Grand âge : « Nous ne voulons plus être considérés comme un peuple de gens devenus indifférenciables que vieux »
Avec comme slogan : « Rien pour les vieux sans les vieux », Francis Carrier et Véronique Fournier, deux des fondateurs du Conseil national autoproclamé de la vieillesse (CNAV), expliquent, dans une tribune au « Monde », qu’ils continuent à se mobiliser, sans quoi les pouvoirs publics ne feront rien.
L’idée de se constituer en Conseil national autoproclamé de la vieillesse (CNAV) est née en 2021, il y a donc tout juste un an, dans un amphithéâtre parisien où s’étaient rassemblées près de deux cents personnes, plutôt vieilles ou très vieilles, se demandant où était passée la loi « grand âge ». Cette dernière venait d’être à nouveau remisée aux oubliettes par Macron 1, après avoir été tant de fois promise, par lui d’abord, mais aussi par ses deux prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Cela faisait donc plus de quinze ans que nous l’attendions !
Las que l’on nous passe une fois de plus par pertes et profits, nous avons décidé ce soir-là qu’il était temps de prendre notre destin en mains, de sortir de l’ombre et de s’autoproclamer utiles à la cause de la vieillesse. « Rien pour les vieux sans les vieux » est devenu notre mot d’ordre, notre hashtag, comme on dit de nos jours. « Nous demandons la création d’un Conseil national consultatif des personnes vieilles (CNCPV), pour que les politiques de la vieillesse deviennent systématiquement discutées avec nous, voire proposées par nous. »
Il semble que nous ayons été entendus. Un CNCPV devrait bientôt voir le jour, nous dit-on. En 2023 au plus tard. C’est que nous ne sommes pas restés seuls. Beaucoup nous ont rejoints. Plusieurs anciens ministres, force écrivaines et écrivains, y compris des Prix Nobel, des metteurs en scène, et pas des moindres, des journalistes, des professeurs de médecine et beaucoup d’autres grandes gueules !
Changer le regard de la société sur la vieillesse
Sans compter les quelque mille individus, citoyens ordinaires mais vieux, qui, venus de toute la France, ont adhéré au mouvement depuis un an. Alors, devons-nous nous dissoudre puisque notre revendication principale semble en bon chemin ? Non, bien sûr ! D’abord, parce qu’il nous faut rester vigilants. Vérifier comment cette instance sera composée, comment elle sera positionnée administrativement, comment elle fonctionnera, quel pouvoir elle aura.
S’assurer qu’elle ne deviendra pas une énième instance, créée pour calmer nos impatiences et donner du temps au temps. Nous voulons que cela bouge, que cela avance. Et vite. Il y a mille choses à faire pour que change le regard de la société sur la vieillesse et son comportement vis-à-vis des vieux. Nous ne voulons plus être considérés comme un peuple de gens devenus indifférenciables parce que vieux.
Nous ne voulons plus être considérés comme des personnes à qui l’on doit assistance et commisération parce qu’elles sont supposées devenues fragiles et vulnérables. Nous le sommes pour partie, mais nous ne voulons pas être réduits à cela. Nous voulons que l’on cesse de ne faire que « s’occuper » de nous, nous voulons que l’on « s’intéresse » à nous. A ce que nous avons encore à dire et à apporter aux autres.
Penser à une façon positive de vivre la vieillesse
Au-delà de rester vigilant à ce que pourra avoir comme poids cette future instance, il nous faut aussi continuer de travailler pour la nourrir. Il nous faut nous tenir prêts à faire connaître ce que nous souhaitons pour que l’environnement social soit partout conçu, à la ville comme à la campagne, dans toutes ses dimensions – urbanistique, ferroviaire, numérique, administrative, culturelle –, pour ne pas nous exclure, mais au contraire pour nous garder inclus pleinement dans la cité.
Enfin, nous voulons arriver à décider plus de vieux à nous rejoindre, pour porter avec nous une voix différente de celle que l’on entend trop souvent au sujet de la vieillesse aujourd’hui. Une voix plus respectueuse de ce que nous sommes dans notre diversité, une voix moins protectrice, moins paternaliste, moins arrimée au seul médico-social, une voix plus inventive, plus gaie, plus chaleureuse, plus impliquée dans les difficultés de la société telle qu’elle va, une voix plus solidaire de tous ceux qui, à nos côtés, ne vont pas si bien, et que nous pourrions peut-être arriver, nous les vieux, à aider davantage.
C’est à cela que nous voulons continuer de travailler au CNAV. De toutes les façons possibles. Au cours des prochaines journées de travail, prévues dans les mois qui viennent chez Ariane Mnouchkine, dans son beau Théâtre du Soleil. Par exemple sur la fin de vie, l’accès aux droits, l’accès aux soins. Ou encore en organisant un contre-salon des vieilles et des vieux. Un contre-salon pour donner à réfléchir, pour convaincre, pour sortir de cette soumission à l’état de vieux dans laquelle nous nous sommes laissé enfermer.
Un contre-salon pour exister différemment, pour penser ensemble à une façon positive de vivre notre vieillesse. Un contre-salon pour résister à la disparition à laquelle on nous condamne trop facilement en nous enfermant dans des lieux de vie qui ne nous conviennent pas, et dont nous ne pouvons plus sortir. « Rien pour les vieux sans les vieux. » Nous devons faire de ce slogan une réalité, pour que tous dans notre pays, nous ayons moins peur d’y vieillir et d’y mourir. Il n’y a pas besoin d’une loi pour cela. N’attendons pas.
Francis Carrier(fondateur de GreyPride, cofondateur du CNaV (Conseil National autoproclamé de la Vieillesse) et Véronique Fournier(fondatrice de La Vie vieille, cofondatrice du CNaV)
Tribune publiée dans Le Monde du 27 septembre 2022