« Demander un effort aux retraités pour réduire les déficits n’aurait rien d’illégitime »
Les retraités bénéficient globalement d’une situation qu’aucune autre génération n’a connue auparavant, estime Stéphane Lauer, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique.
Le débat sur le budget 2025 offre un spectacle navrant de postures, de calculs électoraux et de bataille des ego, qui n’est pas de nature à rassurer quant à la capacité du gouvernement à sortir de l’impasse des déficits et du creusement de la dette. La semaine écoulée a été marquée par une débauche de propositions fiscales plus ou moins farfelues, un bloc central divisé et un jeu de dupes sur la question des retraites.
Ce dernier se joue autour de deux questions. Les velléités d’abrogation de la réforme de 2023 et la crispation autour d’un éventuel gel des pensions sur les six premiers mois de 2025. Tout indique que notre système de solidarité intergénérationnelle est à bout de souffle, mais le déni pour le faire évoluer reste bien ancré.
Avec la désindexation temporaire des retraites sur l’inflation, le gouvernement a enfin trouvé une majorité absolue… mais contre lui. Les députés ont rejeté en commission l’une des principales mesures d’économie du projet de loi de finances. Déjà, lors des élections législatives, ce refus d’un gel des retraites constituait le seul point commun à tous les programmes. La raison de cette unanimité est d’une simplicité biblique : les retraités représentent un inscrit sur trois sur les listes électorales, mais un votant sur deux.
Totem d’immunité
Ce civisme exemplaire confère aux retraités un véritable totem d’immunité. Pour les états-majors politiques, s’attaquer aux intérêts de cet électorat est vécu comme un suicide politique. Personne n’a envie d’en prendre la responsabilité, surtout quand de nouvelles élections se profilent, avec une possible dissolution à partir de juillet 2025. Pourtant, il suffit de regarder l’évolution des dépenses de retraite pour prendre conscience que la situation ne sera pas tenable dans la durée.
La démographie, avec de moins en moins de cotisants et de plus en plus de pensionnés, entraîne une charge grandissante pour les actifs et les comptes publics. Au début des années 1980, la France dépensait 7 % de son produit intérieur brut pour financer ses retraites. Quarante ans plus tard, cette proportion a doublé. Les cotisations, qui ponctionnaient en moyenne 15 % des salaires, en représentent aujourd’hui près de 30 %. De plus, l’Etat est obligé de recourir à la dette pour équilibrer les régimes. Comme le démontre l’ex-directeur général des impôts Jean-Pascal Beaufret dans un retentissant article paru dans le numéro d’automne de la revue Commentaire, le financement des retraites est l’origine de la moitié de la dette française accumulée depuis 2017, du fait que seuls les deux tiers des dépenses sont couverts par les cotisations.
Les retraités d’aujourd’hui sont globalement dans une situation qu’aucune autre génération n’a connue. L’évolution de la démographie fait qu’ils ont beaucoup moins cotisé pour leurs parents que ce que leurs enfants cotisent désormais pour eux. A l’époque, le rapport était de 3 actifs pour 1 pensionné, contre 1,7 pour 1 aujourd’hui, tandis que l’espérance de vie s’est considérablement accrue.
Comme l’a calculé France Stratégie, si l’on appliquait le principe « j’ai droit aux sommes que j’ai cotisées »,le montant actuel des retraites serait en réalité inférieur de 30 % à 50 %. Contrairement à l’idée reçue, le montant des pensions ne dépend pas des cotisations versées pendant sa carrière, mais de la capacité des actifs à payer pour leurs aînés. Or celle-ci se réduit comme peau de chagrin.
Equité avec les actifs
Demander un effort aux retraités pour réduire les déficits n’aurait rien d’illégitime. Leur niveau de vie est en moyenne supérieur à celui des actifs (une fois pris en compte le coût du logement), comme l’a souligné le Conseil d’orientation des retraites dans un rapport de février 2023. Il s’agit d’une situation inédite et unique parmi les pays développés. L’arbre des petites pensions (qui doivent continuer à être indexées) ne doit pas cacher la forêt de retraités mieux lotis que bien des actifs. Et, tant qu’à parler d’équité, on peut aussi se demander quelle est la justification de maintenir pour cette catégorie l’abattement de 10 % sur l’impôt sur le revenu au titre des… frais professionnels.
Quelle que soit l’issue du débat budgétaire, la désindexation des retraites finira par devenir incontournable au regard des effets démultipliés sur les finances publiques que peut avoir la continuelle revalorisation de la pension de 17 millions de retraités. Aux 14 milliards dépensés au titre de 2024, il faudra encore ajouter 26 milliards d’ici à la fin du quinquennat.
Pendant ce temps, à l’Assemblée nationale, le théâtre d’ombres se poursuit autour des projets d’abrogation de la réforme des retraites de 2023. Le Rassemblement national (RN) et le Nouveau Front populaire (NFP) rivalisent pour revenir sur ce texte à coups de propositions de loi, tout en sachant pertinemment que, tôt ou tard, le Sénat y mettra son holà.
La vérité est que l’abrogation, même si cette réforme est critiquable dans ses modalités, sera difficilement finançable dans un contexte budgétaire qui s’est sérieusement dégradé depuis les manifestations du printemps 2023. Selon la Caisse nationale d’assurance-vieillesse, revenir sur le recul de l’âge de départ coûterait 3,4 milliards dès 2025, pour aller progressivement jusqu’à 16 milliards en 2032.
RN et NFP prétendent avoir la solution pour en assurer le financement. En chargeant davantage la barque des actifs ? L’argent du coût de l’abrogation ne serait-il pas mieux utilisé ailleurs ? Est-ce le choix collectif le plus pertinent ?
« Du point de vue de l’intérêt général, le pays est en train de faire n’importe quoi avec nos dépenses publiques en surinvestissant dans les retraites tout en sous-investissant dans l’éducation, la formation et la transition énergétique », estime Antoine Foucher, ex-directeur de cabinet de Muriel Pénicaud au ministère du travail de 2017 à 2020 et auteur de Sortir du travail qui ne paie plus (Editions de l’Aube, 144 pages, 17 euros). Qu’en pense la jeunesse ? Pour le moment, elle préfère s’abstenir aux élections en laissant nos chers retraités décider pour elle.
CHRONIQUE de Stéphane Lauer (Editorialiste au « Monde ») paru le 28 Octobre 2024