Vieillir avec les drogues, une réalité cachée
De plus en plus de seniors sont aux prises avec une addiction à l’alcool ou aux autres drogues mais peu de services sont adaptés à leurs besoins
Les addictions concernent tout le monde quel que soit son âge mais les personnes âgées sont souvent plus vulnérables que les autres en raison de la perte d’autonomie, la fréquence des pathologies chroniques et douloureuses, les événements de la vie marqués par le deuil, ou encore parce que leur besoins spécifiques ne sont pas pris en compte.
Pourtant, ce n’est que récemment que les prestataires de soins et les équipes de recherche ont commencé à s’intéresser à la question de l’usage de drogues et des addictions chez les seniors, s’étant concentré jusqu’à là, en grande partie, sur la tranche d’âge des jeunes adultes. A l’heure où les baby-boomers arrivent à 65 ans, les troubles liés à la consommation de substances et autres troubles addictifs sont en forte hausse, notamment en raison d’une consommation antérieure : ces populations vieillissent, mais elles gardent les habitudes de consommation d’alcool et d’autres drogues qu’elles ont eu toute leur vie.
Dans les pays riches, les baby-boomers atteignent 65 ans et plus. Ils consomment bien plus d’alcool et d’autres drogues que ne le faisaient leurs parents. Le champ de l’addictologie n’était pas prêt à répondre à cela
L’un des tout premiers rapports internationaux abordant la question a été publié en 2021 par l’Organe international de contrôle des stupéfiants (Nations unies). Le premier chapitre, qui s’intitule « Une épidémie cachée: l’usage de drogues chez les personnes âgées » , rappelle d’abord le problème du vieillissement de la population mondiale (selon l’ONU, 703 millions de personnes étaient âgées de 65 ans et plus en 2019 et ce nombre devrait doubler pour atteindre 1.5 milliard d’ici à 2050) avant de souligner l’augmentation de l’usage de drogues et des décès qui y sont liés, ainsi que des troubles liés à cet usage chez les seniors.
Cette hausse concerne principalement les pays à revenu élevé et s’explique notamment par l’avancement en âge de la génération des baby-boomers, soit les personnes nées entre 1946 et 1964, une période de forte natalité à un moment où l’usage de drogues commençait à atteindre des niveaux relativement importants. De plus, le rapport souligne que cette tendance à la hausse devrait encore s’amplifier dans les prochaines années, lorsque les derniers représentant·e·s de la génération du baby-boom seront à la retraite (sans même parler de la génération X ou des Millennials qui suivront).
Au plan épidémiologique, une autre question pertinente est l’augmentation de l’usage de substances légales chez les seniors, en particulier celui des hypnotiques et des analgésiques opioïdes, soit des médicaments ayant un potentiel addictif élevé. Ceci est en grande partie lié à l’hypermédicalisation des personnes âgées, à l’approche essentiellement biomédicale des traitements, ainsi qu’au manque des ressources économiques et humaines indispensables pour s’attaquer réellement aux déterminants sociaux de ces problématiques.
Il en résulte qu’il existe au moins deux profils de personnes âgées usagères de substances : celles qui ont vieilli avec les drogues, et celles qui ont commencé à consommer des drogues légales en raison du mal-être et des malaises psychosociaux liés au vieillissement.
Comme le montre le rapport, il s’agit pourtant d’une réalité cachée, parce que les études épidémiologiques concernent le plus souvent la population générale, de 15 à 65 ans, ou bien les jeunes, les jeunes adultes et les groupes marginalisés et à risque.
Certains groupes comme les femmes et, en particulier, les personnes âgées ont été négligées dans le recueil de données. Au plan scientifique, épidémiologique et culturel, il y eu une tendance à ignorer les seniors
Un tel aspect est évident lorsqu’on observe les lacunes de la littérature scientifique ainsi que les attitudes qui prévalent dans la société dans son ensemble à l’égard des personnes âgées. Enfin, il faut noter que si le problème de l’usage de substances chez les seniors commence à être reconnu comme tel, le manque d’information et de données fait qu’on ignore encore beaucoup de choses s’agissant des véritables défis rencontrés par les seniors concernés eux-mêmes.
Si l’usage de drogues illicites tend à diminuer avec l’âge, les addictions représentent une réalité chez les personnes âgées, même si elles prennent souvent des formes différentes par rapport aux plus jeunes. Le vieillissement entraîne des changements physiologiques importants : le cerveau devient notamment beaucoup plus sensible aux effets de l’alcool et des autres drogues, avec des conséquences sur la santé des personnes. De plus, les addictions chez les seniors ont un impact important sur leur environnement social, leurs relations familiales et amicales, leur participation à la vie communautaire.
De fait, le vieillissement est un moment de plus grande fragilité conduisant à une vulnérabilité aux addictions.
Cette fragilité est notamment liée à la conscience et à la perception que la personne vieillissante a d’elle-même, ainsi qu’au regard que les autres posent sur elle. Il faut aussi prendre en compte la perte progressive des capacités cognitives et motrices de la personne qui entraîne une vulnérabilité affective et une baisse du niveau d’autonomie au quotidien, sans oublier un risque de chute beaucoup plus important après une consommation d’alcool même modérée.
Enfin, les facteurs sociaux, émotionnels ou liés à la santé mentale des personnes sont tout aussi importants. Ils sont associés par exemple à la perte effective de liens significatifs, au sentiment d’ennui voire de perte d’utilité sociale qui peut envahir les personnes âgées à la retraite, leur donnant l’impression d’être une charge, réelle ou imaginée pour les autres, et résultant en une perte d’estime de soi. Les seniors sont également à risque d’être de plus en plus socialement isolés, notamment suite à un éloignement de la famille ou après le décès du ou de la conjoint·e, un phénomène qui explique en partie la prévalence importante de la dépression chez les personnes âgées.
La prise en charge des personnes âgées en difficulté avec les drogues exige avant tout que l’on réponde à leurs besoins spécifiques, mais elle présente aussi certains défis particuliers.
Les professionnel·les de la santé manquent par exemple d’instruments conçus spécifiquement pour les seniors, ce qui rend plus difficile l’identification des problèmes d’usage à risque ou de troubles liés à l’usage de substances (TUS), et ce d’autant plus que les personnes âgées sont moins susceptibles de considérer l’usage de substances comme problématique et donc de se tourner vers les services appropriés.
De plus, ces mêmes professionnel·les peuvent ne pas être formés à reconnaître les signes associés à ces problèmes ou bien les interpréter comme des symptômes résultant du vieillissement. Malgré tout, l’usage de drogues et les autres troubles addictifs des seniors est un problème qui va grandissant et qui requiert une compréhension fine des défis et des considérations uniques liées à cette étape de la vie. C’est la raison pour laquelle il faut s’assurer que la prise en charge réponde à ces défis.
La campagne « Ne laissons personne de côté » appelle les pouvoirs publics à investir davantage dans ce domaine
Il est notamment essentiel:
- D’investir dans la formation des prestataires de soins – ces derniers peuvent confondre les symptômes des TUS avec ceux d’autres maladies chroniques / changements naturels liés à l’âge;
- D’améliorer l’accès aux services via des changements en terme de prise en charge des soins par les assurances et de facilité d’accès pour des personnes souvent en perte d’autonomie;
- De rendre plus visibles les problématiques d’addiction et les usages problématiques chez les personnes âgées;
- De promouvoir une meilleure compréhension de l’addiction chez les seniors: les personnes âgées sont souvent réfractaires au traitement parce qu’elles sont stigmatisées du simple fait de faire usage de drogues et de ne pas assumer le rôle que l’on attend d’elles;
- De miser sur la recherche pour mettre au point des méthodes de dépistage ciblées sur les personnes âgées et des stratégies d’intervention plus efficaces et tenant compte de leurs spécificités;
- De mettre en oeuvre des traitements intégraux qui répondent aux problématiques sociales sans recourir à une prescription à outrance de médicaments. Les hypnotiques et les analgésiques opioïdes prescrits à tant de seniors ont un potentiel addictif très élevé. Il faut cesser de médicaliser les questions sociales comme la solitude, la pauvreté ou l’isolement social.
- Publié par Jean Marc Blanc sur Linkedin
- https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7217059487822561281/
Voir aussi les articles :
- Leave No One Behind – Ne laissons personne de côté, voir la nouvelle campagne de Dianova
- L’addiction chez les plus âgés: une réalité cachée, lire l’article de l’UNA
- https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7217059487822561281/
- https://www.dianova.org/fr/opinions/vieillir-avec-les-drogues-une-realite-cachee
Et en plus :
- Les personnes âgées, en particulier les femmes âgées de 65 ans et plus, font l’objet d’une surmédicalisation évidente
- Les troubles liés à l’utilisation de substances psychoactives sont plus susceptibles d’être confondus avec les changements liés à l’âge par des professionnels de la santé non formés
- L’addiction chez les personnes âgées est stigmatisée, ce qui entraîne des sentiments de honte et de culpabilité qui les empêchent de chercher de l’aide.