Sur Instagram, des ridées de génie
Massivement suivies, les « silver influenceuses » assument rides et cheveux gris en mettant en avant de façon décomplexée leur âge avancé.
92 ans, toutes ses dents et 211 000 abonnés sur Instagram ! L’Italienne , qui a baptisé son compte certifié « Buongiorno Nonna» («Bonjour, grand-mère», en français), se présente comme «un mannequin et une influenceuse par accident». Et ses 266 publications ont de quoi faire changer les regards sur le troisième âge. Depuis quatre ans, Licia Fertz est ce qu’on appelle une « silver influenceuse » (« influenceuse aux cheveux gris»), phénomène qui désigne les adeptes des réseaux sociaux, âgés de 60 à 90 ans, qui vante produits bien-être, mode, food, entre autres activités quotidiennes.
Epinglées sur son profil, trois photos donnent le ton. La première est la couverture d’un magazine féminin italien Donna Moderna où elle pose, sourire aux lèvres, cheveux au vent et habillée de couleurs qui pétaradent. Sur la deuxième, elle s’allume une cigarette, à l’aide des bougies du gâteau d’anniversaire de ses 92 ans. Enfin, place à la Licia mannequin : on la voit vêtue d’un kimono lui tombant sur les bras, laissant entrevoir sa poitrine. En légende de cette dernière, un texte, au ton féministe, appelant à célébrer la vie : « Je ne me suis jamais souciée de ce que les autres disaient de moi, car je me suis toujours regardée dans le miroir en souriant. Je m’aime bien. Et cela, même avec mes rides. Comme le disait Anna Magnani : “Ne retouchez pas mes rides. Il m’a fallu du temps pour les obtenir.” » Autres mantras de la Nonna de 92 ans qui a même eu droit à son livre (1), non publié en France : « La vieillesse n’est pas une maladie et la beauté des femmes n’est pas périssable.»
Lutte contre l’âgisme
Aussi, Licia Fertz se tient vent debout contre l’âgisme, terme qui désigne la discrimination envers les personnes âgées. «Au début, tout cela était une petite blague, a-t-elle expliqué dans le talk-show italien Morning News en août 2022. Lorsque mon mari est décédé, je me suis renfermée sur moi-même. Je pensais que j’étais un fardeau pour ma famille mais aussi pour la société. Mon neveu s’en est rendu compte et a voulu m’aider à revivre en m’aidant à me lancer sur Instagram », explique celle qui s’affiche en culotte et torse nu, les mains sur les seins ou alors avec des feuilles de marijuana sur les yeux. Sans compter les posts issus de partenariats rémunérés.
La dame est loin d’être la seule « silver influenceuse» à envoyer du rêve. Citons Helen Ruth Elam, surnommée «Baddiewinkle» qui est suivie, à 94 ans, par plus de 3 millions de personnes sur Instagram. Elle y documente, depuis 2014, chaque instant de son quotidien à Los Angeles. Au menu, tenues affriolantes (et parfois carrément osées) et sessions de maquillage un brin loufoques. A l’instar de l’Italienne Licia Fertz, Helen Ruth Elam lutte contre l’âgisme et se positionne notamment pour la légalisation de la marijuana. Et que dire de Lyn Slater (@iconaccidental), cette professeure d’université new-yorkaise propulsée au rang de fashionista à 66 ans ?
Renversement des clichés
Outre les influenceuses, les « silver » personnalités ne sont pas en reste sur Instagram, telle l’architecte et icône de mode Iris Apfel (2,5 millions d’abonnés), âgée de 101 ans. Mannequin afro-américain à la longue chevelure grise, Joani Johnson a, elle, posé en 2019 pour la ligne de cosmétiques de Rihanna, Fenty, lorsqu’elle était âgée de 68 ans. La femme d’affaires, diététicienne et mannequin Maye Musk, mère d’Elon, est pour sa part suivie, à 74 ans, par plus de 900 000 personnes. En France, Sophie Fontanel, l’écrivaine et journaliste de 60 ans aux 300 000 abonnés sur Instagram, est devenue le chantre de la libération des cheveux blancs (ou la représentante du going grey à la française, au choix) depuis la publication de son livre Une apparition (2). Modeuse, elle multiplie les selfies mettant en avant ses looks ou les vidéos des défilés de Fashion week.
Dans cet univers « blanc-gris », bien en place sur les réseaux sociaux, on trouve aussi des hommes, notamment portés sur la mode. Certains reconduisent l’archétype de l’homme (très) mûr de publicités pour parfums type Azzaro. Hipster domicilié à New York, Nick Wooster, 62 ans, correspond parfaitement à la description et cumule 1 million d’abonnés sur Instagram. Depuis quelques années, tout ce petit monde œuvre à un renversement des clichés vis-à-vis des seniors : rides et cheveux blancs riment avec style.
(1) Non c’è tempo per essere tristi (« Pas le temps d’être triste ») avec Emanuele Usai, éd. De Agostini, septembre 2020.
(2) Robert Laffont, 2017.
par Katia Dansoko Touré, publié dans Libération le 26 janvier 2023