La loi "bien-vieillir" définitivement adoptée, sans promesse d'une loi "grand âge"
Lors d'un ultime vote au Sénat, le Parlement a définitivement adopté mercredi 27 mars au soir la proposition de loi pour le "bien-vieillir", sans masquer ses inquiétudes sur l'avenir du secteur de l'autonomie, toujours privé d'une loi de programmation financière sur le grand âge pourtant promise de longue date.
La proposition de loi portant "mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l'autonomie" est arrivée au bout d'un long chemin parlementaire : après l'Assemblée nationale la semaine passée, le Sénat a approuvé très largement, malgré l'abstention des socialistes et des écologistes et l'opposition des communistes, les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP).
Mais le soutien apporté à ce texte est loin d'être un blanc-seing. Sur tous les bancs, l'impatience a gagné les parlementaires qui craignent de voir l'exécutif en rester à cette loi jugée insuffisante. "C'est un texte d'attente", a confirmé le sénateur Les Républicains Jean Sol, exhortant le gouvernement à "donner aux acteurs une visibilité concrète sur les moyens qui seront mis en oeuvre" à l'avenir. Pour beaucoup en effet, le défi du vieillissement de la population appelle d'autres véhicules législatifs beaucoup plus ambitieux : en premier lieu une loi de programmation pluriannuelle sur le grand âge.
"Personne, ni moi, ni l'ensemble du gouvernement n'a jamais considéré l'adoption de cette proposition de loi comme solde de tout compte", a assuré la ministre déléguée aux Personnes âgées, Fadila Khattabi, devant les sénateurs, promettant d'en "débattre" et "d'en tirer toutes les conséquences nécessaires, y compris, bien sûr, dans la loi". Une réponse jugée trop floue par les oppositions, alors que la promesse d'une grande loi sur l'autonomie remonte au premier quinquennat d'Emmanuel Macron. L'ex-Première ministre Elisabeth Borne avait même annoncé un texte d'ici l'été 2024, mais cet engagement semble désormais caduc.
Dans un contexte budgétaire extrêmement tendu, l'heure semble en effet à la retenue. "On n'ira pas directement sur une loi grand âge", confirmait récemment une source ministérielle. Un article de la PPL "bien-vieillir" impose toutefois au gouvernement de présenter une loi de programmation pluriannuelle "tous les cinq ans", avec une première mouture exigée "avant le 31 décembre 2024"...
Neuf chefs de groupes parlementaires, dont le président du groupe LR au Sénat Bruno Retailleau, ont également demandé la semaine dernière dans une lettre ouverte à Gabriel Attal un "engagement solennel, associé à un calendrier précis, concernant le dépôt et l'examen de ce projet de loi relatif au grand âge". Sans réponse claire à ce stade.
En attendant, le secteur de l'autonomie bénéficiera des diverses mesures contenues dans cette proposition de loi, comme la création d'une carte professionnelle pour faciliter la reconnaissance du travail des intervenants à domicile, ou la sanctuarisation du droit de visite dans les Ehpad. Surtout, le texte prévoit la création d'un service départemental de l'autonomie, un "guichet unique" pour "décloisonner" les politiques en faveur des personnes âgées et en situation de handicap, et instaure une instance départementale de signalement des cas de maltraitance. Localtis y reviendra plus en détail après la publication de la loi.
Publié le 28 mars 2024 par AFP - Santé, médico-social, vieillissement, Social-
Et pour aller plus loin, mieux comprendre le contexte du débat actuel…
La loi « grand âge et autonomie », l’arlésienne depuis plus de 20 ans…
En 1979, c’est le rapport Arreckx « l’amélioration de la qualité de vie des personnes âgées dépendantes » qui, le premier, va parler d’une assurance dépendance Sécurité Sociale.
A partir de 1989, plusieurs projets de loi déposés par les sénateurs visent à créer une allocation spécifique dépendance distincte de l’Allocation Compensatrice de Tierce Personne,…
La mise en place en 1994 d’une prestation d’autonomie Sécurité Sociale sera abandonnée à cause du déficit de la Sécurité Sociale. On expérimentera à la place, à partir de janvier 1995, la Prestation Expérimentale Dépendance (PED) avec l’aide de l’outil AGGIR (Autonomie Gérontologique. Groupes Iso-Ressources). En définitive après d’« interminables mésaventures », la Prestation Spécifique Dépendance (PSD) qui remplace l’ACTP pour les plus de soixante ans, sera promulguée le 24 janvier 1996. Cette prestation réservée aux personnes classées en GIR 1 à 3 est soumise à récupération sur succession. …A la suite de la publication du livre noir sur la PSD (1998) et du livre blanc pour une prestation d’autonomie (1999), le gouvernement rouvrira le débat puisque la loi créant la PSD était une loi d’attente…La loi promulguant l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA), votée le 21 juillet 2001 pour s’appliquer en Janvier 2002, restera discriminatoire par rapport à l’âge
Et puis arrive la canicule d’Août 2003 et ses14 802 décès supplémentaires (chiffrage Inserm) dont 2/3 de personnes de plus de 75 ans. Le rapport de Jean Marie Palach « Vieillissement et solidarités » d’Octobre 2003 …, repose la question de la création d’un cinquième risque Sécurité sociale qui est écartée par le plan Raffarin en novembre 2003.
En 2004, un rapport[1] de Maurice Bonnet pour le compte du Conseil Economique et Social rappelle cette nécessité d’une prise en charge collective quelque soit leur âge des personnes en situation de handicap
Le 30 juin 2004 est créée la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA), qui doit gérer conjointement les fonds en direction des structures et services pour les personnes handicapées et des structures et services pour les personnes âgées « dépendantes » et, de plus, veiller à l’équité entre les prestations délivrées par les différents départements. Il y a là toute une période de mise dans le même sac Handicap et viellissement !!
Promulguée le 11 février 2005, la loi pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », avec effet au 1er Janvier 2006, met en place la Prestation de Compensation du Handicap (PCH) la suppression de la barrière d’âge des 60 ans ne sera jamais mise en place…
En 2006, la CNSA dans son rapport pose la question du cinquième risque : « avec ambition penser un cinquième risque » : soixante ans après la création d’une solidarité publique face au risque maladie, il s’agit de reconstruire une solidarité pourcompenser la perte d’autonomie et assurer l’accompagnement qui s’impose en certaines circonstances de la vie» [2]
Toujours en 2006, le rapport sur la « dépendance » de[3] Hélène Gisserot, remis le 20 mars 2007 remet en question le rapprochement entre handicap et dépendance « une confusion qui n’est ni souhaitée ni souhaitable » et avance des « éléments objectifs de différenciation » avec modes de financement différents suivant les risques et notamment la mise en œuvre de « la responsabilité individuelle »dans le cas de la « dépendance ».
En 2007, la promesse de campagne du candidat Nicolas Sarkozy est : « je créerai une cinquième branche de la protectionsociale pour consacrer suffisamment de moyens à la perte d’autonomie et garantir à tous les français qu’ils pourront rester à domicile s’ils le souhaitent »[4] , En 2007 CNSA, dans son avis du 16 octobre 2007 sur le cinquième risque propose des pistes conformes à la loi de 2005 : « vers un nouveau champ de protection sociale d’aide à l’autonomie » avec « la création d’un droituniversel à une compensation personnalisée pour l’autonomie ». Dans son rapport annuel 2007, la CNSA propose « un changement de regard sur les situations de handicap. La société reconnait que même une personne souffrant de fortes incapacités a des projets quelque soit son âge et s’efforce de vivre normalement »[5]
En 2008, le gouvernement envisage de créer un cinquième risque de « protection sociale », terme repris dans les grandes orientations présentées par Xavier Bertrand, devant la CNSA, le 28 mai 2008 « permettre à l’ensemble des personnes en situation de perte d’autonomie de rester à domicile dans toute la mesure du possible par la mise en œuvre d’un droit universel à un plan personnalisé de compensation, augmenter le nombre de places en établissements médicalisés et alléger le reste à charge des familles
Mais le rapport Vasselle, du 8 en juillet 2008 propose de « construire le cinquième risque »[6], et ne parle plus que des personnes âgées dépendantes et en aucun cas des personnes handicapées ; les arguments cachent surtout des difficultés de financements la (il faudrait environ huit milliards d’euros selon ce rapport pour aligner l’APA sur la PCH) …. On envisage une prise en compte du patrimoine des personnes âgées pour l’attribution de l’APA à domicile, et préconise d’inciter à souscrire des contrats de prévoyance pour couverture du risque dépendance. Xavier Bertrand quitte son poste le 13 janvier 2009 sans déposer de projet de loi.
Le 31 décembre, le président de la république mentionne trois chantiers pour 2010 et notamment « relever le défi de la dépendance qui sera dans les décennies à venir l’un des problèmes les plus douloureux auxquels nos familles seront confrontées « du 16 novembre 2010 : « je souhaite, je prends mes responsabilités, la création, pour la première fois depuis la Libération, d’un nouveau risque, d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale, le cinquième risque (…) donc nous allons organiser une grande consultation qui va durer six mois avec les conseils généraux qui sont une partie des financeurs de l’APA, avec les associations de personnes âgées , avec les forces syndicales, pour voir comment nous pouvons faire face au déficit de financement qui est colossal, puisque c’est 4% de dépenses en plus par an alors que les recettes n’augmentent que de 2% par an . On a une impasse financière considérable. Nous prendrons les décisions à l’été 2011 à la suite de ce grand débat, çà pose des sujets très difficiles »[7]
Le 15 décembre 2010, l’organisation du débat national sur la dépendance annoncée par le président Les quatre commissions nationales mises en place en février donnent un document de synthèse[8]. Il y a eu aussi plusieurs rapports, commandes du gouvernement au Conseil Economique Social et Environnemental (CESE), au Haut Conseil sur l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM), au Centre d’Analyse Stratégique (CAS), au Haut Conseil de la Famille (HCF) et celui relatif à la prévention de la dépendance[9]….
Que retenir de la synthèse de ces débats ? D’abord la mise en avant de la forte croissance à venir du nombre de personnes dépendantes, mais, des prévisions de dépenses modérées, Ces conclusions étaient déjà celles du rapport Gisserot en 2007, mais la pertinence des projections faites sur l’espérance de vie et l’espérance de vie sans incapacité au-delà des années 2030 est contestée par certains experts…..
Le 24 août 2011, le premier ministre déclarait : « traiter ce dossier dans le contexte économique et financier que nous connaissons aujourd’hui, dans l’urgence, ne serait pas responsable » ?. on pourrait conclure que « La non-décision politique comme politique de la dépendance , la réforme attendra des jours meilleurs »
Avec François Hollande, en 2012, … plus question de ce cinquième risque, Juste le vote de la loi d’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015 loi qui, à nouveau, spécifie et donc ségrége les « personnes âgées » et dit que la société doit s’adapter à ce vieillissement. L’augmentation « prévisionnelle » des personnes âgées dépendantes serait un coût économique insupportable selon certains économistes[10].
En 2017, le candidat Emmanuel Macron ne parle pas de « cinquième risque » dans son programme, mais il insiste … sur le maintien à domicile. En 2018, au congrès de la Mutualité française, il annonce une loi encadrant la réforme de la prise en charge de la dépendance pour 2019. Agnès Buzin, met en place la concertation « grand âge et autonomie » qui débouche sur le rapport Libault [11] en mars 2019 …et annonce que la loi « grand âge et autonomie » sera prête pour être votée en 2020.
Le 7 août 2020 , à la surprise générale, en pleine crise sanitaire du Covid, la loi n°2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie crée, une nouvelle branche de Sécurité sociale dénommée « Autonomie » dont la gestion est confiée à la Caisse nationale de Solidarité pour l’Autonomie, avec comme objectif « la prise en charge contre le risque de perte d’autonomie et la nécessité d’un soutien à l’autonomie sont assurées à chacun , indépendamment de son âge et de son état de santé » (article 5).
Mais, curieusement, malgré cette loi, dés mars 2021, il semble acquis qu’il n’y aura pas de loi grand âge.
Pour sa réélection en 2022, Emmanuel Macron souhaite à nouveau favoriser le maintien à domicile des personnes âgées et éviter leur départ dans un établissement spécialisé. Le 15 décembre 2022, est déposé un projet de loi portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l'autonomie. Il est adopté par l’Assemblée Nationale le 19 mars 2024. On ne parle plus de loi sur le grand âge…et l’engagement d’une loi pluri-annelle promise par Élisabeth Borne ne sera pas…
. On peut personnellement s’en féliciter pour deux raisons : D’abord une loi sur le grand âge renforcerait l’âgisme envers la catégorie des personnes de « grand âge » , âgisme à éviter au nom de ce que disait le rapport de la députée macroniste Audrey Dufeu -Schubert, selon laquelle une telle catégorisation de ces personnes qui suppose une « homogénéité sociale » dans ce groupe « est une construction sociale « homogénéisante » qu’il importe de déconstruire pour que chacun puisse y trouver une place à sa mesure »[12].
Deuxième objection contre cette loi grand âge , ses objectifs sont précisément ceux qui ont été dévolus à la CNSA dans sa gestion de la nouvelle branche Autonomie, par l’article L223-5 du code de la Sécurité Sociale (loi n°2022-1616 du 23 décembre 2022) , objectifs largement décrits en 7 alinéas… pour ces deux raisons , il nous semble qu’une loi Autonomie et son financement est d’abord du ressort de la Branche Autonomie de Sécurité Sociale , loi à faire valider, bien sûr, au niveau de son financement par la représentation parlementaire
[1] Conseil Economique et Social (2004). Pour une prise en charge collective, quelque soit leur âge, des personnes en situation de handicap, Paris, Editions des journaux officiels.
[2] CNSA, Rapport annuel 2006, p. 77, www.cnsa.fr.
[3] GISSEROT H. (2007). Perspectives financières de la dépendance des personnes âgées à l’horizon 2025 : prévisions et marges de choix, Rapport à Monsieur Philippe Bas, ministre délégué à la Sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.
[4] Lettre de Nicolas Sarkozy, président de l'UMP et candidat à l'élection présidentielle, adressée aux Français pour leur présenter son programme électoral, le 29 mars 2007.
[5] CNSA, Rapport annuel 2007, p. 52, www.cnsa.fr.
[6] VASSELLE A. (2008). Construire le cinquième risque : le rapport d’étape, les rapports du Sénat, n° 447.
[7] Interview télévisé de Nicolas Sarkozy du 16 novembre 2010 sur TF1 et FR2, www. depute-mallie.com.
[8] Synthèse du débat national sur la dépendance, Axel Rahola, rapporteur du comité interministériel de la dépendance, juin 2011.
[9] Mission au profit du président de la république relative à la prévention de la dépendance. Rapport présenté par monsieur André Trillard, sénateur de Loire Atlantique, juin 2011.
[10] Lorenzi J-H, Xuan H.(2013) , La France face au vieillissement , le grand défi, Paris , Descartes et Cie
[11] Libault D. (2019). Grand âge et Autonomie, 29 mars
[12] Dufeu-Schubert A. (2019). Réussir la transition démographique et lutter contre l’âgisme, p.4