Vieillir ou mourir jeune : On a tendance à exagérer les traits négatifs du vieillissement »

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

La crise du coronavirus a mis en lumière notre façon de considérer les personnes âgées. Alors même que les seniors sont encore actifs et présents dans la famille et la société, on les a déclarés – avec bienveillance certes – “à risques”. Sans prévoir que cela engendrerait chez certains, outre un sentiment d’abandon, une pénible impression d’inutilité.

Responsable de l’Unité de Psychologie de la Sénescence à l’Université de Liège. Cela fait 10 ans que Stéphane ADAM est responsable d’une unité de recherche en Psychologie de la Sénescence à l’Université de Liège. Cette équipe de chercheurs travaille notamment sur l’âgisme et les conséquences de l’âgisme sur les attitudes de soin de façon générale, ce qui permet d’interroger les pratiques d’accompagnement du vieillissement.

Nous vivons plus longtemps qu’au siècle dernier. D’après les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), partout dans le monde, la plupart des gens ont une espérance de vie supérieure à 60 ans. En 2010, l’Observatoire des seniors européen en dénombrait 120 millions, chiffre qui devrait atteindre 150 millions en 2035, du fait de l’augmentation de l’espérance de vie et de l’arrivée dans cette tranche d’âge des baby-boomers.

Tout le monde devrait s’en réjouir. Et pourtant, cette situation inédite dans l’histoire humaine est ternie par deux constats : les pathologies chroniques dues l’âge et la connotation négative liée à la vieillesse. Comme l’expose le psychologue Stéphane Adam, « dans les sociétés de consommation européennes et anglo-saxonnes, devenir vieux est dévalorisé. Il faut être beau, jeune et actif. On le sait peu mais l’âge est devenu un facteur de discrimination plus important que le sexe, la religion ou l’origine ethnique. À tel point que l’on parle d’“âgisme”, un terme qui désigne toutes les formes de ségrégation, de dépréciation ou de mépris fondées sur l’âge ». Contre cette stigmatisation soulignée par le coronavirus mais bien antérieure à l’épidémie, des voix se sont élevées récemment – celles de la comédienne Macha Méril, du chanteur Hugues Aufray ou de la journaliste Laure Adler –, lesquelles tentent de modifier le regard que la société porte sur l’âge avancé de la vie.

Vieillir est une métamorphose

Selon la Dr Sophie Gillain, gériatre et cheffe de service, le problème est réel. « Trop souvent la vieillesse est associée à la maladie, à la dégénérescence, à la fin de vie. » Cela n’a pas toujours été le cas : « Au début du XIXe siècle, les principaux qualificatifs associés à la vieillesse étaient positifs. Cette tendance s’inverse lentement à partir de 1880 mais ne cesse de s’accentuer », souligne Stéphane Adam. A-t-on une explication de ce phénomène ? « Dans les sociétés individualistes comme les nôtres, l’âge de la retraite fait basculer ipso facto l’individu dans le camp des “inactifs” selon une terminologie administrative connue. De là à les considérer comme un fardeau, comme un poids économique pour la société, il n’y a qu’un pas. Le modèle capitaliste ne s’inquiète pas des plus faibles. Même en Asie, la perception de la vieillesse s’est modifiée, car la société est confrontée à une “vague de vieux” et la réaction naturelle est d’essayer d’arrêter, voire de repousser la vague. ».

Des enquêtes montrent que l’activation de stéréotypes négatifs génère chez les seniors une augmentation du stress, une diminution de leur estime, une moindre volonté de vivre. En 2006, la France a dénombré près de 3000 suicides parmi les plus de 65 ans, indique Jacqueline Trincaz dans un article paru en 2015 : “La perte des rôles sociaux, la perte des proches, la maladie physique et psychique, l’altération de l’identité, et peut-être surtout le regard que la société porte sur cet âge de la vie apparaissent comme autant de facteurs qui viennent se conjuguer pour expliquer un tel phénomène.”

« Involontairement, les soignants ont tendance à perpétuer les clichés, poursuit Stéphane Adam. À parler “petit vieux” par exemple, ce qui déstabilise les personnes et peut conduire à des comportements néfastes comme un moins bon respect du traitement médical. » Confrontées à ces stéréotypes peu flatteurs, les personnes auraient tendance à se sentir plus vieilles qu’elles ne le sont. « Or, l’âge “ressenti” est un prédicteur de santé. Plus on se sent vieux, plus on a des risques de développer une pathologie telle que la maladie d’Alzheimer par exemple », observe le chercheur. Est-ce une déformation professionnelle ? Dans le corps médical, les images mentales peuvent même avoir pour effet de sous-traiter certains symptômes et d’en sur-traiter d’autres. « On note une augmentation de la prescription d’antidépresseurs avec l’âge alors que des enquêtes montrent au contraire que le bonheur augmente avec le temps. De même, les infirmières encouragent facilement une femme de 30 ans à entamer une reconstruction mammaire, mais ne manifestent pas la même empathie si elle en a 60. »

 Du point de vue biologique, le vieillissement est le résultat de l’accumulation d’un éventail de dommages moléculaires et cellulaires au fil du temps. Celle-ci entraîne une dégradation progressive des capacités physiques et mentales, une majoration du risque de maladie. Mais nous ne sommes pas égaux devant le temps qui passe. Alors qu’à 70 ans, certaines personnes jouissent encore d’une très bonne santé, d’autres sont plus fragiles et ont besoin de beaucoup d’aide. « Notre réserve fonctionnelle (marche, cognition, déglutition, fonctions rénales, cardiaques, etc.) diminue en vieillissant. C’est un processus naturel, rappelle Sophie GillainLors d’un stress comme une maladie aiguë (infection, infarctus) et si le “seuil de compensation” est atteint, la ou les fonctions les plus “fragiles”, les plus proches du seuil en condition “normale” ne seront plus assumées correctement. Cela peut se traduire par une dégradation de la qualité de la marche et de l’équilibre, une confusion, ou une déglutition hasardeuse. On parle de “décompensation”. »

Les patients hospitalisés dans le service de gériatrie du CHU de Liège cumulent souvent plusieurs maladies chroniques (diabète, obésité, hypertension, etc.), auxquelles viennent s’ajouter le motif aigu d’hospitalisation. « Au-delà du rétablissement du patient, notre ambition est de prévenir le déclin fonctionnel lié à l’hospitalisation elle-même, de mettre en place les éléments nécessaires à son autonomie, d’éviter les conditions qui aggravent les pathologies chroniques, et de prévenir les éventuelles complications causées par un traitement médical (iatrogénie), expose la gériatre. Avant tout, nous sommes à l’écoute des patients. La réaction face à un cancer du sein n’est pas univoque : de manière générale, à 40 ans, une femme veut être soignée, à 80, elle peut refuser de subir une chimiothérapie. » Mais la formation en gériatrie est encore très neuve. « Paradoxalement, alors que la majorité des cancers concerne les personnes âgées, celles-ci restent exclues des essais cliniques. Et dans la formation des médecins, la gériatrie occupe une place congrue et est essentiellement axée sur le versant pathologique et non sur les potentialités des personnes âgées », regrette Stéphane Adam

Vieillir ou mourir jeune

Bien vieillir est donc devenu un enjeu de santé publique. Il s’agit d’éviter les maladies et handicaps et de maintenir l’autonomie de la personne. Dans l’unité de recherche santé publique, épidémiologie et économie de la santé en faculté de Médecine, Olivier Bruyère étudie la capacité des seniors à se maintenir en bonne santé.

« Depuis 2012, nous suivons deux cohortes d’individus : initialement, 500 vivaient à domicile et 600 en maison de repos, explique-t-il. Nous nous intéressons principalement à la santé musculaire (la sarcopénie) et osseuse (l’ostéoporose) ainsi qu’à la (mal)nutrition. » Les études confirment que l’activité physique et la nutrition sont des déterminants majeurs d’une vie en bonne santé, même chez les personnes très vieilles. « Nous testons pour le moment un tapis de jeux géant en maison de repos dans le but de favoriser l’activité physique, reprend Olivier Bruyère qui martèle une fois encore l’intérêt de se maintenir en mouvement sans pour autant se focaliser uniquement sur le sport. Faire le ménage, jardiner, marcher, faire du vélo, nager, etc., c’est excellent pour les muscles, pour le système cardio-vasculaire, pour la cognition et le moral. » Et plus les aîné·e·s sont en forme, meilleure est leur vision, plus grande est leur confiance en eux-mêmes ; plus ils font de l’exercice, plus ils sont en forme, etc. « Il faut enclencher le cercle vertueux pour les patients et pour les soignants : arrêtons de caricaturer les seniors, ils sont résilients ! »

L’âgisme conduit très souvent à poser la question : “Avez- vous peur de vieillir ?”. Autant demander “Avez-vous peur de vivre ?”, car finalement, c’est la même question.

« On a tendance à exagérer les traits négatifs du vieillissement »

Dans un interview,* Stéphane Adam montre comment l’environnement médico-social peut augmenter le sentiment d’insécurité mentale des personnes âgées. Le simple fait de leur faire passer un examen sur la mémoire peut engendrer du stress et ainsi potentiellement révéler des troubles de la mémoire. Quelle est l’attitude à adopter ? Faut-il changer nos comportements en matière d’activités ? Stéphane ADAM pense que, de par ces pratiques qui peuvent être améliorées, on a tendance à surdiagnostiquer la maladie.

Alzheimer, une maladie « pire que la mort »

« Lorsque l’on interroge les personnes âgées sur ce qui leur fait le plus peur en vieillissant, mourir arrive en seconde position » précise Stéphane ADAM. En pôle position : c’est « perdre la tête ». Le simple fait de dire à une personne âgée qu’elle va passer un test de mémoire, va la faire se sentir en moyenne 5 ans plus vieille. Or, plus une personne âgée se sent âgée, plus elle se sent vieille, moins longtemps elle vit et plus elle a de risque de développer la maladie d’Alzheimer. De fait, plus on parle de mémoire à une personne âgée, moins bien elle se porte. Ce qui est paradoxal, c’est l’arrivée dans les structures de jeux relatifs à la mémoire.

Développer l’estime de soi et le sentiment d’utilité

Il faut savoir parfois tomber les masques (pas anti-COVID), en tout cas les blouses qui peuvent ternir les rapports humains qui permettent de créer une relation de confiance et d’intimité. Cela permet alors d’utiliser le meilleur outil de stimulation de la mémoire selon Stéphane ADAM : la « papote », c’est-à-dire la conversation. Du moment que la conversation est sincère et authentique, elle permet de développer le sentiment d’utilité et d’estime de soi.

*Interview de Stéphane Adam Psycho Liege par Nicolas ROUMAGNE le 19 janvier 2022 dans  Regards extérieurshttps://www.resantevous.fr/blog/articles/regards-exterieurs/interview-de-stephane-adam/


LIVE YOUR AGE 
Stéphane Adam et Pierre Missotten (collaborateur à la faculté de psychologie, logopédie et sciences de l’éducation) sont à l’initiative d’une spin-off qui verra le jour en été. “live your age”(lyage) est une société qui entend promouvoir une vie et un lieu de vie de qualité pour toutes les personnes âgées, quel que soit leur état de santé ou leur niveau de dépendance. 
Basés sur une expertise clinique, pratique et scientifique, les services de lyage (audit, formation et supervision, consultance) ont pour ambition d’améliorer les pratiques d’accompagnement des seniors ainsi que de participer au développement de produits et services destinés à un public âgé (maisons de repos et de soins, produits technologiques, etc.). 

 www.lyage.be 
 

Vieillir ou mourir jeune : On a tendance à exagérer les traits négatifs du vieillissement »

QUELQUES CHIFFRES  en Belgique

Les personnes de 65 ans et plus représentaient 18,9 % de la population belge en 2019. plus précisément, 13,1 % à Bruxelles (région), 20,2 % en Flandre et 18,6 % en Wallonie. cette proportion est estimée évoluer à 22,4 % pour la Belgique en 2030 (14,4 % à Bruxelles, 24 % en Flandre et 22,1 % en Wallonie) et à 25,2 % en 2050 (17,5 %, 26,6 % et 25,0 % respectivement)
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En 2016, 13,6 % de la population âgée de 65 ans et plus recevaient des soins de longue durée (SLD), dont 8,5 % en institution (maisons de repos et de soins, résidences pour personnes âgées) et 5,1 % dans leur propre logement. la proportion des 65 ans et plus en institution dans les régions était de 9 % en Wallonie, 10,3 % à Bruxelles et 8 % en Flandre. la proportion des 65 ans et plus recevant des SlD chez eux était de 4,8 % en Wallonie, 3,3 % à Bruxelles et 5,5 % en Flandre
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Environ 5,6 % de la population belge de 65 ans et plus vit avec au moins un aidant dans le ménage. Dans les régions, cette proportion s’élève à 3,3 % à Bruxelles, 5,9 % en Flandre et 5,6 % en Wallonie
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1 source : Perspectives de population (juillet 2020), Bureau fédéral du plan et Statbel. Observations Statbel pour 2019. Perspectives 2020-2021, Bureau fédéral du plan et Statbel. Leur rapport de juillet 2020 tient compte de la covid-19 avec une adaptation des hypothèses, notamment de mortalité et de migration. 

2 source : Performance of the Belgian health system – report 2019, Kce report 313. 
3 source : SHARE, vague 6 (2015)


 

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