pension et un revenu d'activité. Mais aussi à la crise, qui pousse de plus en plus de seniors à retravailler par nécessité.
Selon l'IGAS, le portrait-robot du retraité actif correspond à un homme, dans six cas sur dix, encore jeune – plus de la moitié ont moins de 65 ans –, avec des revenus relativement élevés (1 600 euros en moyenne de pension). Pour environ la moitié d'entre eux, il s'agit d'une activité à temps partiel, souvent chez le même employeur qu'avant la retraite. Mais derrière ce profil de travailleurs aux tempes blanches qui jouent les prolongations pour rester dans le coup, par peur de s'ennuyer ou par plaisir, se cache une réalité plus sombre, révélée notamment par l'explosion des sites Internet spécialisés dans les annonces d'offres d'emploi pour les seniors.
FINS DE MOIS DIFFICILES ET BUDGETS RIC-RAC
Sur ces sites qui tendent à remplacer l'affichette épinglée chez les commerçants, on trouve toute une panoplie d'offres de services qui échappent aux chiffres officiels, car souvent non déclarés. Derrière les quelques lignes de présentation des candidatures, se devinent les fins de mois difficiles et les budgets ric-rac. Tel Guy, "à la retraite depuis mars 2011 mais toujours de l'énergie à donner", qui cherche des heures de bricolage car il "n'[a]qu'une très petite retraite" ; telle Nicole, "femme sérieuse et minutieuse" en quête de "quelques heures de repassage afin d'améliorer [son] quotidien" ou encore Jeanne, 64 ans, qui "recherche une activité qui [l']aiderait bien financièrement".
Fondatrice en 2008 du site Seniorsavotreservice.com, qui recense quelque 40 000 annonces en ligne, Valérie Gruau a vu le marché exploser avec la crise. "Entre l'été 2011 et l'été 2012, le nombre de candidatures a doublé. La notoriété grandissante de notre plate-forme en est en partie responsable, mais aussi certainement le contexte économique", explique la directrice.
Le bricolage, le jardinage, les gardes d'enfants, tout ce qui tourne autour des aides aux personnes âgées sont les services les plus proposés. La plupart des candidats sont de jeunes retraités, entre 55 et 65 ans en moyenne. Les femmes sont légèrement plus nombreuses. En face, l'essentiel des employeurs est constitué de particuliers.
Chez BiTWiiN.com , autre spécialiste de l'emploi senior, Bertrand Favre, son président-fondateur, enregistre lui aussi les mêmes profils. En quatre ans, il a été témoin de l'évolution des motivations des postulants. "A nos débuts, en 2008, la reprise d'activité correspondait plus à un profil de seniors qui voulaient rester actifs. Depuis deux ans, l'aspect financier rentre de plus en plus en ligne de compte." Même si, globalement, le niveau de vie des retraités est supérieur à celui des actifs, une partie de la population senior a aujourd'hui du mal à joindre les deux bouts.
"PLUS DE 10 % ONT UNE PENSION INFÉRIEURE À 600 EUROS PAR MOIS"
"Plus de 10 % des retraités, dont majoritairement des femmes vivant seules, perçoivent une pension inférieure à 600 euros par mois, bien au-dessous du seuil de pauvreté (954 euros pour une personne seule)", rappelle Daniel Druesne, à la CFDT-retraités. Fin 2010, 576 300 personnes étaient allocataires du minimum vieillesse, rebaptisé en 2007 "allocation de solidarité aux personnes âgées" (ASPA), soit 709 euros mensuels. Près des deux tiers étaient des femmes, pénalisées parce qu'elles n'ont pas assez cotisé pendant leur vie professionnelle.
Dans les organisations caritatives, les retraités représentent aujourd'hui 15 % des personnes venant solliciter une aide alimentaire ou un soutien financier pour régler un loyer, une facture d'électricité ou de gaz ou des frais médicaux. Un pourcentage qui, en quelques années, a doublé, estime la Croix-Rouge.
L'augmentation des divorces – le taux de séparation des plus de 60 ans a crû de 28 % chez les femmes et de 39 % chez les hommes en dix ans – explique aussi ces difficultés. Au moment de sa retraite, un Français sur deux se retrouve seul, et donc sans personne avec qui partager les dépenses. En temps de crise, la solidarité familiale envers les enfants, les petits-enfants, voire les parents, grignotte de plus en plus les marges de manœuvre qu'avaient les personnes qui arrivaient à la retraite. Toutes les questions liées au déremboursement des médicaments, au financement d'une mutuelle ou de frais liés à la dépendance représentent aussi de fortes pressions budgétaires.
Selon les responsables du site Internet Seniorsavotreservice.com, 2 500 "mises en relation" entre un demandeur et un employeur ont lieu par mois en moyenne. Impossible de savoir combien aboutissent réellement à une mission. Comme ses concurrents, le site sert d'intermédiaire, et non de recruteur. Mais tous les spécialistes du sujet s'accordent pour dire que le marché de l'emploi senior est promis à un bel avenir, avec la paupérisation annoncée d'une partie des retraités.
Les prochaines vagues de retraités correspondront à des générations qui auront davantage connu des aléas de carrière comme le chômage ou le temps partiel, autant de périodes où l'on cotise moins pour ses vieux jours.
Catherine Rollot
| 27.08.2012