Des médecins solidaires se relaient chaque semaine à Ajain pour recevoir les patients (23)
Après deux années de vaines recherches pour un successeur au médecin parti à la retraite, Ajain a relevé le défi que lui lance Médecins solidaires. Chaque semaine, des généralistes volontaires, venus d’un peu partout en France, se succèdent pour exercer sur la commune. Et ça marche !
« Après 40 ans d’exercice, le médecin de la commune est parti à la retraite. Et cela faisait deux ans que nous cherchions en vain son remplaçant », raconte le maire d’Ajain dans la Creuse. « Présence dans les médias locaux et nationaux, au sein des instances des acteurs de la santé du territoire, diffusion d’un petit film vidéo, installation de panneaux aux entrées de ville, rien n’y a fait. Jusqu’à ce que le Docteur Martial Jardel nous contacte en avril 2022 pour expérimenter Médecins solidaires. » Originaire de Dorat, dans le département de la Haute-Vienne, le jeune médecin a imaginé ce dispositif à la suite de son tour de France, réalisé en 2021 en camping-car, afin de remplacer des généralistes ruraux pour qu’ils puissent souffler un peu. Lui est alors venue l’idée de proposer à des médecins volontaires d’exercer, à tour de rôle et durant une semaine, dans une commune rurale qui est dépourvue de médecin. Soutenu par l’association Bouge ton coq, il recherche une première commune prête à se lancer. Un collègue l’oriente vers la Creuse, puis l’Agence régionale de santé (ARS) de ce département vers Ajain. « Le conseil municipal a très vite décidé de relever le défi », se rappelle le maire.
Reste à trouver le cabinet de consultation. Le médecin sortant exerçant à son domicile, son cabinet n’était pas utilisable pour les nouveaux venus. « Nous avons opté pour la location d’un cabinet modulaire, pour 2 000 euros mensuels. Il a l’avantage de pouvoir être enlevé si jamais l’expérimentation ne donne pas les résultats escomptés », souligne l’édile. Néanmoins, les élus, comme les habitants, croient fermement à ce projet. Les réunions publiques, animées par Martial Jardel, font le plein et la Préfète du département défend ce projet, qu’elle qualifie de « raisonnablement utopique ». Tout va très vite. Cela crée même quelques frayeurs à l’équipe municipale qui doit terrasser une parcelle communale et y apporter tous les branchements en quelques semaines, puisque le cabinet ouvre en octobre 2022 et sera inauguré en février 2023. Un comité de pilotage composé de la Préfète, de la CPAM, de l’Ordre des médecins, de l’ARS, de la Région, du Département, de Martial Jardel, d’élus locaux, œuvre d’arrache-pied aux côtés de Gabriel du Passage, recruté par l’association Médecins solidaires pour lancer le dispositif à l’échelle nationale.
La répartition des rôles et des charges est bien clarifiée par convention. La municipalité aménage le local d’accueil, mis gracieusement à disposition des médecins volontaires. Elle achète le mobilier et le matériel informatique (90 000 euros d’investissement au total, financés à hauteur de 80 % par l’État et la Région) et prend en charge les factures d’eau, d’électricité, d’entretien et de ménage. L’association Médecins solidaires, opératrice du centre de santé, s’occupe de tout l’aspect humain. Elle mobilise les premiers médecins en communiquant au sein des réseaux et médias professionnels et recrute les deux coordinatrices administratives, chargées sur place du planning des médecins et de l’accueil des patients. L’association signe un contrat à durée déterminée (CDD) court avec chacun des médecins et prend en charge leurs frais de route entre leur domicile et Ajain, l’hébergement dans un gîte tout confort proche et, si besoin, un véhicule de location. Tous ces frais sont financés grâce à la rémunération issue des consultations et aux aides de l’État et de l’ARS dédiées aux centres de santé. Dans ce cabinet, qui remplit la fonction de médecin traitant, tout est mis en œuvre pour assurer la continuité de soins des patients. Les médecins se joignent avant de prendre et de quitter leur poste, saisissent numériquement toutes les données utiles à leurs successeurs et s’appuient sur les deux coordinatrices, indispensables maillons de la transmission d’informations.
Une vingtaine de médecins s’inscrivent avant même l’ouverture du cabinet. « Ils viennent de toute la France, de Paris, Lille, Haute-Savoie et même d’Ajaccio », commente Gabriel du Passage, « cela peut être des jeunes remplaçants, des retraités, des médecins installés qui peuvent se faire remplacer ou encore des médecins hospitaliers… ». Au bout de trois mois, une quinzaine de médecins y avait déjà exercé et le planning des remplacements se remplissait pour les six mois suivants. « Certains d’entre eux sont déjà revenus ou comptent renouveler leurs séjours, se félicite le maire. Ils viennent par conviction et solidarité. Ils en profitent pour découvrir notre territoire. Je ne cache pas qu’à terme, ce serait l’idéal que l’un d’eux s’installe. » Côté patients, les retours sont plus que positifs. Bientôt, le cabinet déménagera au sein de l’Ehpad de la commune, qui dispose de suffisamment de place depuis peu. « Les médecins solidaires, pour l’instant seuls chaque semaine, sont déjà très pris. Nous allons donc prévoir de la place pour deux professionnels. »
Le dispositif Médecins solidaires
L’association Bouge ton coq, connue pour son accompagnement d’épiceries citoyennes, a donné les moyens au docteur Martial Jardel de mettre en œuvre Médecins solidaires. Les fondateurs de l’association Médecins solidaires estiment à 80 000 le nombre de généralistes mobilisables. 10 % d’entre eux suffiraient à animer 150 centres solidaires.
Publié le 13 mai 2024 dans la banque des territoires
par Lucile VilbouxCreuse