Dans le Gard, Paulette, la coiffeuse « inretraitable » : « Mon salon, c’est ce qui me maintient vivante »
Paulette Barbusse, 86 ans, officie comme coiffeuse pour hommes à Sommières, depuis l’âge de 14 ans. Déterminée à travailler jusqu’au bout, la doyenne reste indifférente aux débats sur la réforme des retraites.
Il suffit de pousser la vieille porte en bois de cette maison fondée en 1936 qui rappelle les épiceries d’antan. Tant qu’il fait jour, Madame Paulette accepte tous les clients. Dans son salon à Sommières (Gard), la coiffeuse, 86 ans, prend sans rendez-vous.
Et, ce 1er février, Paulette Barbusse est à son poste, comme toujours du mardi au samedi. Les hommes se succèdent dans la boutique. Pas le temps de faire une pause, la maîtresse des lieux enchaîne les coupes et les conversations avec son inépuisable bagout.
Dans cette petite ville de moins de 5 000 habitants à mi-chemin entre Montpellier et Nîmes, la doyenne des commerçants est un peu devenue la mascotte de la rue Antonin-Paris et même de la commune. Fille de coiffeur, elle a grandi dans ce salon et a embrassé la profession à l’âge de 14 ans comme on entre en religion. Elle s’est formée dans une école de coiffure à Nîmes et n’a depuis quasiment jamais quitté sa ville ni fermé son établissement, à une exception près : « Avec le Covid, je n’ai pas eu le choix. Si vous aviez vu comme j’étais triste. J’ai cru devenir folle. Et j’ai trouvé ça tellement long. J’ai beaucoup pleuré. »
Cheveux blancs, coupe garçonne, une blouse avec son prénom brodé à l’ancienne et des bottines noires en cuir, Paulette Barbusse n’évoque la retraite que lorsqu’il s’agit de commenter l’actualité. « Ce qu’il se passe dans la rue ne me concerne pas, justifie-t-elle. Le travail, ça maintient en santé. Pourquoi ne pas imaginer un modèle pour les métiers difficiles et un autre pour ceux qui passent leur journée au bureau ? »
Pour elle, en tout cas, pas question. « Mon salon, c’est ce qui me maintient vivante. Je n’en partirai qu’allongée, les deux pieds devant. Moi, je ne suis pas intraitable, mais inretraitable », dit-elle en rigolant. Son fils, Hervé Barbusse, confirme : « Ici, c’est du Pagnol en vrai. Cette boutique, c’est son élixir de jouvence. »
Un commerçant, ça ne prend pas de congés
La professionnelle du cheveu, qui ne coiffe que les hommes, cumule soixante-douze années de travail. Même si elle a diminué le rythme (elle touche une partie de la retraite de son mari, décédé), elle revient tous les jours, sauf le lundi, ouvrir son magasin. Elle assume pleinement son choix. « J’ai une vie heureuse, je ne me vois pas faire autre chose. Regardez-moi ! Je suis dans un salon où il y a tout le temps du passage et, même si ce n’est pas pour faire une coupe, on vient chez moi pour parler. »
Sa longévité au travail interroge comme elle amuse ses clients. « Mais, quand même, vous ne voudriez pas vous reposer un petit peu », s’aventure un quadragénaire, premier passage chez Paulette. Elle n’a qu’un conseil : « Si vous choisissez de faire quelque chose que vous aimez, vous ne vous lasserez pas. Je me donne encore à 100 % pour chacune de mes coupes. » « Ah ! ben, j’espère », lui répond, caustique, le nouveau client.
Mère de trois garçons et grand-mère de sept petits-fils, Paulette Barbusse n’est jamais vraiment partie en vacances. La Grande-Motte, cette cité aux pyramides de béton située à moins d’une demi-heure de route, elle l’a découverte il y a quelques années seulement.
Son mari, enseignant, s’occupait de la fratrie durant les vacances pendant qu’elle, avec sa sœur Ginette – surnommée Ninette –, spécialiste des coupes féminines, tenait le salon. Chez les Fiorenzano, du nom de leur père, un commerçant ne prend pas de congés. Les deux sœurs n’ont qu’un seul petit péché mignon : chaque samedi, elles s’en vont boire un kir « ou deux » sur la place du marché.
Un salon resté dans son jus
Sur la porte, le « L » de Styl’Mod a disparu. L’établissement, où ni le téléphone portable, ni l’ordinateur n’ont fait leur apparition, est resté dans son jus des années 1970. A l’intérieur, sous les voûtes, deux vieux fauteuils en cuir se répondent, à côté d’une petite console en rotin. Dans un cadre, une photo en noir et blanc où pose Joseph, le père de Paulette.
« Je n’ai jamais investi dans la décoration », reconnaît pudiquement la coiffeuse, qui avoue aussi : « Les nouvelles coupes rasées, je ne sais pas faire, mais ceux qui viennent ici le savent bien. Je ne comprends pas cette mode de raser le crâne. »
Un habitué vient d’entrer, elle lève les yeux au ciel. « C’est bon, je peux vous prendre, mais il va falloir attendre ! » Sans broncher, l’homme patiente sur un petit banc en similicuir. « C’est un sacré personnage ! J’adore venir ici, elle me redonne le sourire avec ses histoires. »
Ici, face aux murs tapissés de cartes postales venues du monde entier que les clients continuent d’envoyer, on refait le monde autant qu’on se fait rafraîchir la nuque. Lorsque la conversation aborde les manifestations, certains soutiennent le mouvement. Imperturbable, le ciseau en main, la coiffeuse commente : « Si vous voyez le magasin fermé, c’est que Paulette est morte. »