Génération sandwich : les aidants
Prises en étau entre les besoins de leurs jeunes enfants et ceux de leurs parents dépendants, ces femmes courent de l’école au travail, à l’hôpital ou à la maison de retraite. Carla se sent submergée. Anne est allée jusqu’à l’épuisement. Par Anna Benjamin sur France Culture.
La "génération sandwich" : c’est l’expression forgée par la chercheuse américaine Dorothy Miller pour désigner ces quadragénaires et quinquagénaires, majoritairement des femmes, contraints de prendre soin d’un parent à la santé dégradée, alors qu’ils ont encore de jeunes enfants à charge. Des actifs qui partagent leur temps entre leur travail, le soin de leurs aînés et de leurs enfants, sans en garder pour eux.
Vieillissement de la population, report de l’âge où l’on fait des enfants et où ils quittent le foyer : plusieurs facteurs contribuent au développement de cette nouvelle catégorie d’aidants.
D’après les chiffres du Baromètre des aidants cités par le Monde, 5,6 millions de Français aident un parent au quotidien. Aux États-Unis, les chiffres sont plus précis et établissent qu’un quart des quadras américains ont un parent âgé de 65 ans ou plus et un enfant à charge.
Les failles de la prise en charge par l'État des personnes âgées dépendantes pénalisent d’abord les femmes et les plus modestes qui consacrent leur temps à aider leurs proches, au détriment de leur travail et de leur santé.
C’est le cas d'Anne et Carla, femmes courage qui racontent dans cet épisode jusqu’où ces situations intenables peuvent mener.
Pas juste sandwich, mais double burger
Anne a 46 ans, une bonne situation professionnelle, et deux enfants dont un en bas âge. En juin 2016, elle découvre que sa mère est atteinte d'une paralysie supranucléaire progressive, une maladie neurodégénérative incurable. "Je n'ai pas compris tout de suite que j'allais être aidante." La maladie se développant assez rapidement, Anne commence alors sa vie d'aidante. Travaillant à Paris et sa mère à Bordeaux, il a fallu s'organiser. D'abord à temps partiel entre Paris et Bordeaux, où elle demande à la mère de sa mère (95 ans) de cohabiter avec sa mère malade.
Devant les nombreuses complications dues au grand âge de sa grand-mère et à l'invalidité de sa mère, elle finit par s'installer définitivement à Bordeaux. "Il y avait des aides à domicile 2 à 3 fois par jour, sept jours dans la semaine, qui, du coup, se relayaient aussi pour ma grand-mère. Il y avait 14 intervenants."
Une vraie course au rythme effréné à laquelle s'ajoutent des sollicitations de ses enfants et d'autres, de plus en plus pressantes, venant de son employeur, il n'en fallait pas plus pour que le corps d'Anne lâche. "Tout lâche en fait. C'est-à-dire que j'ai mal partout, j'ai des maux de tête, je n'arrive plus à dormir". Sa mère se fait alors intégrer dans un établissement spécialisé. "Je me disais, au moins, comme j'ai moins de logistique à gérer, au moins, les derniers moments, ce seraient des bons moments."
"Moi, par contre, je vais parler de ma vieillesse avec mes enfants. [...] qu'on en discute et quelles sont vos limites à vous aussi, à un moment donné, jusqu'où vous pourrez aller pour être avec moi ou pas. Mais en tout cas, qu'on soit au clair là-dessus et que ce soit un vrai échange."
En quête de légèreté
Carla, 40 ans, vit en Haute-Savoie et a façonné sa vie autour de la maladie de son père, atteint de sclérose en plaques. En tant que fille unique, elle a très tôt endossé le rôle complexe d'aidante. Pas étonnant qu'elle ait orienté sa carrière vers le social. "Ma vie a été bercée par la maladie, dans le choix de ne pas créer d'autres soucis à mes parents."
Son parcours a pris une tournure plus difficile avec le diagnostic du cancer rare de son père. L'aidante principale était sa mère, mais naturellement, elle est devenue "l'aidante de l'aidante". Après le décès de son père, il a fallu prendre soin de sa mère, tombée dans la déprime. Jusqu'au jour à sa mère déclare un cancer métastasé. "Là, j'ai vraiment ressenti le poids des responsabilités en tant que fille unique face à un cancer très grave. Et là, j'ai eu peur."
Son quotidien d'aidante a fatalement des répercussions sur sa vie familiale, nécessitant une autonomie inattendue de ses filles. Malgré la fatigue, elle trouve un soutien inattendu au travail, où ses responsables adaptent son emploi du temps à ses besoins.
Cependant, la fatigue et les multiples responsabilités laissent des marques sur Carla, qui ressent une diminution de ses performances et de son bien-être émotionnel. "Je sens qu'il y a des moments où j'ai besoin de légèreté, d'arrêter de penser, d'arrêter de me soucier, d'arriver à plaisanter, à utiliser l'humour que je ne sais pas utiliser."
La plume qui s'envole et qui est portée légèrement par le vent, celle-ci, j'ai l'impression qu'elle ne décolle pas en fait. Parce qu'elle est collée."
Émission de France culture du 12 janvier 2024 : Reportage : Anna Benjamin ; Réalisation : Somaya Dabbech
Pour aller plus loin :
"L’épuisement de la 'génération sandwich', ces Français pris entre leurs parents vieillissants et leurs jeunes enfants", Le Monde, 8 mai 2023
"Qu'est-ce que la génération 'sandwich' ?", RTL, 24 mai 2023
"Prise en étau entre ses enfants et ses propres parents, la 'génération sandwich' est surbookée", Le Temps, 27 août 2023