Les femmes quinquas se rebiffent : des initiatives pour changer les mentalités
A partir de 50 ans, les femmes subissent, notamment sur le plan professionnel, une double discrimination liée au sexe et à l’âge, souvent renforcée par les stéréotypes véhiculés par la publicité ou la mode.
Plus d’une femme adulte sur deux, en France, est âgée de plus de 50 ans – soit presque 15 millions de femmes en 2023, selon les données de l’Insee. Difficile à croire, tant les « quinquas » sont les grandes oubliées des publicités, films, séries ou encore des comités de direction au sein des entreprises… En cause, un phénomène de double discrimination : le sexisme et l’âgisme. Pour redonner de la visibilité à ce que les Anglos-Saxons nomment sobrement middle life, des femmes ont choisi de prendre ou de donner la parole sur le sujet :
* Un podcast sur le monde des femmes « seniors » au travail
C’est après sa rencontre avec une femme surqualifiée et injustement boudée par les recruteurs que Claire Flury, dynamique retraitée diplômée de HEC, a créé son podcast « Plaff » pour faire entendre les discriminations à l’emploi subies par les femmes dites « seniors ». « Brusquement, à l’approche de la cinquantaine, elles disparaissent totalement des radars, s’offusque-t-elle. Le plus sidérant, c’est de voir le fossé persistant entre la réalité et les clichés. A commencer par les recruteurs qui, faute de formation, éliminent d’office de précieuses candidatures. »
Dans l’un des épisodes de « Plaff », intitulé « Les entreprises ne veulent pas de nous », Claire Flury interroge des femmes qui font part de leur stupeur face aux difficultés rencontrées pour retrouver un emploi. « En cause, les multiples stéréotypes auxquels elles sont d’emblée confrontées : trop chères, pas assez ou trop qualifiées, peu agiles, vieillottes, larguées… Pas étonnant que 71 % d’entre elles se retrouvent en temps partiel subi à partir de 50 ans, fait-elle remarquer. Heureusement, elles sont de plus en plus nombreuses à refuser cette obsolescence programmée. » « Plaff » : Plaffpodcast.fr
* Des parodies de publicités et d’images de mode
Sandrine Alouf, artiste, galeriste à Paris et fondatrice du collectif C’est pas demain la vieille, a opté pour une contestation joyeuse et créative. Elle raconte la genèse de son projet : « Un publicitaire à qui je demandais pourquoi les réclames pour les crèmes antirides ne castaient que de très jeunes femmes m’a rétorqué, sans une once de second degré : “Parce qu’une femme, après 50 ans, n’est pas séduisante !” » La colère passée, Sandrine Alouf se dit que la meilleure riposte est l’humour. Elle tire le portrait de femmes de 50 ans et plus en parodiant des images des univers de la mode, de la publicité ou du cinéma – de la trilogie du Parrain, de Francis Ford Coppola, ou de l’actrice Sharon Stone, par exemple.
Un travail décalé et drôle. « C’est ma manière de montrer que non seulement vieillir fait partie de la vie, mais que c’est une chance inouïe. J’ai posté les premières images sur Instagram, et j’ai reçu une avalanche de courrier de femmes souhaitant participer au projet… » Depuis, une soixantaine de quinquas se sont déjà prêtées au jeu. Dans le même esprit, Sandrine Alouf planche sur un calendrier parodique des Jeux olympiques, commandé par la ville des Ulis (Essonne), en lien avec son nouveau projet Ag(e)itez-vous ! qui prône le mouvement à tous les âges de la vie. C’est pas demain la vieille : compte @cestpasdemainlavieille sur Instagram
Sophie Dancourt a été l’une des premières à s’attaquer à l’âgisme en créant, fin 2016, le média féministe J’ai piscine avec Simone, un site d’actualité qui donne de la visibilité aux femmes de plus de 50 ans. Elle est aussi l’autrice du récent ouvrage Vieille, c’est à quelle heure ? ! (Leduc, 2022), en lien avec une série de podcasts qui croise des regards de femmes – psychologues, sociologues, directrices des ressources humaines, entrepreneuses, etc. – engagées. Celle qui se définit volontiers comme une « activiste du vieillissement » voit aussi dans ce travail un moyen de se débarrasser d’injonctions. « Je pense notamment au toxique “vieillir avec grâce”, qui implique tacitement de suivre les codes du jeunisme pour ne pas se retrouver périmée. Pour moi, le nerf de la guerre passe par une meilleure éducation aux valeurs de l’âge, une représentation plus fine des générations dites seniors et, enfin, des lois qui obligent les entreprises à prendre leur part de responsabilité. « J’ai piscine avec Simone » : Jaipiscineavecsimone.com
C’est nourrie de cette même frustration mâtinée d’agacement que la Londonienne Jacynth Bassett, pro-active en dépit de son jeune âge (31 ans !), a lancé, en 2016, le mouvement Ageism Is Never in Style(« l’âgisme n’est jamais à la mode ») simultanément sur sa boutique de mode féminine en ligne Bias Cut et sur ses réseaux sociaux. Sa plate-forme offre à celles qui le souhaitent d’échanger au sein d’une communauté, relaie articles et informations, et propose du conseil aux entreprises.
En juin, Jacynth Bassett a lancé une nouvelle campagne, avec le mot d’ordre #Ilookmyage (« je fais mon âge »), relayée par des milliers de femmes de 50 ans et plus qui, de Paris à Bombay en passant par Sydney, Rio et Tel-Aviv, publient leur portrait sans filtre, assorti d’une courte bio, sur les réseaux sociaux. Forte de ses 43 millions de vues, sa campagne dément, au passage, la prétendue déconnexion des plus de 50 ans.
« Lorsque j’ai démarré Ageism Is Never in Style, il y a sept ans, le sujet était encore assez confidentiel, mais il me tenait à cœur, raconte Jacynth Bassett. Le fait d’avoir vu ma mère être mise à l’écart, invisibilisée, m’a paru injuste, violent et, surtout, totalement déconnecté de la réalité. » La jeune femme décide donc de créer une communauté pour redonner fierté et confiance aux 50 ans et plus. « Le but, c’est aussi d’encourager les choix individuels, y compris futiles – se teindre ou non les cheveux – en faisant évoluer les mentalités pour que chacune puisse vivre librement la manière dont elle a envie de vieillir. Bien sûr, le chemin est encore long, mais voir de plus en plus de femmes assumer leur âge et d’autres, bien plus jeunes, s’emparer du sujet me rend optimiste. »
L’entrepreneuse britannique s’est aussi associée à la fondation basée à Londres Center for Ageing Betterpour offrir la première banque d’images des plus de 50 ans, aux antipodes des représentations formatées. A destination des entreprises, des journalistes, des organisations et des particuliers, cet outil pourrait bien redonner de la visibilité, au sens propre, à une population si chichement représentée.
Marie Sophie Boivin, publié dans le Monde du 15 octobre 2023