Déserts médicaux. Des « médecins solidaires » vadrouillent dans la diagonale du vide 

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Dur de rameuter des médecins dans la diagonale du vide, qui bizarrement ne rêvent pas de s’installer dans la Creuse. Alors pour apaiser la situation dans les déserts médicaux, un jeune généraliste a créé l’association Médecins solidaires. Chaque semaine, un nouveau médecin volontaire file donner un coup de main à la campagne.

Au volant d’un grand camping-car blanc, Martial Jardel roule vers Sancerre, une commune d’environ 1 300 habitants nichée dans le Cher. Fraîchement diplômé, le tout jeune médecin généraliste a emporté sa blouse blanche en vadrouille, avec l’ambition de faire ce qu’il appelle un Tour de France des remplacements. Pendant cinq mois, jusqu’à l’été 2021, Martial est venu au secours de ses collègues qui turbinent dans des endroits ruraux, épuisés par la pandémie et la contrainte d’exercer seul. Pour leur offrir quelques jours de répit, il est venu jusque chez eux pour les remplacer. « J’ai été frappé de voir à quel point la situation pouvait être sévère et à quel point les leviers d’action étaient difficiles à trouver. Le seul moyen de trouver un médecin dans ces endroits, c’est parfois de mettre une simple banderole sur un rond-point », rembobine le médecin.

Pour espérer, en effet, qu’un docteur pose ses valises dans son village après le départ en retraite de celui qui soignait les corps de ses 1 100 habitants depuis quarante ans, le maire d’Ajain a installé des panneaux « Recherche médecin ». L’équipe municipale, inventive, a même réalisé une vidéo pour séduire les jeunes diplômés de médecine. « Je me sentais responsable. Plusieurs fois par semaine, on venait me demander si j’avais enfin trouvé un médecin. Des gens ont complètement arrêté de se soigner, il fallait trouver une solution », regrette l’édile, Guy Rouchon.

Cette solution, Martial Jardel l’a trouvée en créant l’association Médecins solidaires il y a deux ans. Son concept ? Demander un peu de temps à beaucoup de médecins – trouver des docteurs volontaires pour passer une semaine dans un désert médical, où il n’y a plus d’offre de soin. Et Ajain a été le petit laboratoire d’expérimentation. « J’ai rencontré Martial et on a mis en place un cabinet médical dans un préfabriqué. Je me souviens d’un patient diabétique qui avait appelé des dizaines de médecins qui n’avaient plus de place pour lui. Il avait arrêté de se soigner. Lorsque le premier médecin solidaire est arrivé, il lui a fait faire une prise de sang et il fallait agir rapidement… Mais depuis, il va très bien ! », se remémore Guy Rouchon. Toutes les semaines, des praticiens se sont donc relayés à Ajain, procurant une offre de soin à 1 250 patients. Depuis l’ouverture du centre dans cette commune de la Creuse où seulement 96 médecins généralistes étaient en activité en 2023 selon l’Insee, 550 médecins ont rejoint l’aventure et sept centres ont été imaginés dans plusieurs départements.

Quand le généraliste d’Ajain est parti à la retraite, Alain, 77 ans, a dû trouver rapidement une solution de dépannage. « Chaque fois que je devais voir un médecin, ça prenait la matinée. Je devais aller à 20 kilomètres de chez moi, à Ahun. On est délaissé dans nos campagnes. » Jean-Marie, lui, a complètement arrêté d’aller de se faire soigner. « Pendant deux ans, je n’ai pas consulté. Heureusement que je ne suis pas tombé malade… »

Pas besoin d’un copain mais d’un médecin

Pour Martial Jardel, les médecins avaient le devoir de se positionner pour lutter contre les déserts médicaux, alors que 1,6 million de personnes renoncent chaque année à se soigner faute d’offre selon un rapport sénatorial de 2022. « On ne peut pas rester dans ce débat avec des docteurs qui attendent les bras croisés sur le bord de la route en se disant que la situation est terrible. On doit presque être les premiers de corvée », s’amuse-t-il. Si le statut de médecin de famille lui convient parfaitement aujourd’hui dans son cabinet du Dorat en Haute-Vienne, il considère que ça ne doit pas être la seule option. « Les gens dans ces territoires n’ont pas besoin d’un copain qui les connaît depuis 30 ans mais d’un médecin. Même si c’est évident, cette relation thérapeutique est formidable et belle. Mais ce n’est pas ça, ou rien. Il fallait inventer de nouvelles offres de soin. »

Philippe Munck, médecin généraliste retraité de 65 ans, se souvient parfaitement de sa première semaine à l’aventure, à Ajain, en novembre 2023. « J’avais découvert Médecins solidaires à la radio, dans une émission de France Inter. L’idée de débarquer dans cette diagonale du vide pour exercer la médecinem’a plu. Mais le premier jour, j’étais terrorisé de ne pas connaître les patients. En face de moi, il y avait un poster d’une vache, j’avais vraiment l’impression d’être ailleurs, mais c’était complètement magique. » Afin de décharger les volontaires, plus besoin de faire la paperasse. Ils viennent uniquement pour soigner. Pas une seule carte Vitale à passer, pas un arrêt de travail à remplir, ce sont des coordinatrices qui s’en occupent. Les médecins ont vingt minutes pour ne faire que soigner. « On ne fait qu’être médecin et on a du temps pour le faire. C’est royal. Quand vous voyez quelqu’un qui n’a pas vu de médecin depuis six mois, qui ne prend plus de traitement et que vous lui represcrivez, on se sent utile. Je me suis aperçu que mon métier, je l’aimais vraiment. »

Des médecins aventuriers

Et les médecins qui ont goûté à l’expérience en redemandent, 99 % veulent repartir dans ces contrées perdues. Après déjà cinq semaines passées dans le fin fond de la cambrousse en tant que volontaire, Elsa Leclercq, médecin remplaçante à Nantes, prendra la route vers Ménigoute dans les Deux-Sèvres, en février. « Ce qui était sûr, c’était que je ne voulais pas m’installer dans un endroit pareil. Mais je voulais aussi aider les patients qui sont toujours là, même quand les services publics ont déserté », raconte la praticienne à Charlie, qui fait partie de l’équipe de médecins pionniers du projet. Depuis 2022, bien dans sa bagnole, elle roule vers des coins où elle n’aurait jamais sûrement mis les pieds. « À chaque fois, j’ai hâte d’y aller parce que ça réenchante un peu le métier. Mais je suis aussi contente de rentrer chez moi le samedi midi, une fois la semaine terminée. » Voir du pays, se balader, rencontrer du monde. Pour Martial Jardel, les médecins solidaires sont de véritables « aventuriers ».« La semaine dernière, j’étais à Chantenay-Saint-Imbert (Nièvre). En janvier, je vais à Arnac-la-Poste en Haute-Vienne. Je fais du tourisme à travers les gens. Vous écoutez les accents, vous entendez ce que les patients ont à vous raconter et finalement, vous découvrez un endroit à travers leur intimité », raconte Philippe Munck.

Le prochain centre ouvrira au Mas d’Agenais en Nouvelle-Aquitaine. Et plus il y a de médecins volontaires, plus l’association pourra démultiplier leur nombre. En attendant, chacun espère déclencher un coup de coeur, une envie irrépressible pour un médecin de faire carrière dans ces petits villages. Vraiment ? « Je me pose la question de savoir si je veux qu’un médecin s’installe, ça marche tellement bien ! », s’enthousiasme Guy Rouchon. Et puisque ça fonctionne, autant pousser plus loin. Dans dix ans, si on peine encore à faire venir les médecins en campagne, Martial Jardel imagine une centaine de centres de santé dans les territoires ruraux, avec des médecins spécialistes intégrés dans la boucle. Et pourquoi pas même « exporter le modèle dans d’autres pays ». Rien que ça.

Publié par Charlie Hebdo le 19 décembre 2024

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