Les nouvelles frontières de la retraite

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Le passage à la retraite a longtemps été perçu comme un « saut dans le vide ». Du jour au lendemain, on passe d’actif à inactif, de « membre productif de la société » à « fardeau improductif ». En tous cas, ceux qui tombent en dépression perçoivent ainsi leur changement brutal de statut. Mais de plus en plus, cette « falaise » qui caractérisait le passage à la retraite fait place à une frontière plus hybride où l’on est entre deux états ou les deux à la fois. 

De nouveaux dispositifs comme le cumul emploi-retaite et la retraite progressive ainsi que l’entrepreneuriat de fin de carrière offrent aux individus des options pour inventer une transition plus en douceur, rester actifs plus longtemps et compléter leurs revenus sans user leurs ressources physiques et psychiques. La retraite s’offre de nouvelles frontières !

La fin de la falaise ?

Le passage brutal de l'activité à l'inactivité est peu à peu remplacé par des transitions modulables par les individus. On peut parier que ces transitions douces vont concerner de plus en plus d’individus à l’avenir. De nombreuses personnes vont choisir de réduire peu à peu leur  temps de travail au lieu d’arrêter soudainement. Elles voudront aussi mieux préparer cette nouvelle phase de leur vie.

Il existe en particulier deux dispositifs promis à un avenir de croissance : 

  • Le cumul emploi-retraite : ce dispositif permet aux retraités de reprendre une activité rémunérée tout en continuant à percevoir leur pension de retraite. Ils peuvent ainsi compléter leur pension de retraite (laquelle sera de plus en plus souvent plus maigre 😨). Ce cumul est « partiel » ou « total » selon la situation : s’il est total, la personne conserve l’intégralité de sa pension ; s’il est partiel, le revenu de l’activité est limité pour éviter la réduction de la pension. Le cumul emploi-retraite séduit particulièrement les retraités qui souhaitent augmenter leurs revenus ou rester engagés dans leur secteur.
  • La retraite progressive : la retraite progressive permet aux travailleurs de réduire leur temps de travail quelques années avant de partir définitivement à la retraite, tout en percevant une fraction de leur pension. Les seniors peuvent ainsi diminuer leur activité professionnelle, travailler à temps partiel et commencer à toucher une partie de leur retraite pour compléter leurs revenus, tout en continuant à cotiser pour leur retraite future.

Il y a aussi de nombreuses créations d’entreprises

Depuis l’introduction du statut d'auto-entrepreneur et la possibilité de cumuler emploi et retraite, de nombreux seniors se sont lancés dans la création d'entreprise en France. Chaque année, près de 90 000 seniors créent leur propre activité, bénéficiant ainsi de la possibilité de cumuler intégralement leur pension de retraite avec les revenus générés. En 2023, bien que le nombre de créations d'entreprises en général ait diminué légèrement de 1 %, les seniors continuent de représenter une part importante des créateurs : une création d’entreprise sur 5 est le fait d’une personne de plus de 50 ans. 

Et souvent, ces entreprises rencontrent le succès car leurs créateurs ont une riche expérience professionnelle, un réseau solide, et parfois, une plus grande sécurité financière. Cette phase de la vie est souvent vécue comme un moment propice pour s'épanouir professionnellement et socialement. Évidemment, les motivations varient entre les seniors « nantis » bénéficiant d’une stabilité financière et ceux en reconversion ou chômage de longue durée, souvent contraints par une grande difficulté de retrouver un emploi dans un monde où l’âgisme reste la norme. 

Vers des parcours de plus en plus souvent « atypiques »

Les parcours de carrière ne suivent plus nécessairement une trajectoire linéaire. La multiplication des reconversions, des changements de statut (comme l’indépendance) et des pauses professionnelles dessinent des carrières de plus en plus atypiques. À cet égard, les seniors ne sont qu’un exemple de l’éclatement de la vie en 3 phases (je me forme, je travaille, je suis à la retraite). À mesure que la vie de travail s’allonge, les transitions professionnelles se multiplient. Les situations de vie — aidance, parentalité tardive, séparation ou divorce — placent les individus de tout âge face à des choix professionnels contraints

Face à des difficultés de recrutement croissantes, les entreprises, elles, devraient repenser leurs pratiques de recrutement, de management et de formation pour ne pas passer à côté de ces viviers de talents en croissance. Pour l’instant, elles ne savent pas bien valoriser ces parcours atypiques, souvent enrichis par des expériences variées. Les « trous dans le CV » sont vus comme des inconvénients. Les reconversions professionnelles aussi. Les seniors, longtemps perçus comme "coûteux" car "expérimentés," se retrouvent parfois dans des postes où ils sont juniors, créant des situations inédites.

Les entreprises aussi ont intérêt à explorer ces nouvelles frontières

L’augmentation des départs à la retraite pose des défis de préservation des connaissances pour les entreprises. Cela fait déjà des années que les banques font appel à des retraités pour la programmation en Cobol, par exemple. À bien des égards, les départs massifs à la retraite constituent pour les organisations une sorte de brain drain (fuite des cerveaux… vers la retraite). De plus, les savoirs tacites, qui se construisent sur l’expérience et le vécu des employés, jouent un rôle fondamental dans la continuité de l’activité et l’innovation au sein des organisations.

Le mentorat et les initiatives de collaboration intergénérationnelle sont essentiels pour conserver le savoir-faire accumulé et pour transmettre aux plus jeunes (et aux moins jeunes nouvellement recrutés) les bonnes pratiques. Le cumul emploi-retraite aussi.

Décathlon : un exemple inspirant de politique RH pour les seniors

J’ai récemment fait la connaissance du responsable de la politique RH seniors chez Décathlon, David Maillard. Décathlon, enseigne « de jeunes » dans l’image grand public fait face à des défis de taille en la matière : d’une part, les clients sont de plus en plus âgés (et il serait pas mal de mieux refléter la réalité démographique dans les ressources humaines) ; d’autre part, les difficultés de recrutement sont grandes dans certains métiers.

Chez Décathlon, David Maillard a orchestré une transformation remarquable dans la gestion des carrières seniors. Depuis 2018, la proportion de collaborateurs de plus de 55 ans a triplé, passant de 2 % à plus de 6 %. L'entreprise s'est engagée à offrir un cadre adapté, avec des dispositifs de retraite progressive, du temps partiel et un accompagnement personnalisé. Décathlon favorise également la transmission des savoirs à travers le mentorat et veut développer une politique de recrutement plus inclusive pour mieux valoriser les compétences des seniors. 

Conclusion : des carrières multi-phases

Le modèle traditionnel des carrières en trois phases (formation, travail, retraite) laisse désormais place à un modèle multi-phases, où chacun évolue entre apprentissage, travail et transitions tout au long de sa vie. Redéfinir les frontières entre travail et retraite, cela commencera par un autre regard sur les sexagénaires. Ils représentent une cohorte en croissance composée d’un nombre croissant d’actifs et d’ « hybrides » dont la contribution est essentielle.

Nouveau Départ, Nouveau Travail | Laetitia Vitaud, décembre 2014

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