La vie secrète des vieux de Mohamed El Khatib : huit personnages et un auteur

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

La vie secrète des vieux de Mohamed El Khatib : huit personnages et un auteur

Des huit prévus initialement ils ne sont plus que sept, l’un d’entre eux ayant, entre-temps, tiré sa révérence. Même si, finalement, il est encore présent sur scène, de façon très inattendue… La pièce fut créée au tout récent Festival d’Avignon 2024 où elle fut très remarquée, et très appréciée. Remarquée car le thème abordé –la vie intime, et surtout sexuelle, des personnes du troisième âge- n’est pas souvent traité au théâtre.

Comment se vit et se fait l’amour au troisième âge ? Réponse des intéressés dans ce spectacle sensible et émouvant.

L’idée reçue selon laquelle les personnes âgées seraient privées de désir amoureux est joliment remise en question dans cette création profondément humaine. À la suite d’un projet où il s’agissait de faire émerger des formes d’expérimentations artistiques dans des maisons de retraite, Mohamed El Khatib a vu comment ces lieux révélaient une facette trop méconnue de nos anciens. Touché par leurs confidences, il invite dans ce spectacle des femmes et des hommes, âgés de soixante-quinze à cent deux ans, à évoquer leurs histoires de cœur. Vieillir, c’est aussi affronter le regard social, observer son corps usé et l’altération progressive de son autonomie. Malgré cela, l’amour demeure et plus encore le désir qu’accompagne une sexualité réinventée avec son propre rythme, son propre temps, sa propre intimité fragile. 

Hughes Le Tanneur

Appréciée car au lieu d’en faire une description clinique virant au misérabilisme, l’auteur nous propose une épopée truculente où chacun et chacune s’adresse, sans aucune fausse pudeur, aux autres et à soi-même. 
  
L’originalité du spectacle tient à sa forme même, mélange d’un documentaire pouvant faire croire à de l’improvisation et d’un texte pourtant parfaitement écrit, donnant ainsi cette impression toute pirandellienne de personnages en quête d’un auteur qui raconterait leurs vies, avec leurs joies et leurs émotions transparaissant au-delà des mots. 
  
Mohamed El Khatib nous avait déjà habitué à ce procédé, lui qui avait déjà mis sur scène un agriculteur, une femme de ménage ou même des marins… 
  
Ils sont sept « vieux » -eux-mêmes se nomment ainsi sans aucun complexe- avec en plus, l’aide médicale de l’un d’entre eux, et aussi le metteur en scène, présent sur le plateau pendant la première moitié du spectacle puis s’éclipsant ensuite lorsque la machine théâtrale se met en place. 
  
Le lieu est incertain, il ne s’agit pas d’un EPHAD dont on parle parfois mais auquel nos protagonistes semblent avoir échappé. On pourrait presque imaginer le purgatoire… 
  
Chacun à son tour, hommes et femmes, de toutes sexualités, se confie sur leur vie intime présente ou passée, avec les éventuels regrets mais aussi de formidables espoirs. 
  
C’est audacieux, décapant, parfois dérangeant, utilisant une langue crue souvent provocante, mais toujours irrémédiablement drôle. 
  
On rit beaucoup, du début jusqu’à la fin, non pas d’un rire moqueur ou malsain de voyeur mais d’un rire franc et parfaitement consenti. 
  
Car ces personnages sont aussi nous-mêmes, ou ce que nous deviendrons, et en donner une telle représentation nous allège du poids infini de la fin qui nous menace, en nous ramenant à notre état d’être vivant et aimant, toujours jeune et donc éternel. 
  
Alex Kiev passait au
Théâtre des Abbesses jusqu’au 26 septembre, ; 31 rue des Abbesses ; 75018 Paris , puis sur diverses scènes d’Ile de France jusqu’au 19 décembre dans le cadre du Festival d’Automne. Et en région dès janvier 2025

Paru dans Senioractu du 27 septembre 2024

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