Vieillir : l’âge est-il un bon repère ?
La nouvelle réforme des retraites a provoqué des débats houleux dans tout le pays depuis de longues semaines et une même formule est revenue comme un mantra : « les chiffres le disent : la population vieillit ». Et c’est vrai.
L’espérance de vie à la naissance a quasiment doublé au cours du XXe siècle et s’accroît toujours de manière continue. L’espérance de vie à la naissance, à 1 an, à 20 ans, à 40 ans, ou à 60 ans a même augmenté de quelques mois depuis 10 ans. L’espérance de vie sans incapacité, c’est-à-dire sans être limité dans la vie quotidienne, augmente parallèlement à celle de l’espérance de vie.
La récente étude publiée par la Drees l’atteste, les années de vie gagnées le sont surtout en bonne santé. La longévité maximale(durée de vie maximale jamais observée) semble également avoir atteint un plateau élevé. Depuis les années 1990, l’âge de décès de ceux qu’on appelle désormais les super-centenaires s’est stabilisé aux alentours de 110 ans.
Mais, que nous disent réellement ces chiffres ? Et pourquoi renvoyer à tel ou tel indicateur ? Il est certes nécessaire de comprendre ce qu’ils sous-tendent, mais aussi de ne pas penser uniquement le vieillissement à partir de l’âge chronologique. Ce repère ne peut décrire l’hétérogénéité des situations vécues. En reposant sur la seule référence chronologique, le discours se rend perméable à des interprétations biaisées et perd de sa valeur.
Repenser le vieillissement
La crise Covid l’a rappelé, utiliser l’âge chronologique comme seul critère est une simplification qui s’appuie sur des représentations stéréotypées. L’âge avait alors pu être utilisé comme critère de sélection des bénéficiaires de soins urgents, établissant une rupture avec le principe d’équité pour l’accès aux soins.
En France, ces stéréotypes âgistes auraient pour partie été favorisés par la construction d’une représentation négative de la vieillesse associée aux régimes des retraites (à partir de la loi de 1905, première grande loi sociale à s’intéresser aux « vieux »). Simone de Beauvoir le soulignait déjà en 1970 dans La Vieillesse :
« Ce qui caractérise l’attitude pratique de l’adulte à l’égard des vieillards, c’est sa duplicité. Il se plie jusqu’à un certain point à la morale officielle que nous avons vu s’imposer dans les derniers siècles et qui lui enjoint de les respecter. Mais il a intérêt à les traiter en êtres inférieurs et à les convaincre de leur déchéance. » (les comportements de discrimination à l’égard des plus âgés étant supposément destinés à favoriser une relation d’autorité de la part des adultes plus jeunes.)
Depuis, la recherche sur les stéréotypes âgistes a montré qu’ils peuvent être intégrés dès le plus jeune âge, pour exister tout au long de la vie, y compris à un âge avancé. On sera toujours le vieux de quelqu’un, quel que soit son âge. Or, l’âgisme a des conséquences majeures sur l’accès à l’emploi ou sur la santé. L’Organisation mondiale de la santé estime notamment que 6,3 millions de cas de dépression dans le monde sont dus à l’âgisme.
Sortir d’une vision purement décliniste
Les recherches menées en gérontologie apportent des connaissances désormais solides et utiles pour adopter un positionnement plus éclairé sur ces questions.
Depuis les travaux de Foster et Taylor (1920), on sait que les résultats aux tests d’intelligence déclinent avec l’avancée en âge. Pourtant, garder cette perspective décliniste n’est pas juste. On considère en effet aujourd’hui qu’il existe un profil différentiel du vieillissement cognitif : les compétences de raisonnement déclinent plus précocement et plus rapidement que les connaissances verbales. Les situations qui demandent de traiter rapidement plusieurs informations de manière simultanée sont celles qui sont le plus affectées par le vieillissement, contrairement à celles qui s’appuient sur les connaissances et les compétences issues de l’expérience, qui sont bien préservées. Un suivi longitudinal mené pendant 35 ans – à partir de 1956 – auprès d’un échantillon d’environ 2 500 personnes à Seattle (États-Unis) a également montré que l’avancée en âge se traduit par une augmentation des différences entre les individus. Vieillir c’est devenir différent les uns des autres.
Publié par The Conversation, le 19 mars 2023,