Réforme des retraites : quelles conséquences sur les inégalités hommes-femmes ?
Allemagne, 1889. Avec la mise en place des premières retraites obligatoires alimentées par les cotisations des employeurs et des salariés, les règles sont débattues. Confortablement installé dans son fauteuil, le chancelier Otto Von Bismarck, aurait demandé à son conseiller : « à quel âge faut-il fixer l’âge de la retraite pour qu’on n’ait jamais à la verser ? » ; « à 65 ans », lui aurait-on répondu.
France 1910. La loi sur les retraites ouvrières et paysannes est contestée. Sur les murs des usines, des affiches de la CGT sontcollées. On pouvait lire : « en somme, camarade, si tu n’es pas crevé avant les 65 ans d’ici l’année 1950 ; tu auras 27 centimes et demi à manger par jour. Quelle duperie et quelle ironie que ces retraites pour les morts ! ».
France 2023. Le gouvernement du président de la République Emmanuel Macron affirme sa volonté de reculer l’âge de départ à la retraite à 64 ou 65 ans. Après réflexion, il ne faut plus changer de système mais un paramètre, un seul : l’âge, et cela semble soulever les mêmes hostilités que jadis.
Inégaux face à la mort
Pourquoi autant d’hostilité pour une réforme que semble aller de soi tant l’espérance de vie n’est plus celle de 1910 ? Même si nous ne connaissons pas les statistiques de la mortalité par groupes socioprofessionnels, le ministre du Travail et de la Prévoyance sociale en poste à l’époque, René Viviani, reconnaissait que c’est entre 60 et 65 ans que la mortalité « jouait de façon effroyable », alors qu’aujourd’hui, les femmes et les hommes âgés de 65 ans en 2022 vivraient en moyenne jusqu’à 89 ans et 86 ans respectivement.
L’espérance de vie a presque doublé entre les deux périodes mais l’Insee rappelle qu’en France, un quart des décès survient avant 65 ans. L’institut fait état de 147 décès pour 100 000 femmes avant 65 ans, 349 pour 100 000 hommes, soit du simple au double. La « mortalité prématurée » touche surtout les hommes, et en particulier les plus modestes.
Des projections montrent que la réforme prévue augmenterait l’indicateur de risque de décès avant la retraite en moyenne, de 5,1 % à 6,5 %, soit environ 9 000 personnes supplémentaires chaque année qui mourront avant la fin de leur carrière professionnelle. Les risques des retraites courtes (10 ans ou moins) augmentent également, passant de 17 % sous la législation actuelle à 21 % avec la réforme.
Quant à la durée espérée en retraite, de l’ordre de 20 ans aujourd’hui (mais avec de fortes différences sociales : les individus les plus pauvres passent en moyenne 7 ans de moins en retraite que les individus les plus aisés), elle baisserait en moyenne de deux ans et quatre mois environ, après la réforme (avec des différences selon le niveau de vie, atteignant 15 % pour les hommes les plus modestes, contre 9 % pour les hommes les plus aisés).
Les limitations de sorties ou d’entrée en retraite qui seront instaurées par la réforme auront donc un impact considérable sur le ratio de dépendance (nombre de personnes à charge pour 100 travailleurs).
Inégaux face au marché du travail
Nos recherches montrent que les femmes liquident la retraite plus tard que les hommes. Elles sont davantage contraintes à liquider leur droit vers l’âge de 65 ans et au-delà (19 % de la génération de 1950 contre 10 % des hommes) pour éviter une décote en raison de carrières plus souvent incomplètes.
Cependant, elles reçoivent en moyenne 1274 euros de retraite par mois, soit 24 % de moins que les hommes (1674 euros). Ce montant inclut la pension de droit direct, la pension de droit indirect (réversion) et la majoration pour trois enfants et plus. Si l’on considère les retraites de droit direct, c’est-à-dire celles versées au titre de l’activité passée, l’écart s’élève à 39 % pour les 65 ans et plus.
Les femmes sont les principales bénéficiaires des pensions de réversion. Ces droits constituent 20 % de la retraite totale des femmes âgées de 65 ans et plus contre 1 % pour les hommes. Au-delà de la pension de retraite, sept personnes sur dix touchant le minimum vieillesse sont des femmes.
Ce sont les différences de salaire de référence et, dans une moindre mesure, de durée validée, qui créent l’écart de retraite entre les hommes et les femmes. Avec des gradients car ces écarts sont plus marqués dans le secteur privé que dans la fonction publique. Les plus faibles durées de carrière des femmes jouent pour les revenus les plus faibles, les niveaux de salaire pour les deux tiers des plus hauts revenus.
Le plus puissant moyen de réduire les inégalités de retraite entre les femmes et les hommes est de limiter les inégalités de carrière ou alors desserrer le lien contributif. Il est avéré que les minima ont un rôle essentiel dans la limitation des inégalités de retraite entre les hommes et les femmes en particulier dans les premiers déciles. Toute restriction dans l’attribution de ces minima aurait des répercussions beaucoup plus fortes pour les femmes que pour les hommes dans le bas de la distribution.
Autant de tentatives de réformes nous ont appris que la notion d’âge de la retraite recouvre des concepts différents. L’augmentation de durée de cotisation ne vaut pas augmentation de l’âge légal minimum de départ pour toucher une retraite à taux plein.
Reste à formuler des hypothèses sur les conséquences de l’augmentation progressive jusqu’en 2031 de l’âge légal de la retraite à 65 ans pour les travailleuses les plus précaires : soit une liquidation bien plus tardive pour bénéficier d’une « retraite minimum contributif », terme qui peut créer la confusion, dont le montant pour une carrière complète est fixé à 85 % du smic.
Roxana Eleta de Filippis, Maîtresse de conférences en sociologie, Université Le Havre Normandie
Publié le 6 janvier 2023, par The Conversation